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Magreb et guerre en Ukraine : les subtilités de la neutralité

Pour faire avec leurs opinions publiques et les pressions de leurs partenaires, les trois pays du Maghreb traditionnel jouent de toutes les nuances de la neutralité.
Maghreb et guerre en Ukraine: les subtilités de la neutralité

Pour faire avec leurs opinions publiques et les pressions de leurs partenaires, les trois pays du Maghreb traditionnel jouent de toutes les nuances de la neutralité.

Au sein des opinions publiques algérienne, marocaine et tunisienne, les prises de position en faveur de l’Ukraine sont rares. Kiev pâtit du peu d’intérêt de sa politique étrangère pour le monde arabe et surtout d’un ressentiment envers les USA et plus globalement les membres de l’OTAN. En effet, la plupart des algériens, marocains et tunisiens ont en tête de nombreux griefs dont : l’invasion de l’Irak alors que ce pays ne détenait pas d’armes de destruction massive et n’avait aucune accointance avec Al-Qaïda ; la forte implication de l’OTAN dans la chute du régime Kadhafi qui a provoqué la plongée de la Libye dans le chaos ; l’acceptationoccidentale du non-respect par Israël des droits individuels et collectifs des Palestiniens ; l’accueil immédiat et chaleureux réservé par les pays occidentaux à des millions de réfugiés ukrainiens alors qu’ils parquent durant des mois la plupart des réfugiés syriens, afghans et somaliens. Les dirigeants algériens, marocains et tunisiens ne contredisent pas leurs administrés. Mais ils se gardent d’aller dans leur sens car il leur faut ménager les deux camps qui s’affrontent en Ukraine. Ce qui les conduit d’ailleurs à jouer de toutes les nuances de la neutralité.

Algérie : la « neutralité pragmatique »

Officiellement, l’Algérie soutient ne pas vouloir prendre parti, clame son engagement pour « la recherche d’une solution négociée » et préconise des « négociations directes » entre les belligérants. En réalité, elle s’emploie à ne pas se brouiller avec les Occidentaux et à préserver son historique et étroite coopération militaire et économique (fourniture d’armes, de céréales et de matières premières) avec hier l’URSS et aujourd’hui la Russie. Selon un de ses hauts responsables, elle pratique une « neutralité pragmatique ». Le 2 mars dernier, à l’ONU, lors d’un vote exigeant le retrait des forces russes et l’arrêt de l’usage de la force sur le sol ukrainien, elle s’est abstenue. Quelque jours plus tard, lors d’un vote dénonçant les « conséquences humanitaires de l’agression contre l’Ukraine », elle a récidivé. Enfin, elle s’estpositionnée en « fournisseur fiable » de gaz de la France, l’Italie et l’Espagne. Tout cela pouvant finir par inquiéter la Russie, les autorités algériennes lui ont donné des gages. Le 8 avril dernier, à l’ONU, l’Algérie a voté contre une résolution excluant la Russie du Conseil des Droits de l’Homme. Ces derniers jours, lors de la visite à Alger du ministre russe des Affaires Étrangères, il a été annoncé un renforcement de la Coopération stratégique Algérie / Russie.

Maroc : la « neutralité positive ».

Bien qu’étant traditionnellement rangé aux côtés des USA et de l’OTAN, le Maroc ménage la Russie, et ce, au moins pour deux raisons. Premièrement, il juge essentiel de tout faire pour éviter deux revers diplomatiques : soit un veto de la Russie, membre du Conseil de Sécurité, si l’ONU propose un jour d’entériner la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental aux dépens du Front Polisario et de l’Algérie (mouvement politico-militaire des indépendantistes sahraouis soutenu par l’Algérie) ; soit un soutien de la Russie à une relance du processus onusien de règlement du conflit Maroc / Front Polisario par le biais d’un référendum d’autodétermination. Deuxièmement : la Russie représente un fournisseur essentiel de matières premières, de denrées et d’équipements. Tout ceci à conduit le Maroc, depuis le début de la guerre en Ukraine, à ne pas participer au vote des résolutions de l’ONU incriminant la Russie. Bien entendu, les Occidentaux n’ont guère apprécié. Le Maroc s’est attaché à les apaiser en faisant valoir son rôle majeur dans la normalisation entre le monde arabe et Israël et en rappelant, dès le 2 mars dernier, son « fort attachement au respect de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’unité nationale de tous les États membres des Nations unies ». Plusieurs officiels marocains ont affirmé que leur pays pratiquait la « neutralité positive ».

Tunisie : la neutralité recto-verso

En votant le 2 mars dernier en faveur de la résolution de l’ONU condamnant l’usage de la force par la Russie en Ukraine, la Tunisie s’est rangée dans le camp de celle-ci et de l’OTAN. Ce vote a probablement été déterminé par la nécessité de ne pas déplaire aux USA à l’heure de négociations avec le Fonds Monétaire International (au sein duquel l’influence US est primordiale) visant à renflouer les finances du pays, et aussi de la dénonciation, par les USA et plusieurs pays occidentaux, d’une évolution selon eux autocratique des institutions tunisiennes. Ce vote a sans doute aussi été motivé par le fait que les importations de céréales ukrainiens étant à l’arrêt, la Tunisie doit beaucoup compter sur l’Union Européenne pour s’approvisionner. Cependant, le 8 avril dernier, la Tunisie s’est abstenue lors du vote ayant décidé la suspension de la Russie du Conseil Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU. Pourquoi ? Il semble qu’elle ait de front voulu : s’aligner sur le vote de l’Algérie, important partenaire financier et économique, afin de permettre à ce pays d’afficher son influence au Maghreb et d’ainsi renforcer son crédit auprès de la Russie ; rester en bons termes avec la Russie qui lui fournit des hydrocarbures et des produits pétrochimiques et dont plus de 600 000 ressortissant la choisissent pour passer leurs vacances. La Tunisie joue la neutralité recto-verso.

Alexandra Sereni


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