Nationalisme : grand retour sur le terrain ?
L'actualité récente autorise à penser que la suite de lk'histoire du nationalisme contemporain n'est pas condamnée à n'avoir pour cadre qu'un hémicycle ajaccien.....
Nationalisme : grand retour sur le terrain ?
L’actualité récente autorise à penser que la suite de l’histoire du nationalisme contemporain n’est pas condamnée à n’avoir pour cadre qu’un hémicycle ajaccien et des salles de réunion de ministères parisiens, et pour perspective l’obtention de miettes auprès du bon vouloir élyséen.
En décembre 2015 et 2017 puis en juin 2021, les nationalistes ont gagné les élections territoriales. En 2017 et 2021, à l’issue de ces scrutins, ils ont obtenu des majorité absolues. En juin 2017 et 2022, trois d’entre eux ont été élus députés. En septembre 2020, un des leurs a été élu sénateur. Les nationalistes sont aussi aux commandes de communes et d’intercommunalités. Par ailleurs, leurs succès électoraux les ont mis en situation d’être à la tête de nombreux organismes publics.
Enfin, à ce jour, dans l’hémicycle de l’Assemblée de Corse, les nationalistes représentent à la fois la majorité absolue (Femu à Corsica) et deux des trois forces d’opposition (Partitu di a Nazione Corsa, Core in Fronte). Depuis bientôt sept ans, les nationalistes bénéficient donc de la confiance durable de l’électorat, du pouvoir décisionnel à partir de compétences importantes, de ressources budgétaires conséquentes ainsi que de la faiblesse des partis nationaux.
Pourtant, si l’on tire aujourd’hui un bilan de leur action, le résultat est loin d’être flatteur. Bien entendu, il ne s’agit pas de faire porter aux élus nationalistes l’entière responsabilité de tout ce qui n’a pas été réalisé ou n’a pas été une réussite. A leur décharge, ils n’ont pas toujours eu la partie belle. Il leur a fallu assumer les passifs et les insuffisances des gestions ayant précédé les leurs. Ils ont dû composer avec un État qui, depuis Paris ou le Palais Lantivy, leur a souvent savonné la planche.
Mais, tout en reconnaissant la réalité de réussites ponctuelles ou locales, notamment à l’échelle communale, il est temps de relever qu’en sept ans, à l’échelle de la Corse, les nationalistes ont été incapables d’imprimer un véritable changement de cap, d’apporter des solutions à des dossiers sensibles et, surtout, de créer les conditions d’un épanouissement du Peuple corse sur sa terre.
Il est d’autant plus temps de relever tout cela que, depuis plus d’un an, le pouvoir nationaliste aux commandes de la Collectivité de Corse incarné par les élus Femu a Corsica, ne parvient : ni à corriger le tir alors qu’il n’est plus tributaire de partenaires (Partitu di a Nazione Corsa, Corsica Libera) dont il avait expliqué devoir se séparer pour aller de l’avant à la fois vite et bien ; ni à se faire respecter et entendre à Paris.
Sont en panne ou avancent à la vitesse de l’escargot obèse : les grands chantiers (Traitement des déchets, Réseau routier du rural, Port de Bastia, extension du réseau ferré… ) et les dossiers emblématiques de décennies de combats nationalistes (Libération des prisonniers politiques, Arrêts des poursuites judiciaires et des recouvrement ayant été la conséquence d’actions militantes, Fiscalité dérogatoire, Généralisation de l’usage de la langue, Corsisation des emplois, Office du retour des Corses de l’Extérieur, Compagnie publique corse de transport maritime…). Est mal engagée : l’évolution institutionnelle. Paris la sabote, tous les partis politiques avancent des pions selon des schémas de jeu différents, les lobbies et les groupes de pression s’agitent pour faire valoir leurs propres intérêts, 82 % des habitants de notre île considèrent que le débat sur l’autonomie ne prend guère en compte leur préoccupations (selon un sondage récemment réalisé pour le mensuel Paroles de Corse).
En revanche, tout ce qui tend à déstructurer et faire disparaître la spécificité de la société corse a prospéré au fil des sept années qui se sont écoulées. En effet, la spéculation immobilière, la bétonisation, la grande distribution, le tout tourisme et la colonisation de peuplement sont devenus florissants.
Désenchantement, déception et désinvestissement ? Possible ! Mais par certain !
A qui et à quoi faut-il attribuer, côté corse, la responsabilité de tout cela ?
Il serait simpliste et injuste de faire porter le chapeau à un seul homme même s’il est à la barre depuis sept ans et si le leadership qui lui est reconnu font de lui une cible de choix. Il serait tout aussi simpliste et injuste de l’accuser de trahison, de compromission, de soumission ou de renoncement.
Sa démarche est conforme à ce qu’il a toujours promis : tenter d’aller vers la reconnaissance d’un statut d’autonomie et administrer la Corse selon des choix pacifiques, démocratiques, respectueux du verdict des urnes. En revanche, il n’est pas déraisonnable ou polémique de se montrer critique à l’encontre de la gouvernance que lui-même et ses amis mettent en œuvre. Celle-ci cède trop souvent à des pratiques de l’avant 2015 (lenteurs dans la réalisation des grands projets, au saupoudrage, au conformisme conduisant à coller aux recettes et aux codes des technocrates de Paris et de Bruxelles... ) Mais, à y bien regarder, ces concessions méritent d’être considérées avec indulgence car elles relèvent de l’exercice imposé.
En effet, les projets d’envergure inspiré par une vision stratégique globale et demandant une continuité dans l’action, sont souvent contrariés par des financeurs ne tenant pas toujours leurs promesses. Saupoudrer est fréquemment imposé par l’urgence. S’aligner sur la technocratie est une des clés qui ouvre la porte à l’obtention de financements.
En revanche, ce qui est plus que discutable dans l’actuelle gouvernance, c’est que des élus qui doivent leurs mandats à des décennies de combats nationalistes, et qui pour certains ont été au cœur de ces combats, en arrivent à ne plus susciter ou même solliciter des mobilisations populaires, à confisquer la parole, à verrouiller les débats, à recourir à des éléments de langage sans âme ni réel contenu, à accepter des alliances et des compromis avec des hommes et des pratiques de l’avant 2015.
Ce qui est discutable aussi, c’est le sentiment que ces élus, par faute d’une capacité ou d’une volonté de mobiliser, sont conduits à accepter, probablement à leur corps défendant, toutes les lignes rouges que leur oppose Paris.
Alors, le futur politique pour de nombreux militants, sympathisants et électeurs nationalistes, ne sera-t-il plus que désenchantement, déception et désinvestissement ? Possible ! Mais par certain ! L’actualité récente autorise à penser que la suite de l’histoire du nationalisme contemporain n’est pas condamnée à n’avoir pour cadre qu’un hémicycle ajaccien et des salles de réunion de ministères parisiens, et pour perspective l’obtention de miettes auprès du bon vouloir élyséen.
La récente prise de position combative des quatre principales organisations de jeunesse nationalistes (Ghjuventù Indipendentista, Ghjuventù Libera, Ghjuventù Paolina, Cunsulta di a Ghjuventù Corsa) incite à penser qu’une génération nouvelle croit aux mobilisations de terrain pour écrire son histoire et en sa capacité de porter et imposer la revendication fondamentale du nationalisme : Ricuniscenza di u Populu corsu.
Et pourquoi cette génération n’oserait-elle pas essayer de forcer le destin ? N’est-ce pas elle qui, en mars et avril derniers, en tenant la rue, a incité l’Etat à ouvrir un dialogue ? Ces derniers jours, à Sarrùla è Carcupinu, en manifestant contre un projet immobilier et commercial relevant selon eux d’une « logique mortifère qui sacrifie des régions à vocation pastorale et, en même temps, toute possibilité de véritable développement durable autour de l’activité économique dont la Corse a besoin, sur l’autel d’intérêts immédiats soutenus par des passe-droits ou des règles étrangères », en inscrivant cette action « dans un combat patriotique » et en parvenant à rassembler « toutes les sensibilités nationalistes », les femmes et les hommes du Cumitatu Naziunalistu di a Gravona ont eux aussi montré croire au combat sur le terrain.
Pour le nationalisme de terrain, tout n’est pas fini et peut-être que tout (re)commence.
Pierre Corsi