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15 ème Nuits Med

Courts métrage en fête

15 è Nuits Med
Courts-métrages en fête


Pour sa 15 è édition le festival promu par Alix Ferraris a tenu toutes se promesses une fois encore et a permis de découvrir de belles et beaux cinéastes. Ainsi Alexandra Matheou (Chypre) ou Antoine Ogier (France-Corse), Alexandra Naoum (France) ou Atemis Anastasiadou (Grèce).


Sans conteste c’est Alexandra Matheou, réalisatrice de « A summer place », lauréate du prix décerné par le fameux cinéma, Grand Action de Paris, qui a présenté l’œuvre la plus percutante, la plus subtile, la plus actuelle, la plus émouvante. Dans son récit aucun pathos ni larmoiement, pas d’appel à la bonne conscience ni sermon… Et pourtant un sujet si âpre qu’il administre une gifle cinglante en guise de rappel de la tragédie qui se joue au jour le jour dans les eaux de la Méditerranée.

Tourisme et âmes mortes

La cinéaste nous conte l’histoire d’une femme à deux doigts de se suicider dans un cadre d’usine à touristes dans sa vulgarité et ses faux semblants tapageurs. Une femme dont le métier est d’imaginer des publicités gastronomiques… écœurantes à force d’être alléchantes. Une femme étouffée par des constructions, par du béton à tout va pour vacanciers. Une femme dans une ville, dans un pays en perte d’âme. La réussite singulière de la réalisatrice est de mettre en scène des problèmes oppressants… de façon délicate. Légère même. La femme, Tina, va faire la connaissance d’une femme du Moyen Orient – son double encore plus infortuné – dont le voyage se serait, pour un peu, terminé, dans les abysses de la Méditerranée. Mais le destin a veillé au grain par l’entremise de Tina.

Dans « A summer place » il y a des clins d’œil à la peinture de Picasso, à celle d’Archimboldo et des références à « Hiroshima mon amour » d’Alain Resnais sur un scénario de Marguerite Duras ainsi qu’à « Huit et demi » de Fellini. Clins d’œil et références tellement évidents. Tellement naturels. Le film restitue aussi une juste place à la nourriture quand elle est signe de partage, de ce moment lumineux où l’autre n’est plus seulement altérité mais partie intégrante et intégrée de la famille humaine.

Forger l’avenir

Du Grand prix attribué par le jury du festival à « L’ultimo spegne la luce » de Tommaso Santambrogio (Italie) on peut rester dubitatif. Certes le réalisateur nous propose un travail minutieux sur un plan-séquence. Cependant il ne parvient pas à faire oublier la pauvreté de son récit plutôt rebattu sur les problèmes d’un couple, dont on devine après deux minutes comment il mettra fin à sa dispute… Avec au passage le symbole de la clé enfoncée sans succès dans une serrure ! Le film demeure un exercice de style dont on peut s’épargner la vision.

Le pari d’Antoine Ogier avec « Ça va s’arranger » est bien plus stimulant parce qu’il ose un réalisme sans apprêt misant sur une intensité de l’image où dialoguent des pénombres et des clartés déclinées au quotidien. Ogier filme de vraies gueules. De vrais personnages. Un vrai village corse qui s’épuise de non être en cultivant toutefois une étincelle d’espérance. Pas de passéisme dans ce court-métrage malgré l’archaïsme des outils. Le sujet ? Un jeune sortant de prison à réinsérer. Un forgeron-bûcheron qui relève le défi d’apprivoiser cet ex-délinquant tombé de nulle part. En fond sonore un rap ténébreux et rebelle qui contraste avec le paysage de collines et la rusticité intemporel du village. « Ça va s’arranger » a obtenu le prix de la Critique.

Incantation magique

Récompensé par le prix de la Presse et RCFM, « To Vancouver » d’Artemis Anastasiadou (Grèce), retient très fort l’attention pour sa bande son où la musique néo-traditionnelle de la flûte a des accents prégnants à certains instants et s’efface judicieusement à d’autres. « To Vancouver » est le prologue d’un exil au Canada d’un jeune Grec. Un départ vu et ressenti surtout par sa petite sœur. Une immigration qui prend racine dans l’absence de développement, dans la fin d’une économie minière car, bien sûr, la misère n’est pas moins cruelle au soleil ! Dans l’espoir de contrer le mauvais sort qui va la séparer de son grand frère, la fillette recourt à l’incantation magique abracadabra qui vient du fond des âges. Une des pratiques magico-religieuses qu’on connait bien en Méditerranée. Incantation distillant des moments émouvants car démonstration poignante d’affronter une détresse d’enfant et d’appeler à un retour rapide du frère chéri.

Bien filmé, interprété par trois jeunes et beaux comédiens, « L’amie de l’été » de Maxime Hermet (France) nous emmène sur une plage du midi français… Parties d pêches. Plongeons. Nage dans une vague ultra bleue. Deux ados. Une jolie fille. Entre eux des essais d’approche assez vite concluants. L’innocence de gestes qui dérapent et se reprennent. On est chez Marivaux ou peut-être chez Eric Rohmer, version adolescente, pour la rencontre amoureuse, pour les parties de séduction, pour l’exploration suggérée du monde des sentiments et des sens. « L’amie de l’été » est ludique, fantaisiste, attendrissant. La caméra conjugue vivacité et poésie. Elle capte les sensations impromptues des personnages. Elle en esquisse les hésitations tant les identités de genre ne se créent pas toujours automatiquement. Le film de Maxime Hermet a emporté une Mention spéciale.

La fête est finie

Avec « In festa » Hélène Giudicelli a été couronné « Jeune Talent 2022 ». Le court-métrage repose sur les trois unités du théâtre classique : action, temps, lieu. On est quelques trente-cinq ans en arrière lors des déchirements entre mouvements nationalistes, lors également du souffle politique et culturel qui réveilla la Corse. L’île de l’époque la réalisatrice nous la montre un soir de fête du village en portant l’éclairage sur des protagonistes ordinaires sans relief et c’est précisément le mérite de cet essai cinématographique… à transformer. En toile de fond les tensions, les magouilles, les petitesses de vue dont se font l’écho les personnages. Et rachetant l’étroitesse des mentalités des chants de « Canta u populu corsu » qui ont eu tant de résonance, réinterprétés par un groupe d’aujourd’hui, dont le très célèbre, « Catena ».

Etonnamment écarté du palmarès du festival, « Ma biche » d’Alexandra Naoum, tourné à Bastia. Le film pourrait faire penser à une de ces histoires simples de Maupassant, revue de manière contemporaine. Laura, détenue à la prison de Borgo, sort pour la première fois en permission. Condamnée pour avoir servie de « mule », son fragment temporel de liberté lui fait appréhender l’ampleur de problèmes familiaux qu’elle avait préféré ignorer. Sa mère au tempérament survolté a recueilli sa petite fille. Quoi de plus normal ? Ce qui l’est moins c’est que cette grand-mère fofolle vit à la colle avec un superbe ténébreux, interprété par Bryan Trésor, un « chabin » assez problématique. Alexandra Naoum incarne cette Laura qui mesure l’étendue du désastre résultant de son incarcération et qui doit regagner l’amour de son enfant qui lui en veut de son absence. « Ma biche » pourrait être un terrible mélo si n’était le talent de la cinéaste et sa capacité à sublimer par le rire ou la tendresse les scènes les plus difficiles…

Taularde et mère

Auteure de plusieurs court-métrages Alexandra Naoum prend à bras le corps nos questions de société. Elle allie courage, passion de la narration, savoir faire cinématographique. Bref, c’est une artiste.

A ne pas rater
« Ma biche » et « A summer place » qui vont être programmé au Grand Action d’Isabelle Gibbal- Hardy, salle du Quartier latin, ainsi qu’à L’Elipse d’Ajaccio.

Le festival, « les Nuits Med » avec ses escales à Furiani, Bastia, Corte et bientôt Paris et Ajaccio … un régal.


Michèle Acquaviva-Pache
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