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Rassemblement National : le localisme à l'assaut du nationalisme

Il se dessine un futur affrontement entre un nationalisme aux responsabilités et un localisme aspirant à y ac céder.
Rassemblement National : le localisme à l’assaut du nationalisme

Il se dessine un futur affrontement entre un nationalisme aux responsabilités et un localisme aspirant à y accéder. Il ne sera pas sans risque pour la mouvance nationaliste.

Le 28 février 1992, Jean-Marie Le Pen, alors président du Front National, était empêché par les nationalistes d'atterrir à Bastia puis de tenir un meeting à Aiacciu. Rares étaient alors les insulaires qui osaient afficher leur sympathie pour ce leader politique et son parti. Le 2 novembre dernier, à Aiacciu, Jordan Bardella a tranquillement pris la parole puis un verre dans une brasserie du quartier des Salines. Environ 150 militants et sympathisants étaient présents et ne se cachaient pas. En outre, autre preuve qu’être Rassemblement National est de plus en plus assumé voire affiché, il a été précisé que, depuis l’été, le parti avait bénéficié d’une centaine d’adhésions.
L’objet premier de la venue en Corse du président par intérim du Rassemblement National était d’inciter les adhérents insulaires à participer à l’élection devant désigner celui qui de lui ou du maire de Perpignan Louis Alliot remplacerait Marine Le Pen à la tête de leur parti.
En l’espace de trente ans, sur la terre de Corse, le parti des Le Pen, hier Front National, aujourd’hui Rassemblement National, est passé de l’état de paria à celui de formation politique ressentant être pleinement chez elle. Au vu de ses résultats électoraux, il est aisé de comprendre que le Rassemblement National considère désormais être chez nous comme un poisson dans l’eau.
Au printemps dernier, à l’issue du second tour des élections présidentielles, Marine Le Pen est arrivée en tête en Corse-du-Sud (58.31 %) et en Haute-Corse (57.87 %) et a notamment obtenu 58.80 % des suffrages exprimés à Aiacciu et 58.11 % à Bastia. Au printemps dernier également, à l’issue du premier tour des élections législatives, bien qu’étant quasiment dépourvu d’élus locaux et d’organisation militante, et avec trois sur quatre de ses candidats étant presque d’illustres inconnus, le Rassemblement National a dépassé 12 % des suffrages exprimés dans les quatre circonscriptions insulaires.


Une incidence dans la vie politique insulaire

Si l’on considère ses résultats locaux et aussi qu’au niveau national sa candidate Marine Le Pen, lors du second tour des élections présidentielles, a obtenu 13 288 686 de voix, soit 41,45 % des suffrages exprimés, et que de surcroît il dispose de 89 députes au Palais de Bourbon, il est désormais difficile de passer sous silence ou faire mine d’ignorer les influences idéologique et politique du Rassemblement National et leur éventuel impact sur l’opinion du public et les actes des décideurs. Que cela plaise ou non, les prises de position locales et nationales de ce parti auront, dans les temps qui viennent, une incidence dans la vie politique insulaire, et notamment dans le cadre du processus Darmanin. Jordan Bardella, qui a depuis été élu à la présidence de son parti par plus de 85 % des militants, n’a d’ailleurs pas manqué , à l’occasion de sa venue, de dire ce qu’il pensait concernant la Question Corse.
En effet, avec à ses côtés François Filoni, Délégué territorial Corse et Nathaly Antona, Déléguée territoriale adjointe Corse, il a précisé et développé son positionnement du parti. Celui-ci peut être résumé ainsi : le désormais président du Rassemblement National admet l’existence et l’expression de la spécificité corse si ceux qui les revendiquent acceptent de la définir comme étant une composante de l’identité française. « Nos compatriotes en Corse aiment défendre leur identité. La défense de l’identité française, même si elle a des particularités au sein de nos régions, est au cœur de mon engagement politique (…) Nous faisons le choix d'une Corse française, qui respecte aussi ce qu'a été la Corse et son identité qui, je crois, épouse parfaitement l'identité française. » a en effet affirmé Jordan Bardella.


Approche ouverte des dossiers corses

Evoquant le processus Darmanin, Jordan Bardella n’a pas mâché ses mots. En clair, il a dit y voir une démarche d’évitement et de renoncement : « La porte ouverte laissée par le gouvernement vise en fait à larguer la Corse puisqu'il est incapable de régler les problématiques d'ici ». Jordan Bardella n’a cependant pas rejeté l’idée d’une évolution institutionnelle. S’il a bien entendu affirmé exclure tout ce qui pourrait favoriser un accès à l’indépendance : « J'ai la volonté que la France reste la France, de la même manière que la Corse reste la Corse (…)
Nous pensons qu'en vérité les revendications des séparatistes viennent de l'incompétence de l'État à assurer ses missions régaliennes (…) Je respecte leur opinion mais je pense que c'est une mauvaise réponse. »
, il a ajouté : « Nous ne fermons pas la porte à des discussions pour un statut particulier de la Corse. » L’intéressé a aussi fait part d’une approche plutôt ouverte concernant le sort des prisonniers nationalistes. En effet, il ne s’est déclaré opposé ni à une solution négociée, ni à des libérations conditionnelles : « La justice s'est prononcée et je pense que la décision doit être respectée. Tout cela doit se négocier dans la discussion, nous sommes favorables à une discussion franche avec les représentants corses y compris les séparatistes.
Pour nous, il y a un droit qui s'applique à tous les détenus. Les Corses ne sont ni des sur-détenus, ni des sous-détenus. On ne doit pas les traiter différemment. Ces prisonniers ont des droits pour avoir une libération conditionnelle. Le droit doit s'appliquer. »



Décentralisation et régionalisme

Le positionnement exposé par Jordan Bardella indique que le Rassemblement National est favorable à une décentralisation et au régionalisme. Ce qui n’était pas évident il y quelques années quand Florian Philippot, alors bras droit de Marine Le Pen, avait imposé au Front National une orientation centralo- technocratique. Cette évolution est d’ailleurs déjà apparue ailleurs qu’en Corse. Le 20 octobre dernier, Laurent Jacobelli, député Rassemblement national de la Moselle, a déposé une proposition de loi devant l'Assemblée Nationale demandant que soit rétablie la région Alsace et mettant en exergue « l'attachement des Alsaciens à leur territoire et à leur culture ».
Cette évolution est aussi et sans doute surtout une traduction de l’influence d’un proche de Marine Le Pen : l’essayiste, économiste, homme d’affaires et député européen Hervé Juvin. Celui-ci instille une idéologie localiste dont la credo est que la « préférence locale » est le pendant naturel de la « préférence nationale ». Affichant être « breton » et « chrétien identitaire », celui-ci affirme : « On s'ouvre davantage au monde en sachant d'où l'on vient, plutôt qu'en étant un homme hors-sol. (…) On ne réussira pas à refaire un projet national qui fasse sens d'en haut. (...) Les choses font sens en termes d'emploi, en terme de qualité de vie, en terme d'environnement quand elles partent de la base. C'est de là qu'il faut repartir, sinon on n'y arrivera pas.»


Discours attractif

Le choix d’un positionnement localiste peut être interprété comme un retour au provincialisme cher à une partie de l’extrême-droite française depuis Maurras, Daudet et Mistral.
Cependant, il résulte sans doute davantage d’une prise de conscience par ses cadres dirigeants que conforter l’enracinement local du Rassemblement National passe nécessairement par une reconnaissances des revendications de pouvoir local et par un respect des cultures et langues régionales. Il apparaît d’ailleurs que les cadres corses du parti diffusent déjà un message empreint de localisme. Dans un dépliant dernièrement distribué, le Rassemblement National de Corse défend l’idée d’un « Vivre côte à côte et non face à face » devant se construire à partir d’un « concordat permettant à la communauté historique et à nos compatriotes (sans doute s’agit-il des « continentaux », NDLR) de vivre côte à côte en paix, dans une Corse fière de ses racines, de ses traditions et de sa culture, dans une France souveraine ». Pour étayer leur idée, les rédacteurs du document ont même cité une déclaration de Pasquale devant les députés de l’Assemblée Nationale Constituante issue de la période girondine de la Révolution française : « J‘avais quitté ma patrie asservie. Je la trouve libre. Je n’ai plus rien à souhaiter (…) Je jure obéissance et fidélité au peuple français . »
Il se dessine donc chez nous, avec la montée en puissance du Rassemblement National et de ses ambitions, ainsi qu’avec son renoncement au centralisme technocratique, et aussi avec l’effondrement de la gauche et les difficultés de la droite traditionnelle à trouver un second souffle, un futur affrontement entre un nationalisme aux responsabilités et un localisme aspirant à y accéder. Il ne sera pas sans risque pour la mouvance nationaliste. En effet, lors des prochaines échéances électorales, le Rassemblement National pourrait devenir attractif non seulement pour le dégagisme mais aussi pour au moins trois catégories d’insulaires pouvant être séduites par le localisme : les nationalistes traditionnalistes qui proposent un message essentiellement identitaire et l’opposent à l’évolution de l’idée nationale qu’impose l’intégration de la communauté de destin et est notamment portée par l’actuelle majorité siméoniste ; les Corses qui par rejet des nationalistes ou par crainte de ce qu’Emile Zuccarelli appelait en son temps « un toboggan vers l’indépendance » rejettent les réformes institutionnelles d’envergure et plus particulièrement l’autonomie de plein droit et de plein exercice ; les nouveaux arrivant en quête d’un discours ménageant leur identité originale et leur faisant miroiter la possibilité de devenir de « vrais Corses ».


Pierre Corsi
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