Tous ensemble pour nos retraites
Voilà bien longtemps que le pavé corse n'avait connu pareille mobilisation pour un objectif social
Tous ensemble pour nos retraites
Voilà bien longtemps que le pavé corse n’avait connu pareille mobilisation pour un objectif social. Près de 2000 personnes à Bastia et 2700 à Ajaccio qui ont bravé une météo sauvage pour clamer leur refus de la réforme imposée par un pouvoir sourd et aveugle qui reprenait à son compte le « quoiqu’il en coûte » mais cette fois-ci quoiqu’il en coûte aux petites gens. Il est vrai que notre population risque d’être fortement impactée par cette remise en cause de l’un des totems français : son système par répartition.
Des manifestations enthousiastes
Nous sommes habitués en Corse aux manifestations genre enterrement : un long cortège qui s’étire sur une avenue, lent, triste et pas vraiment déterminé. Dernièrement, le dynamisme était là pour ceux qui demandaient justice après l’assassinat d’Yvan Colonna. Mais d’une part c’était pour le coup une mobilisation post-mortem et d’autre part le seul slogan entendu était « Statu francesu assassinu » qui ne débouche sur rien. La manifestation du jeudi 19 était ponctuée de dix, vingt slogans conspuant la réforme que veut imposer le président de la République. Autre fait marquant : les jeunes étaient en grand nombre dans les deux cortèges.
Une île vieillissante
La Corse cultive les paradoxes qui n’en font pas moins l’une des régions européennes les plus âgées. Dotée d’une économie dynamisée par le boom immobilier, pourvoyeuse en emploi, elle s’attend cependant à un choc provoqué par le prochain départ à la retraite de près de 50 000 baby-boomers. Si on ajoute les continentaux retraités qui choisissent notre île comme villégiature, il est à redouter que nous ne devenions un gigantesque EHPAD à ciel ouvert avec cependant des fractures sociales importantes. Ces retraités qui achètent des maisons et des appartements à des prix avoisinant parfois ceux de Paris, ne risquent guère d’être impactés par la réforme des retraites à l’inverse d’une population pauvre — corse ou pas corse d’ailleurs — qui elle vivra avec le minimum vieillesse. Ainsi la nouvelle loi risque-t-elle d’un peu plus ancrée la Corse dans une rupture de classe : les riches, corses et non corses, sur la côte et les pauvres sur les hauteurs ou loin en plaine. Les premiers ne percevront même pas les effets négatifs de la loi quand les autres prendront ses effets de plein fouet.
Des arguments de riches
La petite musique qui est reprise dans les cercles proches de la droite et de la majorité est aujourd’hui : « plus personne ne veut travailler ». C’est scandaleux et indécent. Je n’ai qu’à traverser la rue pour trouver cent, mille citoyens qui sont payés au SMIC sans aucune espérance d’évolution de carrière. Alors il est facile quand on gagne cinq, six fois le SMIC, de donner des leçons de morale aux misérables, de les accabler de reproches parce qu’ils ont décidé de vivre du mieux qu’ils le pouvaient. Mais quelle indécence ? J’ai un fils qui est vendeur dans la grande distribution ajaccienne. Son salaire est le minimum garanti. Sa chef de rayon gagne avec vingt ans de carrière 1 600 euros. Voilà l’avenir de nos enfants. Si en plus il leur est offert une vieillesse de misère… Eh bien ils ont raison de se révolter.
L’argent est là
Le président Macron nous parle de faillite du système de retraite, que dans les autres pays d’Europe, l’âge de la retraite est reculé. La France est aussi le seul pays à avoir osé après guerre et sous la pression du mouvement social des réformes audacieuses : sécurité sociale, allongement des congés payés, retraite par répartition. Et parce qu’en Allemagne, les retraités sont pauvres parmi les pauvres, il faudrait s’aligner sur le moins-disant au nom de la rentabilité. Eh bien, parlons-en de la rentabilité. Alors qu’on nous impose une loi dont les deux tiers des Français ne veulent pas, l’année 2022 a été l’une des plus fructueuses pour les actionnaires des sociétés du CAC 40. L’austérité d’un côté, l’opulence de l’autre. La loi va vraisemblablement passer d’une manière ou d’une autre : alliance Macron-droite ou 43-3. Mais l’amertume que cette triste victoire va laisser derrière elle va se payer un jour ou l’autre. Car les retraites ne sont pas le seul ferment de la colère actuelle. Les citoyens en ont plus qu'assez de conditions de vie, de santé qui se dégradent et d'élus qui donnent le sentiment de privilégier l'entre-soi, méprisant le fameux peuple au nom duquel ils ont été désignés. La déconfiture est telle dans la classe politique traditionnelle qu’il y a fort à parier que le gagnant sera in fine le Rassemblement national. Et ça, ça n’est pas bon, mais alors pas bon du tout pour la Corse. La seule chance d’éviter cette catastrophe est que les prochaines mobilisations permettent de faire reculer le gouvernement avec toutefois le risque d’une dissolution. En attendant, rendez-vous à Ajaccio et à Bastia pour le 31 janvier.
GXC