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Rassemblement National : la greffe corse ne prend pas

Les responsables frontistes, plutôt enclins au centralisme et avant tout nationalistes français, ont toujours craint que se constitue un frontisme insulaire défendant également l’identité corse.
À quelques semaines des élections municipales, il apparaît que le Rassemblement National sera chez nous un grand absent. Tout comme d’ailleurs la République en Marche qui vient - à la demande de ses instances et de ses élus locaux ! - de ne pas accorder la moindre investiture. Aucune liste n’a encore été déposée. Aucune position n’a été exprimée par un responsable local. Il semble que sur notre île le Rassemblement National se soit volatilisé. Il se savait cependant qu’il n’aurait pas la partie facile et peinerait à faire bonne figure. Cela avait d’ailleurs déjà été le cas lors des élections municipales de mars 2014. En effet, lors de ce rendez-vous électoral, le parti se réclamant de Marine Le Pen, alors encore appelé Front National, n’avait été vraiment présent qu’à Ajaccio. De plus sa liste ayant dû se contenter de réaliser 8,3 % des suffrages exprimés n’avait pu se maintenir au second tour. Elle. Cette année, même dans la Cité impériale, la flamme du Rassemblement National ne brûlera pas et, une fois encore, il en sera de même à Bastia. En effet, même si la liste intitulée Cittadini Corsi conduite par le nationaliste Filippo de Carlo défend quelques idées proches de celles de Marine Le Pen et compte parmi ses soutiens au moins deux anciens cadres frontistes (dont Jean-Antoine Giacomi qui a été très présent et actif à l’occasion du récent scrutin européen pour soutenir la liste que menait Jordan Bardella), celle-ci ne bénéficie pas de l’investiture Rassemblement National. Dans un communiqué de presse, le Délégué national aux fédérations et directeur de campagne des Municipales du parti a clairement et sèchement précisé que « le Rassemblement National ne soutient pas et ne participe pas à la liste de Monsieur Filippo de Carlo à Bastia » et que Jean-Antoine Giacomi « n'est plus adhérent du Rassemblement National. » Pourtant, chez nous, le Rassemblement National ne semble pas manquer d’un potentiel électoral. A l'occasion du dernier scrutin présidentiel, en 2017, Marine Le Pen est arrivée en tête au premier tour et, surtout, a obtenu 48,5 % des suffrages exprimés au second tour, totalisant aussi plus de 15 points qu'au niveau national. Lors du récent scrutin européen, en mai 2019 , la liste Jordan Bardella est arrivée en tête en Haute-Corse avec 27,74% des suffrages exprimé et en Corse-du-Sud avec 29,54% des suffrages exprimés. Il convient aussi de noter que le vote Le Pen est bien ancré chez nous. A l’occasion du premier tour du scrutin présidentiel de 2012, Marine Le Pen avait été en seconde position derrière Nicolas Sarkozy en Haute-Corse avec 23, 26 % des suffrages exprimés et en Corse-du-Sud avec 25,71 % des suffrages exprimés.

Un parti resté jacobin

Pourquoi la popularité de Marine Le Pen au plan insulaire ne se traduit-elle pas par une présence et de bons résultats lors des scrutins locaux ? On peut d’abord observer l’absence d’une réelle force militante. Le Front National s’est d’abord appuyé sur quelques anciens militaires, aux états de services d’ailleurs souvent remarquables, et des personnes ayant d’abord fait leurs classes politiques sur le Continent. Ces recrues, à l’instars par exemple de Pascal Arrighi durant les années 1980, ont ponctuellement figuré de façon honorable au niveau électoral. En revanche, elles n’ont pas su ou voulu organiser le mouvement et susciter une réelle force militante. Il semble aussi que les instances parisiennes du parti n’aient pas vraiment cherché à initier ou soutenir l’éclosion de nouvelles pousses. Peut-être faut-il en chercher la raison dans le fait que les responsables frontistes, plutôt enclins au centralisme et avant tout nationalistes français, ont toujours craint que se constitue un frontisme insulaire défendant également l’identité corse. C’est d’ailleurs ce qu’a semblé indiquer la tournure prise par la tentative d’implanter chez nous un jeune et talentueux cadre d’origine corse issu du sérail lepéniste : Olivier Martinelli. Au début des années 2000, l’intéressé, ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen, a été parachuté dans l’île pour organiser et développer le parti. Très vite, il a occupé les médias et donné une image positive de son parti en ajoutant un volet corsiste au message nationaliste français et en relativisant une vieille garde composée essentiellement d’anciens combattants et d’ex-partisans de l’Algérie française. Mais cette corsitude ayant été jugée hérétique par nombre de hiérarques frontistes des bords de Seine, Olivier Martinelli n’a pu mener sa démarche à bon terme. Christophe Canioni, tête de liste Front National aux élections territoriales de décembre 2015 qui avait adopté une ligne politique similaire, s’est d’ailleurs heurté à des obstacles similaires. Ce qui l’a incité, quelques temps après avoir été élu conseiller de Corse en développant un discours corsiste, a démissionner du Front National en expliquant ne pas accepter la ligne inamoviblement jacobine de ce dernier. Le discours girondin tenu à Ajaccio par la candidate Marine Le Pen à l’occasion du scrutin présidentiel de 2017 : « Il existe des spécificités corses qui nécessitent des lois particulières sur le plan fiscal, budgétaires, pouvant être réfléchies et discutées, je n’y suis pas opposée » ne saurait donc faire faire oublier que le Rassemblement National reste un parti jacobin hostile à la reconnaissance de l’identité corse et à un statut particulier de la Corse au sein de la République. Ce positionnement ne lui interdit certes pas de capter, chez nous comme ailleurs, des suffrages quand sont mises sur le tapis au niveau national des thématiques telles que l’immigration ou la sécurité, mais ne le met pas en capacité de s’implanter ou faire recette si les spécificités et les revendications corses entrent en ligne de compte.
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