• Le doyen de la presse Européenne

Hara-Kiri, Charlie et les autres

Le pays est sous le choc. Un crétin se trompe, croyant que le journal Charlie Hebdo est toujours à la même adresse et agresse deux paisibles journalistes.....
Hara-kiri, Charlie et les autres
Le pays est sous le choc. Un crétin se trompe, croyant que le journal Charlie Hebdo est toujours à la même adresse et agresse deux paisibles journalistes d’un autre organe de presse, qui fumaient devant l’immeuble.

L’émotion est à son comble. En plus du Covid le terrorisme repart.
On n’avait pas besoin de ça. Quelques vérités doivent être cependant rappelées. Dans ce drame ce n’est pas la République qui est attaquée, c’est la France, son rayonnement et sa culture. Les propos qui s’attardent à défendre la « diversité »sont mal venus. Cette notion n’a rien à voir avec le débat présent.
La culture française, parce qu’elle rassemble et qu’elle sublime le particulier ne saurait être l’enjeu de querelles aussi sordides. Le sous-doué qui s’est livré à un tel acte de sauvagerie s’en prend directement à Corneille, Molière et Racine, tout autant qu’aux règles juridiques que nous pratiquons.
Les habitants de ce pays parlent le français, qui est la langue de l’universel et non pas le républicain, le royal ou l’impérial, quelque intérêt que puisse avoir ce dernier idiome pour les admirateurs du libérateur des peuples d’Europe. La République, l’Empire ou le Royaume ne sont que des formes juridiques, l’habillage de l’Etat. Ce que visent les terroristes, c’est la France et son prestige. Il importe peu de savoir si le droit de blasphémer existe en fin de compte puisqu’il est indubitablement la conséquence de la liberté de faire et de dire. Cela nous ramène à l’essentiel : l’ennemi de la civilisation c’est la bêtise.
Savoir ce à quoi les gens croient n’intéresse au fond personne, car c’est très personnel comme la gastronomie ou la sexualité. Ne donnons pas une vie imméritée aux phantasmes. On ne réduit pas un homme à sa croyance, qui peut être changeante, erronée ou simplement stupide, ni à ses pratiques sexuelles, ni à son origine raciale. Si l’on installe Alexandre Dumas au Panthéon, c’est pour le récompenser d’avoir écrit Les Trois Mousquetaires et pas pour le féliciter d’être noir, parce qu’il n’y est pour rien. Même observation quant au fumeux débat sur Verlaine et Rimbaud qui surgit fort mal à propos. Ont-ils leur place au Panthéon ? Comme poètes peut-être, mais certainement pas en tant que couple, car leurs pratiques nous indiffèrent.

Et j’avoue ma préférence pour Verlaine, parce qu’il a capté l’essence même de la poésie par une langue d’une légèreté parfaite. Son art n’est pas comparable à celui de l’auteur des Illuminations, flamboyant certes mais sec. Le lien qui unit ces deux poètes est du ressort de l’intime et n’a pas à être honoré plus spécialement que l’amour qui unissait Alfred de Musset à Georges Sand. Comme le disaient les Inconnus dans un sketch célèbre : « Tout cela ne nous regarde pas ».

Quand il republie les caricatures de Mahomet, le journal Charlie est fidèle à la tradition dont il procède, en digne héritier du journal Hara-kiri. Il provoque et il défie la bêtise comme ce dernier qui se disait lui-même, dès son origine, bête et méchant.
C’est là sa gloire et ça s’appelle la liberté. Entre liberté et bêtise, le choix est facile à faire.

A ce propos, le midi se soulève contre les restrictions de liberté que signifie la fermeture des bars et des restaurants. Comment lui donner tort ? Même la défenseuse des droits s’en est émue.
Comme le rappelle douloureusement l’affaire de Charlie Hebdo, la liberté a son prix qui peut être la mort. Mais sommes-nous prêts à le payer ? Les soldats d’Austerlitz avaient entonné le jour de la bataille l’hymne de leur héros qui scandait dans son deuxième couplet : mieux vaut la mort que l’esclavage. La question reste posée.

J’ai évoqué le prédécesseur de Charlie Hebdo, Hara-kiri. On doit à ce mensuel, animé dans les années soixante d’une équipe à l’humour ravageur, les plus belles provocations imaginables dans le contexte moral et politique de l’époque.
C’était une joie pour l’esprit et une école d’accoutumance à la contradiction par le scandale. Cette école c’est la suite du bouillonnement prérévolutionnaire qu’incarnent des auteurs tels Restif de la Bretonne, le Diderot des Bijoux indiscrets ou le Voltaire de Candide
et de Zadig.
C’est cet esprit qui révolte les brutes et les butors.


Jean-François Marchi
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