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Au bord du gouffre

Des interrogations sur la pertinence de soutenir ou même accepter le processus Darmanin -Simeoni
Au bord du gouffre

Si d’autres attentats visent des mairies dans les jours et les semaines à venir, cela pourrait conduire à des interrogations sur la pertinence de soutenir ou même accepter le processus Darmanin-Simeoni.


L’obstacle au dialogue que représentait le refus d’une semi-liberté à Pierre Alessandri et Alain Ferrandi avait été levé. Le troisième comité stratégique relatif à l’avenir de la Corse du 24 février dernier, au cours duquel Emmanuel Macron était venu place Beauvau pour saluer et écouter les élus corses, avait ouvert des perspectives. Il avait même été acté qu’avant l'été, il serait fait le point sur les propositions des élus corses pouvant être inscrite dans le projet de réforme de la Constitution.
D’ailleurs le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, le président du Conseil exécutif et les partisans de ce dernier n’avaient pas caché leur optimisme. Dès que le comité avait pris fin, Gérald Darmanin l’avait qualifié de « réunion constructive » qui permettait de « voir un avenir radieux de la Corse dans la République ». Sur le plateau de Via Stella (Cuntrastu), Gilles Simeoni avait convenu qu’Emmanuel Macron avait fait un pas dans la bonne direction : « Ce qui est certain, c’est qu’il y a eu la visite du Président de la République et que c’est un geste politiquement et symboliquement extrêmement important ». Quant au Partitu Femu a Corsica, il avait émis une appréciation aussi dithyrambique qu’enthousiaste.
Selon le parti siméoniste, le troisième comité stratégique avait probablement représenté « la meilleure séquence politique dans le rapport entre la Corse et l’État » depuis l’accession des nationalistes aux responsabilités et ouvert « des perspectives nouvelles qui nourrissent l’espoir d’un avenir de respect mutuel, de dignité, de reconnaissance et de paix ». Malgré le fâcheux jugement du Tribunal administratif de Bastia du 9 mars ayant censuré la reconnaissance de la langue corse comme « langue des débats » de l’Assemblée de Corse, Gérald Darmanin et Gilles Simeoni pouvaient raisonnablement considérer que la route du processus qu’ils avaient engagé en mars 2022 était enfin carrossable. Mais, en quelques jours, tout a changé.

Un nid-de-poule

Le 17 mars dernier, le processus Darmanin-Simeoni a rencontré un nid-de-poule pouvant provoquer une embardée : le dépôt d’une motion de censure dans le cadre du débat sur la réforme des retraite par le groupe parlementaire Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) dont sont membres les trois députés nationalistes Michel Castellani, Jean-Félix Acquaviva et Paul-André Colombani.
Les dangers représentés par cette cavité ont été signalés par Laurent Marcangeli et Jean-Charles Orsucci. Le député de la 1ère circonscription de Corse-du-Sud et le maire de Bunifaziu ont en effet prévenu que l’initiative de Liot dont les trois députés nationalistes étaient partie prenante, pourrait nuire gravement au processus. « Un gouvernement est en train de discuter avec les élus de la Corse pour définir un processus. Si ce gouvernement tombe, il n'y aura plus de discussions. Et encore plus fortement si les députés proches de la majorité territoriale votent la censure » a déclaré Laurent Marcangeli. « On ne peut pas, le lundi, voter une motion de censure pour faire tomber le gouvernement et, le mardi, s'asseoir à la table des négociations pour discuter de l'autonomie de la Corse.
C'est un pari risqué »
a déclaré Jean-Charles Orsucci. Jean-Félix Acquaviva a d’ailleurs confirmé l’existence d’un danger. Le député de la 2ème circonscription de Haute-Corse a en effet dévoilé qu’il avait été dit aux trois députés nationalistes que voter la censure risquait de compromettre le bon déroulement du processus : « Le gouvernement nous a approchés […] pour nous dire que si nous votions contre la réforme des retraites, cela risquait de vexer le Président de la République et que nous pourrions avoir un changement de braquet dans la cadre du dialogue, des négociations et de l'état d'esprit ».

Une crevasse

Le 21 mars, le processus Darmanin-Simeoni a rencontré une crevasse pouvant provoquer un arrêt forcé : le FLNC-Union des Combattants-22 octobre a indiqué rejeter le processus en énumérant de nombreux griefs contre ceux qui y participent. Les clandestins ont dénoncé une duplicité de l’État : en affirmant que ses institutions avaient l’intention d’étouffer que l’assassinat d’Yvan Colonna relevait d’une « vengeance des grands corps de l’État » ; en qualifiant de « pseudo concertation » les discussions ayant lieu place Beauvau ; en accusant le Président de la République et le gouvernement de s’employer à éteindre la revendication nationale corse avec pour relais le préfet de Corse qui détient « l'essentiel du pouvoir » dans l’île et « multiplie les permis de construire au bénéfice de la colonisation de peuplement » et pour mentor une « préfectorale » agissant « au gré des intérêts de Paris ».
Les clandestins ont critiqué les élus nationalistes : les accusant d’accepter le dialogue selon « les règles strictes d’un légalisme artificiel qui ne peut que profiter à l’État » et de ne pas manifester face à l’État « la fermeté nécessaire » pour défendre « les revendications fondamentales ». Les clandestins ont mis en cause « une partie des maires », leur reprochant de délivrer sans compter des permis de construire. Les clandestins ont confirmé leur retour à l’action violente : en revendiquant 17 attentats ; en indiquant qu’ils continueraient à agir « contre la colonisation de peuplement effrénée et en menant des actions contre les résidences secondaires ou principales » des arrivants « pensant qu’ils sont chez eux » ; en mettant en garde les assureurs et les banquiers qui financent « la construction ou l’achat de maisons aux français ».

Un gouffre

Depuis ces derniers jour, le processus Darmanin-Simeoni est au bord du gouffre qu’ont creusé les tentatives d’incendie perpétrées contre les mairies d’Afa et d’Appiettu. Si d’autres attentats de même nature sont commis dans les jours et les semaines à venir, cela pourrait conduire les élus et les électeurs, nationalistes ou non, qui leur ont accordé leur confiance et leur soutien pour un retour durable à la paix et contenir les revendications nationalistes les plus radicales, à douter de Gilles Simeoni et plus globalement du nationalisme se réclamant de la démocratie et d’une volonté de rassembler , et sans doute aussi, à s’interroger sur la pertinence de soutenir ou même accepter le processus.
Le président du Conseil exécutif et d’autres ont d’ailleurs perçu le danger. Ils ont immédiatement apporté leur soutien aux maires et réaffirmé que la voie de la démocratique et du rassemblement était la seule envisageable et qu’ils en étaient les principaux promoteurs. Gilles Simeoni a affirmé : « Il ne peut y avoir d'autre chemin pour l'émancipation de la Corse que celui de la démocratie et de la paix ». Jean-Félix Acquaviva, le député de la 2e circonscription de Haute-Corse, a souligné : « La société corse que nous devons construire doit être émancipée et démocratique. Il n'y a pas d'autres chemins ». Femu a Corsica a communiqué : « La Corse a besoin d’un chemin de paix, pas d’un chemin de discorde, et de confrontation ». Le Partitu di a Nazione Corsa a écrit : « La violence n’a jamais été la solution. Nous avons toujours prôné l’idée selon laquelle notre combat devait s’exercer de façon démocratique et publique ».
A noter aussi, quasiment tous les leaders nationalistes étaient présents au rassemblement organisé à Afa pour manifester un soutien au maire de la commune.

Pierre Corsi
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