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Eric -Dupond-Moretti en visite : VRP et chaperon

Pourquoi diable, s'il ne voulait rien dire ou n'avait rien à dire sur des problématiques concernant au premier chef notre île, .........
Eric-Dupond-Moretti en visite : VRP et chaperon

Pourquoi diable, s’il ne voulait rien dire ou n’avait rien à dire sur des problématiques concernant au premier chef notre île, le Garde des Sceaux est-il venu passer deux jours chez nous ?

Le Garde des Sceaux était dernièrement en déplacement officiel sur notre île. Dans le cadre du processus Darmanin et de la volonté d’apaisement que tout le monde affiche depuis l’assassinat d’Yvan Colonna et les manifestations massives aux issues souvent violentes ayant suivi cette tragédie, il était logique d’attendre beaucoup de ce déplacement. Il était d’autant plus normal d’être dans cette attente que, quelques heures avant l’arrivée du ministre, des militants indépendantistes rassemblés devant la préfecture de Haute-Corse, avaient rappelé à l’État que des zones d’ombre n’avaient pas été éclaircies concernant la tragédie d’Arles, que des nationalistes dont Alain Ferrandi et Pierre Alessandri restaient emprisonnés, que des tracasseries administratives (dont l’inscription au Fichier des auteurs d'infractions terroristes) et financières (injonction de payer des amendes et des dommages-intérêts) étaient infligées à des nationalistes ayant purgé des peines d’emprisonnement et devant faire face, depuis leur libération, à de multiples difficultés pour retrouver une vie normale.
Le moins que l’on puisse dire est que l’attente a été plus que déçue. Passe que le Garde des Sceaux n’ait pas évoqué le sort d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri. On savait qu’il en était empêché car, avant de devenir Monsieur le ministre, il avait été Maître Dupond-Moretti, défenseur d’Yvan Colonna, et que cela lui interdisait, aux termes d’un décret du 23 octobre 2020, de connaître ou commenter des actes de l’autorité judiciaire concernant des parties dont il avait été l'avocat ou des affaires dont il a avait eu à connaître en sa qualité d'avocat.
Mais était-ce de nature à lui interdire d’évoquer dans sa globalité le dossier Prisonniers politiques ou de répondre aux questions précises maintes fois posées par les collectifs dénonçant une dérive maffieuse ? A priori, non ! En tant que ministre ayant en charge ces dossiers et aussi d’ailleurs en tant qu’acteur politique de premier plan, il lui incombait de s’exprimer ou de répondre ! Ce qui conduit à poser la question suivante : pourquoi diable, s’il ne voulait rien dire ou n’avait rien à dire sur des problématiques concernant au premier chef notre île, le Garde des Sceaux est-il venu passer deux jours chez nous ?

En service commandé pour l'Etat

Réponse : le Garde des Sceaux était en service commandé et avait deux missions.
La première était de souligner, un peu comme un VRP (avec un certain talent, il convient de le reconnaître), que l’Etat est bien présent en Corse et entend le rester fortement malgré les mobilisations et les manifestations du printemps dernier ayant remis en cause son action et même sa légitimité, malgré un corps électoral qui a majoritairement maintes fois opté pour des listes ou des candidats arborant des couleurs nationalistes, malgré un processus Darmanin étant censé conduire la Corse vers davantage d’autonomie par rapport au pouvoir central. La mission d’affirmer la présence de l’Etat a d’ailleurs représenté un fil conducteur tout au long de la visite.
En rencontrant longuement tous les personnels des Palais de Justice d’Aiacciu et de Bastia, le Garde des Sceaux leur a signifié que l’Etat était à leurs côtés afin de les conforter dans un ressenti du bien-fondé de leur action et de les encourager à assumer pleinement leurs missions. En se rendant sur les lieux de l’incendie causé dans les locaux du Palais de Justice d’Aiacciu par des manifestant et en annonçant que plus de 600 000 € étaient mobilisés pour financer la remise en état, le Garde des Sceaux a donné à voir que l’Etat n’entendait ni céder un pouce de terrain, ni se désengager. En saluant le travail des personnels à Aiacciu et Bastia (notamment en relevant la diminution du nombre d’affaires non traitées), le Garde des Sceaux a souligné qu’outre être présent, l’Etat savait être efficace. Enfin, en énonçant depuis Aiacciu et Bastia, une somme de mesures ou d’informations relevant de l’action de son ministère au niveau national (budget 2023 en hausse de 8%, engagement qu’aucune Cour d’appel ne sera supprimée, recrutement de 8500 personnels supplémentaires …), le Garde des Sceaux a clairement indiqué que son action ministérielle et la Justice relevant toutes deux du régalien, étaient autant chez elles en Corse que place Vendôme.
La seconde mission du Garde des Sceaux était de chaperonner. Il s’en est acquitté à merveille en installant aussi solennellement que médiatiquement une première présidente de la cour d'appel dont la nomination avait été contestée par l'Union syndicale de magistrats (USM). Rien ni personne n’a manqué pour que le chaperonnage soit réussi. Même l'ancienne Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, était de la partie ! La bénéficiaire de l’opération Hélène Davo a bien essayé de faire croire que sa nomination n’était rien que de très normal voire banal en affirmant : « J'ai été très bien accueillie par l'ensemble de mes collègues. Ma nomination n'est pas politique. » Mais aucun observateur n’a osé avancer ou même suggérer qu’elle disait vrai. Mais qu’importe au fond de savoir si Hélène Davo a été nommée ou non selon le bon plaisir d’Emmanuel Macron. Il serait bien plus intéressant de connaître le pourquoi de cette nomination ; surtout si l’on prend en compte que l’intéressée avant de poser ses valise chez nous, a été, entre 2012 et 2017, magistrate de liaison à Madrid avec pour mission de contribuer à apaiser les tensions entre la France et l’Espagne au sujet du traitement judiciaire du « terrorisme basque ».

Service minimum pour la Corse

Concernant les problématiques spécifiques de la Corse, la visite du Garde des Sceaux a été placée sous le signe du service minimum. Il s’est certes rendu dans le locaux du Girtec - l’organisme aidant les notaires à disposer des informations nécessaires à la création des titres de propriété, notamment quand ces professionnelles sont confrontés à l’indivision - pour assurer les salariés que la volonté de l’Etat était de pérenniser leur mission. Cependant, même si l’on peut raisonnablement considérer qu’il débouchera sur une issue favorable, cet engagement devra encore recevoir l’aval des ministres des Finances et de l'Intérieur car il représente pour l'État un coût annuel prévisible d’un million d'euros.
Le Garde des Sceaux aussi affirmé avoir conscience de l’existence d’un grand banditisme et affirmé que pour lui l’usage du mot « mafieux » n'était pas tabou. Mais il n’a pas apporté de réponses claires aux questions et demandes des collectifs dénonçant une dérive maffieuse. En effet, il s’en est tenu à exprimer des généralités et à de belles paroles : « Ces phénomènes nous inquiètent et nous faisons tout pour les combattre (…) Il faut renforcer les moyens de tout ce qui est en charge de lutter contre la délinquance qui gangrène cette île. Les gens, ici, ont le droit de vivre dans la tranquillité, c’est impérieux ! »
Une fois n’est pas coutume, les organisations nationalistes n’ont pas fait part d’une grande déception. Elle n’ont pas éprouvé le besoin de la faire non pas parce qu’elle étaient satisfaites mais parce qu’elles avaient anticipé en tirant à boulets rouges sur la visite du Garde des sceaux avant même son arrivée.
Femu a Corsica avait jugé la visite « totalement incompréhensible » du fait que le Garde des Sceaux allait passer deux jours dans l’île sans aborder des questions ayant été, au cours des premières réunions du processus Darmanin, désignées essentielles : libération conditionnelle d'Alain Ferrandi et de Pierre Alessandri, arrêt des poursuites abusives contre des militants nationalistes, fin de l'inscription au Fijait des anciens prisonniers politiques, suppression des amendes et dommages-intérêts demandés à ces mêmes prisonniers.
Le Partitu di a Nazione Corsa avait souligné que ne devant pas aborder la question de la libération des prisonniers politiques, la visite ressemblerait à « un rendez-vous manqué ». Quant à Core in Fronte, dans une lettre ouverte, il avait dénoncé la visite comme étant une « énième provocation » après avoir énuméré huit point qui fâchent relevant selon ses militants de la « responsabilité engagée de l’Etat français » : exécution du prisonnier politique Yvan Colonna ; Parquet faisant systématiquement appel des décisions judiciaires favorables envers Alain Ferrandi et Pierre Alessandri ; rôle actif ou passif dans l’assassinat de militants nationalistes ; traitements d’exception infligés à l’encontre des patriotes corses incarcéré ; poursuites et harcèlements envers les anciens prisonniers politiques ; amalgame entre résistance corse et terrorisme islamiste ; rôle orienté et dévoyé de la police et de la justice en Corse contre le Mouvement National.

Pierre Corsi
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