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La Corse et l'Immaculée conception

Décrété fête nationale par le mouvement nationaliste, le 8 décembre trimballe son lot d'ambiguités et d'erreurs.

La Corse et l'Immaculée conception


Décrété fête nationale par le mouvement nationaliste, le 8 décembre trimballe son lot d'ambiguïtés et d'erreurs. Le premier à l'avoir ainsi énoncé est l'abbé Ambroggio Rossi qui donne même une date d'une telle décision : la Cunsulta à Corte du 24 janvier au 5 février 1731 en définissant un mode de gouvernement pour la Corse.

Une « vérité » contestée


Les historiens René Emmanuelli et Fernand Ettori qui ont travaillé sur les mêmes documents que Rossi n'ont aucun doute quant à l'erreur commise vraisemblablement pour des raisons éminemment politiques. Ils ont démontré que Rossi avait confondu les années 1731 et 1735. Selon eux, la Consulte de 1731 n'a jamais défini de gouvernement. Au passage, René Emmanuelli remet en cause la réalité de la révolte de Cardone à Bustanico en 1729, soulignant qu'en réalité tout a commencé le 30 janvier 1730 à Poggio di Tavagna. Luigi Giafferi et Andria Ceccaldi sont alors élus chefs du mouvement et appuyés par le clergé corse. Les Espagnols sont accusés par les Français d'appuyer l'insurrection. Les historiens notent que les milices corses ont hissé la bannière espagnole sur la citadelle de Saint-Florent et sur celle de Corte. En effet 754 ou 755, Pépin le Bref avait fait donation de la Corse au Saint-Siège et le pape Boniface en 1297 en avait « conféré l'investiture » au roi d'Aragon, Jacques II. Les insurgés corses qui veulent échapper à la domination génoise font donc montre d'une religiosité extrême. D'ailleurs, l'appel à la guerre sainte avait été lancé le 15 juillet 1731 à la cunsulta de Santa Maria d'Ornano. D'où le choix de proclamer la Vierge Marie protectrice de la Corse.

La déchéance de Gênes

La Cunsulta du 30 janvier 1735 proclame la déchéance du pouvoir génois et choisit « pour protectrice de la Patrie et du Royaume tout entier l'Immaculée Conception de la Vierge Marie et, pour cette raison, il est établi que toutes nos armoiries et tous nos drapeaux doivent compter l'image de l'Immaculée Conception et que la vigile et la fête de l'Immaculée Conception doivent être célébrées par le Royaume tout entier avec les plus grandes marques de dévotion et avec allégresse que traduiront des coups de fusil, de mousquet et de canon qui seront ordonnés par la Junte du Royaume. » C'est aussi à cette époque que le Dio vi salve regina est adopté comme principale prière à la Vierge et non comme hymne national. Il faut quand même rappeler que Gênes elle-même avait la Vierge Marie pour sainte patronne, choix extrêmement banal à l'époque.

Quand Pasquale Paoli ignore la Vierge

Les appels désespérés des insurgés corses ne remportent guère de succès auprès des puissances européennes. Le petit roi Théodore connaît un règne de six mois en 1736 puis la Corse continue de s'enfoncer dans le chaos. Les consulte d'Orezza du 16 juin 1751, puis celle de Valle Rustie du 30 octobre 1752, proclament un gouvernement autonome sans qu'il soit fait la moindre allusion à la protection de l'Immaculée conception. Aucune trace également dans la Constitution rédigée par Paoli le 18 novembre 1755 à l'issue de la Cunsulta de Corte. Or u Babbu n'a jamais considéré le Dio vi salve comme un hymne national pas plus qu'il n'a fait commémorer la fête du 8 décembre. Le blason de la Corse qu'il décide en 1762 place la Corse couronnée sous la protection de deux tritons et non de la Vierge.

« Il ne s'est rien passé le 8 décembre »

Selon l'historien Antoine Marie Graziani, la décision de fêter la nation corse le 8 décembre représente « une date indirecte… À une certaine époque, certaines personnes ont fait des raccourcis et ont indiqué que la cunsulta s'était tenue le 8 décembre, mais il ne s'est rien passé le 8 décembre. » Comme il l'indique avec beaucoup de pudeur, l'Éducation nationale locale, mal informée ou peut-être désireuse d'arrondir les angles avec l'aile radicale et catholique du mouvement nationaliste a accepté d'en faire une journée particulière dans les écoles après avoir accepté un jour férié le 8 septembre, fête de la Nativité et jour de la Santa du Niolu. Le culte marial compte plusieurs grandes fêtes à commencer par le 25 mars date de l'Annonciation, 15 août date de l'Assomption et le septembre fête de la Nativité. Or ces fêtes ont l'avantage de se situer à des moments importants du calendrier : l'entrée dans le printemps, le plein été et la fin de l'estive. Nos ancêtres savaient, eux, que les dates d'hiver n'étaient guère favorables aux grandes célébrations religieuses. Enfin, le dogme de l'Immaculée conception date de 1864, un siècle après sa supposée adoption par les insurgés corses.

GXC 
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