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Guerre en Ukraine : un billard à dix bandes

Réfléchir de façon transcontinentale

Guerre en Ukraine : un billard à dix bandes


L'excellent spécialiste du Moyen-Orient, Jean-Pierre Filiu, professeur des universités à Sciences Po, a osé dans le quotidien Le Monde, une hypothèse audacieuse et particulièrement séduisante intitulée « Guerre en Ukraine : et si, en 2023, la clé de la crise se trouvait au Moyen-Orient ? »


Réfléchir de façon transcontinentale


Aujourd'hui, la compréhension d'un phénomène quel qu'il soit exige d'y introduire l'idée de complexité. Il n'existe pas de phénomène en soi mais un phénomène compris dans un ensemble où chaque élément interagit avec les autres. C'est vrai pour le climat, la pollution, l'économie, la communication, les conflits. Filiu observe les guerres comme les points de rencontre de plaque tectoniques géostratégiques. Il évite l'affectif qui vient souvent polluer notre analyse des activités humaines même si l'affect peut être au cœur des conflits. Le nationalisme par exemple ou encore les religions sont des affects tandis que les combats pour le territoire sont des causes matérielles qu'on ne peut néanmoins séparer de leur enveloppe affective. Filiu émet l'hypothèse que la guerre en Ukraine va peut-être trouver sa solution en Syrie qu'il qualifie de « berceau du partenariat entre la Russie et l’Iran ». Pour lui, l'invasion en Ukraine a été permise par la consolidation d'une alliance de forces Russie-Iran, permise par la cécité catastrophique du président Obama et de ses alliés occidentaux.

C'est en Syrie que les deux pays ont expérimenté une nouvelle forme de guerre, déjà utilisée de manière embryonnaire en Tchétchénie, qui consiste à privilégier l'artillerie et l'aviation au détriment des combats au sol. « C’est dès lors en Syrie que le partenariat opérationnel entre la Russie et l’Iran s’est transformé en une authentique alliance, avec développement de drones de combat aujourd’hui massivement utilisés contre l’Ukraine. » écrit Filiu. Et il précise que les prémisses de cette guerre totale qui vise à écraser et non pas à terroriser une population civile ont été encouragées par la reculade de la Maison Blanche après le bombardement de banlieues de Damas aux armes chimiques, en août 2013. Six mois plus tard, Poutine décidait d'annexer la Crimée persuadé que l'Occident qu'il juge décadent et lâche ne riposterait pas. Et il a eu raison puisqu’ont seulement été décidées des sanctions économiques.

Coup de billard avec Israël


Le premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou, un homme de la droite extrême, a donc joué la carte russe pour contrer l'agressivité des gardiens de la révolution iraniens et de leurs milices affiliées, dont le Hezbollah, seuls garants de la survie du régime fantoche de El Assad.

Benyamin Nétanyahou a même été invité sur la place Rouge, le 9 mai 2018, pour le défilé militaire commémorant la victoire de 1945. Il s'est alors développé un ballet étrange entre Israël et la Russie avec au milieu le pire ennemi d'Israël, l'Iran, également le meilleur allié de la Russie. Filiu précise à ce propos : « Poutine, en pompier pyromane d’expérience, a ainsi alimenté en Syrie une menace iranienne qui lui permet de maintenir sur Israël une pression indirecte, mais continue. Seule l’armée russe peut en effet autoriser les raids israéliens en Syrie, eux-mêmes indispensables pour contenir les visées iraniennes à la frontière nord d’Israël. Le piège russe s’est depuis lors refermé sur Israël, qui a justifié son refus de livrer le moindre matériel militaire à l’Ukraine par la priorité accordée à sa relation avec Moscou. »

Les réfugiés en otages


Israël contenu, Poutine s'est attaqué à Erdogan, à la veille d'élections essentielles pour son maintien au pouvoir, avec un moyen de pression humain incontournable pour la Turquie. Si Moscou se lançait à l'assaut de la poche d’Idlib qui, dans le Nord-Ouest syrien, encore tenue par les opposants à Assad, pour immédiatement provoquer l’exode de centaines de milliers, voire de millions de réfugiés vers la Turquie. Le président Erdogan risquerait fort de payer cette catastrophe par sa défaite électorale. Du coup, la Turquie pourtant membre de l'Otan, a limité ses livraisons d'armes à l'Ukraine. Erdogan n'a pas oublié que la Russie avait accepté que l’Azerbaïdjan, armé par la Turquie, écrase l'Arménie pourtant sa protégée. Aujourd'hui, l'espoir militaire de la Russie réside en Iran qui fournit déjà des drones mais pourrait livrer des missiles qui commencent à manquer dans l'arsenal russe. Par ailleurs, bon nombre d'oligarques russes, qui forment les fondations économiques du régime poutinien, ont placé leurs fortunes en Turquie pour échapper aux sanctions américaines et européennes. Si la Turquie décidait de les saisir, la chute de Poutine serait grandement accélérée. C'est ainsi que contrairement à ce qu'aurait pu laisser penser une vision simpliste de la guerre en Ukraine, la solution du conflit, selon Jean-Pierre Filiu se trouve peut-être au Moyen Orient et non pas en Europe. Ce qui serait un signe supplémentaire du déclin du vieux continent.

GXC
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