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Pierre Vermeren, historien, spécialiste du Monde Arabe

" Le Marioc aspire à devenir une démocratie "
« Le Maroc aspire à devenir une démocratie »
estime l’historien Pierre Vermeren, spécialiste du Monde Arabe


« Le Maroc, un royaume de paradoxes en 100 questions » :
Dans son dernier ouvrage paru récemment aux Editions Tallandier, Pierre Vermeren répond aux interrogations que l’on se pose souvent à propos de l’évolution de la situation économique et sociale du Maroc. Auteur de plusieurs ouvrages de référence sur le Maghreb, Pierre Vermeren, professeur d’histoire des sociétés d’Afrique du nord contemporaine à l’Université Paris1 Panthéon-Sorbonne, brosse un panorama clair et précis sur l’état d’un pays le plus occidental du continent africain et nous permet enfin de mieux comprendre la situation du Maroc, un royaume pétri de contradictions.
Sous formes de questions-réponses, une bonne centaine, Pierre Vermeren répond donc, précisément, aux questions que l’on se pose relatives à l’histoire, la société, la religion, la politique et l’économie marocaines.

Avec 7% du PIB, le tourisme est un secteur important de l’économie marocaine. Pensez-vous que la crise sanitaire générée par le COVID 19, qui n’a pas épargné ce pays, puisse ralentir son développement ?

 C’est une évidence, car non seulement les touristes internationaux ont disparu mais même les Marocains d’Europe, gros pourvoyeurs de devises, n’ont pas pu vraiment rentrer au pays. Tous les moteurs de l’activité économique sont affectés et le pays est trop endetté pour faire tourner la planche à billets. Même l’Europe et le Golfe qui pourvoient aux besoins financiers en cas de besoin sont affaiblis. La situation au Maroc et au Maghreb en général ne va pas pouvoir durer longtemps. Ou alors la Turquie, la Chine ou d’autres puissances intrusives vont prendre les choses en main.

Un Maroc moderne, ouvert à la mondialisation, côtoie un Maroc rural qui souffre d’une grande misère, écrivez-vous, et vous ajoutez : le pays est dans un état de développement humain et social calamiteux. Les dirigeants actuels sont-ils conscients
de cette situation et en train d’y remédier ?
 Ils en sont très conscients mais se montrent assez impuissants. De gros efforts ont été fournis pour moderniser et équiper les grandes villes, et d’autre part pour moderniser l’agriculture. Mais la tâche est immense.
Il faudrait comme en chine 20 ans de croissance à 10% pour arracher le Maroc au mal-développement, et notamment ses campagnes. On en est loin. Le Maroc est une alliance entre des secteurs modernes et mondialisés dans ses grandes villes, et d’immenses poches de misère dignes de l’Afrique de l’Ouest. C’est très paradoxal. Il faudrait beaucoup d’argent public (école, santés, aides sociales) et d’investissements industriels pour en sortir, mais l’argent manque.
Le Maroc n’a pas de grande ressource et vit sur une corde raide financière ; des progrès sont accomplis, mais trop lentement, ce qui explique la révolte du Rif de 2017-18.


 Tête de pont des relations entre la France, l’Afrique et le monde arabe, le Maroc a noué des liens privilégiés avec notre pays, sa langue et sa culture. Comment expliquez-vous un si grand succès de la francophonie dans ce pays arabo-berbère et pleinement africain. Il vient de réintégrer l’Union Africaine.
 Le Maroc de Hassan II avait très clairement choisi le camp occidental pendant la guerre froide, ce qui lui a permis de sauver son trône et d’être aidé par de nombreuses puissances à traverser les tempêtes. La France avait toute sa place dans ce jeu, et la France pompidolienne et giscardienne a beaucoup misé sur ce pays et son armée pour maintenir l’ordre en Afrique et reprendre pied dans le monde arabe après la guerre d’Algérie. Cette situation a rejoué pendant la guerre civile algérienne des années 1990 où le Maroc est apparu comme le pôle de stabilité des intérêts français dans la région. Cela reste le cas à bien des égards, même si la mondialisation de plus en plus heurtée pose de nouvelles questions.
Cette situation privilégiée a incité de nombreux Marocains à se tourner vers la France où vivent au moins 2,5 millions de Marocains et Franco-Marocains. Mais la France ne peut plus répondre au besoin d’émigration des Marocains. Pour les élites et les étudiants c’est encore le cas, mais toute l’Europe occidentale est devenue le réceptacle de l’émigration marocaine. La francophonie perd donc peu à peu la prééminence, même si la monarchie lui reste très favorable. D’autant que la coopération avec l’Afrique voulue par le roi s’opère en langue française.


 La transition vers la démocratie est en marche affirme le régime actuel. La démocratie peut-elle voir le jour au Maroc alors que tous les pouvoirs, rappelez-vous, procèdent du Roi et du Palais qui demeurent « la clef de voûte institutionnelle » du pays ?
C’est toute la contradiction. La démocratie procède du pouvoir du peuple. Et la monarchie fait procéder le pouvoir du roi. Il faut choisir… Certes, en Angleterre et en Espagne, on a à la fois la royauté et la démocratie. Mais parce que si le chef de l’Etat est bien le roi, ou la reine, le chef de l’exécutif est le Premier ministre issu des élections générales. Ce n’est pas le cas au Maroc, d’autant qu’en tant que « commandeur des croyants », le roi est le chef de tous les pouvoirs.
Il est certain que l’autocratie a régressé au Maroc depuis quelques décennies, mais la démocratisation tant attendue par une partie des militants politiques et tant louée par le pouvoir reste un vœu pieux. Le Roi lui-même au début de son règne avait parlé d’une « monarchie exécutive » ; tout est dit.


 Présenté comme le « roi des pauvres » en dépit de son immense fortune, Mohamed VI à la tête du pays depuis une vingtaine d’années « règne mais ne gouverne pas » écrivez-vous. Alors, selon vous, qui gouverne le pays ?
Le roi règne en tant que chef de l’islam et de tous les pouvoirs au Maroc. Mais concrètement, il s’appuie sur quelques proches conseillers pour faire tourner le pays. L’un des plus influents est Fouad Ali el Himma. Cet homme relativement discret dispose d’un pouvoir considérable puisqu’il a toute la confiance du roi et qu’il est amené à « tenir » le pays quand le roi est à l’étranger ou indisponible. Tous les Marocains le savent et acceptent cet état de fait. Cela étant dit, le Maroc est dirigé par une dynastie, et plusieurs membres de la famille royale jouent évidemment un rôle majeur en accord avec le roi.


 L’année 2021 s’annonce exceptionnellement riche pour le Maroc avec plusieurs scrutins ? national, régional et local. Ces élections peuvent-elles modifier le paysage politique dominé, depuis 2011, par le parti islamiste, le PJD, traduisez Parti de la Justice et du Développement, et déstabiliser ainsi la vie politique marocaine.
 Je ne pense pas qu’il y aura de risques de déstabilisation par les urnes. Le pouvoir royal souhaite la victoire d’une coalition « libérale » sous la direction du RNI (Rassemblement national des indépendants) afin d’en finir avec le premier ministre et la majorité islamistes. Encore faut-il que le RNI ou un autre parti arrive en tête des législatives, ce qui n’est pas gagné.
Autrement dit, soit le PJD gagne les élections en arrivant en tête, et son équipe est plus ou moins reconduite. Soit le RNI arrive en tête et la monarchie sera ravie. Dans les deux cas, il n’y aura pas de bouleversement


 En mai 2021, le fils unique de Mohamed Vi, le prince Moulay el Hassan aura 18 ans. Il sera alors en mesure de succéder à son père pour devenir Hassan III. Est-il prématuré d’évoquer cette future succession dynastique ?

 Pas du tout, c’est dans l’ordre des choses et de la vie. Le roi Mohammed VI met en avant son fils depuis des années, ce qui est un puissant indice de la confiance qu’il lui porte, et du rôle qui lui est destiné d’ici quelques années. Cela, les Marocains le savent parfaitement.


Entretien réalisé par Jean-Claude de Thandt
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