La Tunisie dans les griffes du FMI
La crédibilité du président de la République tunisien est fragilisée.
La Tunisie dans les griffes du FMI
La crédibilité du président de la République tunisien est fragilisée. S’il ne parvient pas à redresser la barre en signant un accord avec le FMI, son pouvoir pourrait être menacé.
En Tunisie, en janvier, le taux moyen d’inflation prévisible pour 2022 était de + 6,7%. Après que la guerre entre la Russie et l’Ukraine ait éclaté et que les exportations de produits agricoles ukrainiens bruts ou transformés aient été bloquées, ce taux a atteint + 7,5 % au printemps et + 8 % durant l’été, et cette inflation a été accompagnée de pénuries qui ont notamment concerné l’huile végétale, lasemoule et la farine (denrées subventionnées par l’État car représentant la base de l’alimentation en Tunisie). L’inflation et les pénuries ont particulièrement affecté les catégories de la population disposant des revenus les plus faibles. Elles ont aussi eu un impact négatif sur l’activité économique. Des usines de l’agroalimentaire ont dû réduire ou mettre à l’arrêt leur production. Des milliers d’employés ont été mis au chômage technique. La filière laitière a été particulièrement touchée. En effet, à cause de la hausse des prix mondiaux de l’alimentation animale (maïs et soja ont augmenté à l’import de 30 % à 40 % du fait de la guerre en Ukraine), le coût de la production d’un litre de lait, bien qu’elle soit subventionnée par l’État, est aujourd’hui supérieur à son prix de vente. Ce qui a conduit de nombreux petits producteurs à renoncer à leur activité.
L’Algérie a sucré le pays
Cet été, c’est le sucre qui est venu à manquer. Ce qui a inquiété les consommateurs et, pire, a mis en danger la pérennité de nombreuses entreprises et de milliers d’emplois dans la biscuiterie, la confiserie, la fabrication de jus de fruits et de sodas. Début septembre, le secrétaire général de la Chambre syndicale du tourisme, du commerce et des industries alimentaires d’un des gouvernorats tunisiens, a ainsi confié son inquiétude aux médias : « Les usines de jus fruits, de yoghourt et de boissons gazeuses ainsi que les biscuiteries vont s’arrêter par manque de sucre. » Le pire a heureusement été évité. En effet, le 5 octobre dernier, le président de la Chambre syndicale tunisienne des grandes surfaces a assuré que le sucre était à nouveau disponible dans les rayons de la grande distribution et que dans le secteur de la production agro-alimentaire, le retour à la normale de l’approvisionnement en sucre serait l’affaire de quelques jours. L’aide de l’Algérie a été déterminante pour mettre fin à la crise. Fin septembre, 20 000 tonnes de sucre ont été importées depuis ce pays.
Montée du mécontentement
Ce retour à la normale concernant l’offre de sucre a certes satisfait la population. Cependant, de plus en plus de Tunisiens font part de leur mécontentement car l’inflation n’est pas jugulée et car le petitcommerce et la grande distribution sont contraints de rationner la vente de produits locaux ou importés. Par ailleurs, de nombreux acteurs économiques pointent du doigt l’incapacité de l’Etat à mettre en place un stock stratégique de produits alimentaires et à mobiliser des ressources financières pour en importer. Étant mises en cause, les autorités tentent de reporter sur d’autres la responsabilitéde l’inflation et des pénuries. A la fin du mois d’août, le ministre des Affaires sociales a invoqué un rapport de causalité entre d’une part la guerre en Ukraine et d’autre part les « perturbations des chaînes d'approvisionnement » et la hausse des prix des denrées. En septembre, le président de la République Kaïs Saïed a dénoncé les « agissements des spéculateurs et de ceux qui détiennent les monopoles » et exigé que soit renforcée la lutte contre le marché noir.
Le pouvoir fragilisé
Mais selon plusieurs économistes tunisiens, le discours politique ne reflète pas la situation critique de l’économie de leur pays. Ils considèrent que les pénuries sont surtout dues « aux problèmes financiers », notamment la faiblesse des réserves de devises, qui interdisent à l'État d’importer des quantitéssuffisantes de denrées, et que l’inflation résulte beaucoup de cette raréfaction de l’offre. Ce qui est accréditée par le fait que la Tunisie négocie depuis des mois avec le Fonds monétaire international (FMI) pour tenter d’obtenir un prêt de quatre milliards de dollars. La crédibilité du président Kaïs Saïed qui cumule tous les pouvoirs depuis près d’un an et a beaucoup communiqué sur le besoin d’en disposer pour parvenir à redresser l’économie, est d’évidence fragilisée. S’il ne parvient pas à redresser la barre en signant un accord avec le FMI (sans doute au prix de gestes de démocratisation exigés par les pays occidentaux et surtout d’une restructuration de l’économie passant par des mesures d’austérité), son pouvoir pourrait être menacé. Et le temps pour réagir lui est compté car, selon des données très récentes de la Banque centrale de Tunisie, les avoirs en devises de la Tunisie ne couvrent plus que 107 jours d’importations de biens et services et car les agences de notation ont d’ores et déjà alerté sur un risque de défaut de paiement du pays.
Alexandra Sereni
La crédibilité du président de la République tunisien est fragilisée. S’il ne parvient pas à redresser la barre en signant un accord avec le FMI, son pouvoir pourrait être menacé.
En Tunisie, en janvier, le taux moyen d’inflation prévisible pour 2022 était de + 6,7%. Après que la guerre entre la Russie et l’Ukraine ait éclaté et que les exportations de produits agricoles ukrainiens bruts ou transformés aient été bloquées, ce taux a atteint + 7,5 % au printemps et + 8 % durant l’été, et cette inflation a été accompagnée de pénuries qui ont notamment concerné l’huile végétale, lasemoule et la farine (denrées subventionnées par l’État car représentant la base de l’alimentation en Tunisie). L’inflation et les pénuries ont particulièrement affecté les catégories de la population disposant des revenus les plus faibles. Elles ont aussi eu un impact négatif sur l’activité économique. Des usines de l’agroalimentaire ont dû réduire ou mettre à l’arrêt leur production. Des milliers d’employés ont été mis au chômage technique. La filière laitière a été particulièrement touchée. En effet, à cause de la hausse des prix mondiaux de l’alimentation animale (maïs et soja ont augmenté à l’import de 30 % à 40 % du fait de la guerre en Ukraine), le coût de la production d’un litre de lait, bien qu’elle soit subventionnée par l’État, est aujourd’hui supérieur à son prix de vente. Ce qui a conduit de nombreux petits producteurs à renoncer à leur activité.
L’Algérie a sucré le pays
Cet été, c’est le sucre qui est venu à manquer. Ce qui a inquiété les consommateurs et, pire, a mis en danger la pérennité de nombreuses entreprises et de milliers d’emplois dans la biscuiterie, la confiserie, la fabrication de jus de fruits et de sodas. Début septembre, le secrétaire général de la Chambre syndicale du tourisme, du commerce et des industries alimentaires d’un des gouvernorats tunisiens, a ainsi confié son inquiétude aux médias : « Les usines de jus fruits, de yoghourt et de boissons gazeuses ainsi que les biscuiteries vont s’arrêter par manque de sucre. » Le pire a heureusement été évité. En effet, le 5 octobre dernier, le président de la Chambre syndicale tunisienne des grandes surfaces a assuré que le sucre était à nouveau disponible dans les rayons de la grande distribution et que dans le secteur de la production agro-alimentaire, le retour à la normale de l’approvisionnement en sucre serait l’affaire de quelques jours. L’aide de l’Algérie a été déterminante pour mettre fin à la crise. Fin septembre, 20 000 tonnes de sucre ont été importées depuis ce pays.
Montée du mécontentement
Ce retour à la normale concernant l’offre de sucre a certes satisfait la population. Cependant, de plus en plus de Tunisiens font part de leur mécontentement car l’inflation n’est pas jugulée et car le petitcommerce et la grande distribution sont contraints de rationner la vente de produits locaux ou importés. Par ailleurs, de nombreux acteurs économiques pointent du doigt l’incapacité de l’Etat à mettre en place un stock stratégique de produits alimentaires et à mobiliser des ressources financières pour en importer. Étant mises en cause, les autorités tentent de reporter sur d’autres la responsabilitéde l’inflation et des pénuries. A la fin du mois d’août, le ministre des Affaires sociales a invoqué un rapport de causalité entre d’une part la guerre en Ukraine et d’autre part les « perturbations des chaînes d'approvisionnement » et la hausse des prix des denrées. En septembre, le président de la République Kaïs Saïed a dénoncé les « agissements des spéculateurs et de ceux qui détiennent les monopoles » et exigé que soit renforcée la lutte contre le marché noir.
Le pouvoir fragilisé
Mais selon plusieurs économistes tunisiens, le discours politique ne reflète pas la situation critique de l’économie de leur pays. Ils considèrent que les pénuries sont surtout dues « aux problèmes financiers », notamment la faiblesse des réserves de devises, qui interdisent à l'État d’importer des quantitéssuffisantes de denrées, et que l’inflation résulte beaucoup de cette raréfaction de l’offre. Ce qui est accréditée par le fait que la Tunisie négocie depuis des mois avec le Fonds monétaire international (FMI) pour tenter d’obtenir un prêt de quatre milliards de dollars. La crédibilité du président Kaïs Saïed qui cumule tous les pouvoirs depuis près d’un an et a beaucoup communiqué sur le besoin d’en disposer pour parvenir à redresser l’économie, est d’évidence fragilisée. S’il ne parvient pas à redresser la barre en signant un accord avec le FMI (sans doute au prix de gestes de démocratisation exigés par les pays occidentaux et surtout d’une restructuration de l’économie passant par des mesures d’austérité), son pouvoir pourrait être menacé. Et le temps pour réagir lui est compté car, selon des données très récentes de la Banque centrale de Tunisie, les avoirs en devises de la Tunisie ne couvrent plus que 107 jours d’importations de biens et services et car les agences de notation ont d’ores et déjà alerté sur un risque de défaut de paiement du pays.
Alexandra Sereni