• Le doyen de la presse Européenne

Quand les Antillais étaient déportés en Corse par Napoléon

Présence d'esclaves antillais et haïtiens en Corse entre 1802 et 1814....

Quand des Antillais étaient déportés en Corse par Napoléon

On doit à Francis Arzalier docteur en histoire et professeur à l’École Normale de Beauvais puis à l’IUFM de Beauvais une étude sur la présence d’esclaves antillais et Haïtiens en Corse entre 1802 et 1814. Il avait été inspiré par les recherches de l’historien Jean Yves Coppolani, docteur émérite de droit à l’Université de Corse, qui dataient de 1989.



Le rétablissement de l’esclavage par Napoléon

En 1802, Napoléon décide de rétablir l’esclavage en Guadeloupe et à Haïti. Les raisons sont essentiellement économiques. Le commerce du sucre occupe une place éminente dans les colonies françaises et en métropole. Il fait alors déporter près de 1200 anciens esclaves, accusés de pouvoir devenir des obstacles à son projet, dans son île natale. Dans les navires qui mènent les malheureux à Brest et à Toulon se trouvent des femmes, des enfants, des militaires noirs ou métis et deux députés de la République. Les motivations de Napoléon ont également trait à son île natale. Il veut faire construire une route qui relie Ajaccio sa ville natale à Bocognano où il possède une riche parenté puis poursuivre jusqu’à Corte. Début novembre 1802, 84 déportés antillais arrivent à Ajaccio et sont rejoints par trois cent cinquante forçats de l’Île d’Elbe. Il en est prévu 1200 qui sont dispersés entre les ports de Saint-Florent, d’Ajaccio et de Bastia.

Payés le huitième d’un ouvrier et traités comme des forçats


Les déportés, pour la plupart condamnés à cinq ans de travaux forcés reçoivent une paie de vingt-cinq centimes soit le huitième de celle d’un ouvrier. Ils sont utilisés à des travaux de terrassement, mais aussi à la coupe de pin larici des forêts de Vizzavona et d’Aitone afin de fabriquer des mâts de navires construits dans le port de Toulon. Parmi ces déportés on trouve des bourgeois, des officiers, etc. accusés d’avoir lutté contre le rétablissement de l’esclavage. Il faut rappeler que Napoléon considérait les Noirs comme inférieurs et qu’il démit de ses fonctions le général Thomas Alexandre Dumas, père de l’écrivain, qui était un métis de Saint-Domingue. Ils sont considérés comme des forçats et une note administrative datée du 25 mars 1803 rappelle que « les Noirs doivent être nourris comme forçats à la fatigue ».

Le début de la route Ajaccio-Corte


Une première catégorie est celle qui était détenue au bagne. Les prisonniers survivent dans le dénuement le plus complet. Ils sont employés à la réfection du port d’Ajaccio. Le 18 juin 1803, l’ingénieur des Ponts et Chaussées, en charge des travaux, rend compte au Préfet de l’opération. Il explique que les hommes ont été divisés en deux classes distinctes. La deuxième catégorie est celle des déportés qui sont gardés à Bocognano où ils travaillent déjà à bâtir la route Corte-Ajaccio.

Paresseux, indociles pour les autorités, mais morts à la tâche


L’ingénieur des ponts et chaussée qui les dirige juge leur travail médiocre et n’a pas de mots assez durs pour les juger.
« Ces Américains sont naturellement paresseux et indociles, craignent peu les punitions qu’on leur inflige et préfèrent la condition la plus malheureuse à l’usage des moyens qui leur sont fournis pour la leur adoucir : ainsi le gouvernement qui a cru vraisemblablement, en les envoyant en Corse, les utiliser avec d’autant plus d’avantages que le climat de ce pays se rapproche le plus de celui sous lequel ils sont nés, dépensera des fonds immenses sans un succès sensible ».
Il les répartit donc en trois équipes : l’une assèche les marais, l’autre travaille à la route et la troisième, bien maigre en vérité, est envoyée en divers endroits de la Corse avant d’être dissoute à cause de la mortalité.

Une mortalité terrifiante et l’oubli


Francis Arzalier a tenté de connaître le taux de mortalité de ces bagnards qui ont notamment construit la route qui passe par le col de Vizzavona a été construite. Le manque de nourriture et les privations déciment les rangs des forçats sans qu’il y en ait de nombreuses traces dans les actes d’état civil d’Ajaccio et de Bocognano comme si ces êtres humains n’avaient pas existé. Les archives relevées par Francis Arzalier indiquent que 40 Guadeloupéens sont devenus domestiques, infirmiers, tambours de régiment ou encore couturière. Cinq d’entre eux et quatorze Haïtiens sont devenus artisans à Ajaccio. Une douzaine s’est évadée en passant en Sardaigne. Puis la Corse les a oubliés et n’a connu à un retour de mémoire que grâce à Jean Yves Coppolani, Francis Arzalier et un documentaire de Dominique Maestrati « Bonaparte côté noir » mettant en exergue le paradoxe qui voulut que l'île dont le drapeau s'ornait de la tête d'un Noir avait eu sa première grande voie de circulation édifiée par des esclaves noirs.

GXC
Partager :