Avi Mograbi, cinéaste israélien
Réquisitoire contre l'occupation !
Avi Mograbi, cinéaste israélien
Réquisitoire contre l’occupation !
« Les 54 premières années – Manuel abrégé d’occupation militaire. » d’Avi Mograbi. Ce film documentaire projeté au festival Arte Mare nous vaut un réquisitoire implacable contre l’occupation de la Cisjordanie par Tsahal.
Barbiche faustienne, sourcils hérissés, Avi Mograbi délivre un mode d’emploi à l’attention de ceux qui voudraient occuper un pays qui n’est pas le leur, en l’occurrence la Palestine. Ironie professorale cinglante le cinéaste enchaîne des témoignages de militaires israélien – hauts gradés et appelés. Des témoignages accablants et pour certains d’une cruauté intolérable. En Cisjordanie on vit sous l’autorité de l’armée israélienne qui décide de ce qui est bon et de ce qui ne l’est pas… à une lieue au-dessus d’une administration palestinienne qui … n’administre que des ronds de serviette !
Avi Mograbi s’intéresse surtout à la période qui a suivi la guerre des Six jours en 1967 pendant laquelle Israël s’est emparé de la rive ouest du Jourdain (Cisjordanie), de Gaza, du Sinaï, du Golan. Si le Sinaï a été restitué à l’Egypte, si Gaza n’est plus sous la férule directe de Tel Aviv officiellement, peu de choses dans les faits ont été synonymes de changement. Le plateau du Golan syrien a été purement et simplement annexé… à un moment on y pratiquait le ski, si on était Israélien. Quant à Gaza, c’est pratiquement le blocus permanent ponctué d’Opérations Plomb fondu en Plomb durci décidées par Israël afin de mettre les Gazaouis au pas.
Grâce à des images d’archives on a aussi l’opportunité de voir quelques séquences de la Nakba (catastrophe) qui a chassé de chez eux les palestiniens au moment de la création d’Israël en 1948. Moins de vingt ans après l’armée israélienne déclenche les hostilités contre l’Egypte, la Syrie, la Jordanie et outre les territoires déjà cités, « réunifie » Jérusalem avec ses quartiers arabes. Depuis lors le processus d’accaparation des terres palestiniennes va s’accélérer dans et autour de la ville sainte ainsi qu’en Cisjordanie. Le film de Mograbi n’est pas sans évoquer la guerre d’Algérie avec ses ratissages, ses déplacements de population, ses liquidations expéditives, ses exactions de toutes sortes, avec surtout sa dimension colonialiste. Représailles. Punitions collectives. Dynamitages de maisons. Tortures exercées par la Shabak – sécurité intérieure israélienne. Tabassages à la matraque. Arrestations et détentions arbitraires. Obstacle à la libre circulation des Palestiniens. Actions militaires préventives contre des poches supposées de résistance. La mainmise déployée par Tsahal en Cisjordanie est impressionnante tandis que côté Israël on vit en… démocratie. Alors vient à l’esprit cette réflexion de Marx : « Un peuple qui en opprime un autre, ne saurait être libre ». Ne serait-il pas temps de mettre au point un autre logiciel ?!
• Michèle Acquaviva-Pache
• Le film d’Avi Mograbi est visible sur Facebook en libre accès. Il existe en trois versions : hébreu, français, anglais.
ENTRETIEN AVEC AVI MOGRABI
Les témoignages des militaires, qui interviennent dans votre film, ont été recueillis par l’ONG, « Briser le silence ».
Quand et comment est née cette organisation ?« Briser le silence » a été créée par de jeunes militaires - souvent des appelés – qui voulaient faire connaitre ce qu’on leur avait ordonné de perpétrer en Cisjordanie et à Gaza. C’était en 2004. L’un des fondateurs de cette ONG est Miki Krazman dont le but était d’organiser une exposition à partir de documents photographiques et vidéo pris par des soldats dans les territoires occupés. Des documents… accablants. Si « Briser le silence » n’est pas intrinsèquement lié au « Mouvement la Paix Maintenant », tous les organismes qui œuvrent à la fin des hostilités ont un objectif commun.
Certains visages d’intervenants sont floués, est-ce parce qu’ils sont encore d’active ?
Non. L’un d’eux, qui a exécuté un Palestinien, a commis un crime de guerre et ne veut pas dévoiler ses traits. Un autre est un colon de Cisjordanie et préfère n’être pas repérer par des Palestiniens.
Y-aurait-il de « gentils » colons ?Je refuse les généralisations ! Je suis contre les globalisations !
L’objection de conscience n’est pas très développée chez nous et ne l’a jamais été. A l’heure actuelle il y a quatre objecteurs incarcérés. En 2005, ça a été le cas d’un de mes fils, qui a fait quatre mois de prison…Les objecteurs de conscience vont toujours en détention.
L’occupation militaire a-t-elle été de plus en plus violente ?
Dès 1948, date de la création d’Israël, l’occupation des terres palestiniennes a été d’une rare violence. Dans mon film il y a des témoignages en ce sens. Mais maintenant, pour moi, elle est insoutenable. D’ailleurs lorsqu’un Palestinien proteste contre elle, il risque automatiquement sa vie.
Un point limite a-t-il été atteint ?
Je ne pense pas. Car en Israël il y a une telle soif de s’approprier les terres des Palestiniens, une telle avidité de se les accaparer que ça va continuer. En outre la communauté internationale, Amérique et Europe en tête, se lave les mains de ce qui peut survenir en Palestine. Les Israéliens ont donc toute latitude de gérer les choses à leur gré.
Dans votre film vous insistez sur le distinguo entre autoadministration et autodétermination. Est-ce capital de mettre ainsi les points sur les « i » ?
Dans le cas de l’autoadministration, ainsi en Cisjordanie, il s’agit de décider qui va faire la vaisselle après le repas ! Dans un schéma d’auto-détermination on décide de qui fait quoi dans la famille… Si on peut avoir le contrôle de soi… Si on est libre de partir ou de rester…
L’option de deux états est-elle forclose ?
Elle n’est plus réaliste. Il y a en Cisjordanie 2 millions et demi de Palestiniens et 600 000 colons israéliens, ce constat n’est pas dépassable. A Gaza vivent 2 millions et demi de Palestiniens, assiégés depuis quinze ans par l’armée d’Israël. C’est la plus grande prison à ciel ouvert du monde… S’il y avait instauration de deux états, il faudrait réunir la Cisjordanie à Gaza ce qu’Israël n’acceptera jamais !
Alors qu’elle est l’issue ?
Je ne suis pas optimiste. Il faudrait qu’Israël change complètement par rapport au Moyen-Orient. Personnellement, je ne vois pas Israël modifier son attitude.
Peut-on parler d’apartheid en Cisjordanie ?
Les Israéliens vivent en démocratie. Les Palestiniens sont régis par la loi militaire. C’est deux mondes différents. Séparés.
De quand date le dérapage d’Israël ?
De la guerre des Six jours en 1967 et de l’annexion de Gaza, du plateau du Golan, de la Cisjordanie, du Sinaï ?
Tel était le projet initial du sionisme.
Etes-vous antisioniste ?Je suis non sioniste… Mais je suis israélien et non contre l’état d’Israël. Depuis des années j’ai compris que le problème c’était le sionisme car c’est un mouvement colonialiste.
Pourquoi l’extrême droite ne cesse-t-elle pas de gagner en audience ?C’est le même phénomène qu’en France, qu’aux Etats-Unis et ailleurs.
Le poids des extrémistes religieux peut-il être freiné ? Pour moi, ce sont les fascistes qui sont à incriminer, pas les religieux.
L’arabe n’est plus langue nationale en Israël. Quel impact sur les Palestiniens ?Ils ont encore plus l’impression d’être rejetés parce que la langue arabe a un poids au niveau symbolique et au plan quotidien. C’est un signe supplémentaire qu’on leur refuse le respect.
Propos recueillis par M.A-P
Réquisitoire contre l’occupation !
« Les 54 premières années – Manuel abrégé d’occupation militaire. » d’Avi Mograbi. Ce film documentaire projeté au festival Arte Mare nous vaut un réquisitoire implacable contre l’occupation de la Cisjordanie par Tsahal.
Barbiche faustienne, sourcils hérissés, Avi Mograbi délivre un mode d’emploi à l’attention de ceux qui voudraient occuper un pays qui n’est pas le leur, en l’occurrence la Palestine. Ironie professorale cinglante le cinéaste enchaîne des témoignages de militaires israélien – hauts gradés et appelés. Des témoignages accablants et pour certains d’une cruauté intolérable. En Cisjordanie on vit sous l’autorité de l’armée israélienne qui décide de ce qui est bon et de ce qui ne l’est pas… à une lieue au-dessus d’une administration palestinienne qui … n’administre que des ronds de serviette !
Avi Mograbi s’intéresse surtout à la période qui a suivi la guerre des Six jours en 1967 pendant laquelle Israël s’est emparé de la rive ouest du Jourdain (Cisjordanie), de Gaza, du Sinaï, du Golan. Si le Sinaï a été restitué à l’Egypte, si Gaza n’est plus sous la férule directe de Tel Aviv officiellement, peu de choses dans les faits ont été synonymes de changement. Le plateau du Golan syrien a été purement et simplement annexé… à un moment on y pratiquait le ski, si on était Israélien. Quant à Gaza, c’est pratiquement le blocus permanent ponctué d’Opérations Plomb fondu en Plomb durci décidées par Israël afin de mettre les Gazaouis au pas.
Grâce à des images d’archives on a aussi l’opportunité de voir quelques séquences de la Nakba (catastrophe) qui a chassé de chez eux les palestiniens au moment de la création d’Israël en 1948. Moins de vingt ans après l’armée israélienne déclenche les hostilités contre l’Egypte, la Syrie, la Jordanie et outre les territoires déjà cités, « réunifie » Jérusalem avec ses quartiers arabes. Depuis lors le processus d’accaparation des terres palestiniennes va s’accélérer dans et autour de la ville sainte ainsi qu’en Cisjordanie. Le film de Mograbi n’est pas sans évoquer la guerre d’Algérie avec ses ratissages, ses déplacements de population, ses liquidations expéditives, ses exactions de toutes sortes, avec surtout sa dimension colonialiste. Représailles. Punitions collectives. Dynamitages de maisons. Tortures exercées par la Shabak – sécurité intérieure israélienne. Tabassages à la matraque. Arrestations et détentions arbitraires. Obstacle à la libre circulation des Palestiniens. Actions militaires préventives contre des poches supposées de résistance. La mainmise déployée par Tsahal en Cisjordanie est impressionnante tandis que côté Israël on vit en… démocratie. Alors vient à l’esprit cette réflexion de Marx : « Un peuple qui en opprime un autre, ne saurait être libre ». Ne serait-il pas temps de mettre au point un autre logiciel ?!
• Michèle Acquaviva-Pache
• Le film d’Avi Mograbi est visible sur Facebook en libre accès. Il existe en trois versions : hébreu, français, anglais.
ENTRETIEN AVEC AVI MOGRABI
Les témoignages des militaires, qui interviennent dans votre film, ont été recueillis par l’ONG, « Briser le silence ».
Quand et comment est née cette organisation ?« Briser le silence » a été créée par de jeunes militaires - souvent des appelés – qui voulaient faire connaitre ce qu’on leur avait ordonné de perpétrer en Cisjordanie et à Gaza. C’était en 2004. L’un des fondateurs de cette ONG est Miki Krazman dont le but était d’organiser une exposition à partir de documents photographiques et vidéo pris par des soldats dans les territoires occupés. Des documents… accablants. Si « Briser le silence » n’est pas intrinsèquement lié au « Mouvement la Paix Maintenant », tous les organismes qui œuvrent à la fin des hostilités ont un objectif commun.
Certains visages d’intervenants sont floués, est-ce parce qu’ils sont encore d’active ?
Non. L’un d’eux, qui a exécuté un Palestinien, a commis un crime de guerre et ne veut pas dévoiler ses traits. Un autre est un colon de Cisjordanie et préfère n’être pas repérer par des Palestiniens.
Y-aurait-il de « gentils » colons ?Je refuse les généralisations ! Je suis contre les globalisations !
L’objection de conscience n’est pas très développée chez nous et ne l’a jamais été. A l’heure actuelle il y a quatre objecteurs incarcérés. En 2005, ça a été le cas d’un de mes fils, qui a fait quatre mois de prison…Les objecteurs de conscience vont toujours en détention.
L’occupation militaire a-t-elle été de plus en plus violente ?
Dès 1948, date de la création d’Israël, l’occupation des terres palestiniennes a été d’une rare violence. Dans mon film il y a des témoignages en ce sens. Mais maintenant, pour moi, elle est insoutenable. D’ailleurs lorsqu’un Palestinien proteste contre elle, il risque automatiquement sa vie.
Un point limite a-t-il été atteint ?
Je ne pense pas. Car en Israël il y a une telle soif de s’approprier les terres des Palestiniens, une telle avidité de se les accaparer que ça va continuer. En outre la communauté internationale, Amérique et Europe en tête, se lave les mains de ce qui peut survenir en Palestine. Les Israéliens ont donc toute latitude de gérer les choses à leur gré.
Dans votre film vous insistez sur le distinguo entre autoadministration et autodétermination. Est-ce capital de mettre ainsi les points sur les « i » ?
Dans le cas de l’autoadministration, ainsi en Cisjordanie, il s’agit de décider qui va faire la vaisselle après le repas ! Dans un schéma d’auto-détermination on décide de qui fait quoi dans la famille… Si on peut avoir le contrôle de soi… Si on est libre de partir ou de rester…
L’option de deux états est-elle forclose ?
Elle n’est plus réaliste. Il y a en Cisjordanie 2 millions et demi de Palestiniens et 600 000 colons israéliens, ce constat n’est pas dépassable. A Gaza vivent 2 millions et demi de Palestiniens, assiégés depuis quinze ans par l’armée d’Israël. C’est la plus grande prison à ciel ouvert du monde… S’il y avait instauration de deux états, il faudrait réunir la Cisjordanie à Gaza ce qu’Israël n’acceptera jamais !
Alors qu’elle est l’issue ?
Je ne suis pas optimiste. Il faudrait qu’Israël change complètement par rapport au Moyen-Orient. Personnellement, je ne vois pas Israël modifier son attitude.
Peut-on parler d’apartheid en Cisjordanie ?
Les Israéliens vivent en démocratie. Les Palestiniens sont régis par la loi militaire. C’est deux mondes différents. Séparés.
De quand date le dérapage d’Israël ?
De la guerre des Six jours en 1967 et de l’annexion de Gaza, du plateau du Golan, de la Cisjordanie, du Sinaï ?
Tel était le projet initial du sionisme.
Etes-vous antisioniste ?Je suis non sioniste… Mais je suis israélien et non contre l’état d’Israël. Depuis des années j’ai compris que le problème c’était le sionisme car c’est un mouvement colonialiste.
Pourquoi l’extrême droite ne cesse-t-elle pas de gagner en audience ?C’est le même phénomène qu’en France, qu’aux Etats-Unis et ailleurs.
Le poids des extrémistes religieux peut-il être freiné ? Pour moi, ce sont les fascistes qui sont à incriminer, pas les religieux.
L’arabe n’est plus langue nationale en Israël. Quel impact sur les Palestiniens ?Ils ont encore plus l’impression d’être rejetés parce que la langue arabe a un poids au niveau symbolique et au plan quotidien. C’est un signe supplémentaire qu’on leur refuse le respect.
Propos recueillis par M.A-P