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Les Corses de Corse vus par les Génois

Mais il est certain que les Génois qui occupèrent la Corse durant six siècles n’aimèrent guère les Corses qu’ils appelaient les « crave », c’est-à-dire les « biques », terme que l’on retrouvera dans la bouche des Français
Les Corses de Corse vus par les Génois


Mais il est certain que les Génois qui occupèrent la Corse durant six siècles n’aimèrent guère les Corses qu’ils appelaient les « crave », c’est-à-dire les « biques », terme que l’on retrouvera dans la bouche des Français lors de leur conquête au XVIIIe siècle, puis bien entendu dans la bouche des colons français en Algérie pour désigner les indigènes.


Les bicots de l’époque

« Ces patriciens génois, sitôt qu’ils eurent ouï cette suggestion de pardonner aux chefs et d’anoblir les Corses, laissèrent aussitôt éclater leur fureur : “Vous nous la baillez belle ! dirent-ils. Quoi ! faire grâce aux traîtres et anoblir les craves ? Quels conseils ridicules… » Renée Luciani, qui traduisit les Mémoires de Sebastiano Costa, chancelier du roi de Corse Théodore, annote le mot crave : « Crava pour capra en génois avec le sens de balzano, inconstante, c’est-à-dire d’humeur bizarre et même infidèle ou parjure. Il semble que l’injure était réservée aux Corses. L’abbé Rostini, à Gênes, en 1732, écrit que “chaque jour entendait les Génois donner aux Corses les beaux noms de capre (chèvres), corni (cornus), salvatici (sauvages), cignali (sangliers), barbari (barbares)”».

Une île ingouvernable

Sous les Génois, la réputation de la Corse est celle d’une île ingouvernable qui coûte trop cher à la Sérénissime et où le crime sévit. Certains patriciens reconnaissent cependant que le crime est le fruit de la misère et de la corruption de l’occupant. Au XVe siècle le Génois Casoni constate : « Les Corses ne sont pas capables de jouir de la paix ; ils se disputent et se divisent en factions, rallumant l’antique sédition entre blancs et noirs. » La corruption sévit de manière éhontée, comme le souligne le commissaire Sebastiano Doria : « Les greffiers ignorants et incompétents agissent au gré des caporaux. Ils commettent des faux et il ne reste plus trace de leurs écritures, surtout pour les affaires criminelles. » «Les Corses sont extrêmement pauvres et ne peuvent semer ni dépenser, car ils n’ont pas d’argent», constate en 1586 le conseil des Douze qui dirige la Corse. Le commissaire génois à l’agriculture de Bastia renchérit en dénonçant « la tyrannie et les intolérables intérêts que font payer les marchands ».

Les cinq plaies de la Corse

Le chroniqueur Filippini énonce au XVIe siècle les cinq plaies de la Corse (E cinque piaghe) : la guerre, le péril barbaresque, la peste, la famine et les armes à feu. Il souligne la violence qui sévit dans l’Île : « Je veux parler de ces maudits engins, des arquebuses à rouet déjà si nombreuses dans l’île et qui arrivent tous les jours en si grande quantité… Dans les montagnes en particulier, on voit continuellement des hommes armés d’arquebuses, réunis par bandes de vingt, trente et même davantage ; ces patentes coûtent chaque année sept mille livres à la pauvre et misérable Corse… Mais l’achat même des arquebuses est autrement coûteux. Il n’y a pas de Corse, si pauvre qu’il soit, qui n’ait la sienne qu’il a payée cinq ou six écus, sans compter les dépenses nécessaires pour s’approvisionner de munitions. Celui qui n’en a pas vend sa vigne, ses châtaigniers ou ses autres propriétés, comme s’il ne pouvait pas vivre sans arquebuse. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que la plupart portent des habits qui ne valent pas un demi-écu, n’ont rien à manger à la maison et qu’ils se croiraient déshonorés si on ne les voyait au milieu des autres avec une arquebuse… Les enfants eux-mêmes de huit à dix ans, qui peuvent à peine porter une arquebuse et lâcher la détente, passent leur journée à tirer à la cible et, ne fût-elle pas plus large qu’un écu, ils l’atteignent. » Et pourtant, poursuit le chroniqueur, je me souviens que, lorsque pour notre malheur la guerre éclata en Corse en 1553, pas un seul insulaire, à l’exception de ceux qui avaient appris sur le continent à manier les armes, ne savait adapter la corde à la serpentine. On souriait en voyant comment s’y prenaient les Corses pour manier les arquebuses. Ils ne savaient même pas les charger et ce n’était qu’en tremblant qu’ils y mettaient le feu.

« Aujourd’hui, conclut Filippini, moins de trente années plus tard, tous les Corses, en n’importe quel endroit de l’île, manient les arquebuses à rouet et les soldats réguliers eux-mêmes ne les tiennent pas avec plus de soin. »

Regarder le présent à la lumière du passé

Les archives montrent que les Génois différenciaient les Corses présents sur la terre ferme des « indigènes ». Mais ce qui est intéressant à noter est la survivance de préjugés qui visiblement s’appuient sur une réalité de divisions, de haines, de ressentiment qui parfois semble terriblement actuelle. La question essentielle devient alors : « Sommes-nous capables de nous auto-administrer sans le contre-pouvoir d’une puissance extérieure présente dans l’île pour jouer un rôle d’équilibre ?».


GXC
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