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A Parolà À : Jean Martin Mondoloni, "Nous voulons adapter la loi, la majorité nationaliste veut l'adopter"

<< Nous voulons adapter la loi, la majorité nationaliste veut l'adopter >>

A parola à  : Jean-Martin Mondolon

« Nous voulons adapter la loi, la majorité nationaliste veut l’adopter »

Durant la session extraordinaire de l’Assemblée de Corse des 4 et 5 juillet derniers qui était consacrée à la question institutionnelle, les conseillers du groupe Un Soffiu Novu qui porte les idées et les propositions de l’opposition libérale, ont défendu avec conviction leur contribution représentant une alternative au texte du Président du Conseil exécutif. Jean-Martin Mondoloni qui copréside le groupe avec Valérie Bozzi, a bien voulu apporter des précisions sur la démarche du groupe durant les débats ainsi que livrer une analyse du déroulement et de l’issue de la session. Il a par ailleurs évoqué ce que lui-même et les membres du groupe, hormis le débat institutionnel, considèrent aujourd’hui prioritaire.



La contribution de votre groupe a été rejetée. Vous avez déploré un « état d’esprit » ayant fait obstacle à un « pacte de non agression » et à une « respiration démocratique ». Vous avez même dénoncé « un déni de démocratie ». Ne pensez-vous pas que les mots ont dépassé votre pensée ? N’était-il pas déplacé de déplorer aussi sévèrement un vote largement majoritaire en concordance avec les choix des électeurs depuis 2015 ?

Mes mots ont été pesés. Je n’ai rien à retrancher. Le fait majoritaire s’est imposé. En 2000, il y avait une majorité qui avait fait le choix de laisser passer deux textes avec un nombre de voix différent pour que sur un sujet aussi important que l’évolution statutaire, les différentes tendances politiques puissent se sentir investies et produisent leur contribution. Il y en avait deux à l’époque. Il y en a toujours deux. A l’époque, ça avait été toléré. Cela ne l’est plus désormais. C’est regrettable. Les nationalistes ont certes gagné les élections depuis 2015. Je ne pense pas que cela vaille blanc-seing des Corses pour engager l’île dans un processus à la calédonienne qui comprend une clause d’autodétermination qui ne dit pas son nom.


Le groupe PNC-Avanzemu que préside Jean-Christophe Angelini a voté la délibération mais n’a pas voté contre la contribution de votre groupe. En aviez-vous discuté préalablement ? Comment interprétez-vous cette abstention ?

La jurisprudence 2000 avait été évoquée en réunion le premier jour de session. Notre groupe avait d’ailleurs laissé les groupes nationalistes entre eux dans la foulée pour qu’ils puissent parvenir à une rédaction commune, puisqu’il était acté que notre contribution serait maintenue et mise aux voix. Ce n’est que le lendemain qu’il nous a été signifié qu’un vote défavorable du bloc majoritaire renverrait dans les cordes notre proposition, nous conduisant à nous positionner à notre tour dans la même logique. Le groupe Avanzemu s’en est tenu à ce qui avait été convenu le premier jour de session en ne votant pas contre notre proposition.


L’opposition de votre groupe a été particulièrement motivée par un refus que l’Assemblée de Corse puisse légiférer dans le cadre de son domaine compétences. Pourquoi refuse-t-il le pouvoir d’assumer de A à Z des compétences dont il accepte qu’elles reviennent à la Collectivité de Corse ?

Non, ne faisons pas de raccourci. Pour faire simple, nous voulons adapter la loi, lorsque la majorité nationaliste veut l’adopter. Nous souhaitons que la loi puisse être adaptée à nos spécificités lorsqu’elle ne l’est pas. La majorité veut carrément légiférer sur tout à l’exception du régalien. Il faut en avoir moyen à tous les niveaux, budgétaire, humain, légistique,etc. L’étape suivante, celle de la loi organique, consiste à extraire (ou pas) la Corse du cadre normatif constitué par les différents codes (Code Civil, Code de la Santé Publique, etc.) pour que la Collectivité de Corse rédige directement ses propres règles sur tout. Le champ d’autonomie est trop vaste à notre goût. La Corse évolue dans l’environnement juridique national. L’en sortir à ce point serait lourd de conséquences. Et il n’a échappé à personne que la délibération commune aux nationalistes comprend une clause d’autodétermination qu’il nous est impossible d’accompagner. La logique de distanciation qui sous-tend la contribution dite majoritaire, la seule à avoir été adoptée in fine, est éminemment politique et engage la Corse dans un processus sans retour qui va au-delà de l’autonomie.


Au pouvoir encadré de légiférer, votre groupe préfère celui d’adapter la loi commune à la situation de la Corse. Il reconnaît cependant que, bien que figurant déjà dans la loi, cette disposition ne fonctionne pas. Comment vraiment garantir la prise en compte des demandes d’adaptation de l’Assemb
lée de Corse ?
L’ancrage constitutionnel. Si demain la Corse dispose d’un article dans la Constitution pour pouvoir déroger à l’article 21 selon lequel le pouvoir de légiférer incombe au Gouvernement et au Parlement. En découlerait une loi organique qui pourrait introduire une procédure plus contraignante garantissant une loi d’habilitation au Parlement pour les demandes d’adaptation formulées par l’Assemblée de Corse.


Votre groupe a aussi exprimé une opposition à l’autonomie fiscale. Pourquoi ce refus de maîtriser les recettes et aussi, notamment, d’adapter la fiscalité au contexte corse, par exemple concernant les droits de succession ?

On n’est pas contre la maîtrise des recettes. On dit qu’on ne dispose d’aucune modélisation de ce que donnerait l’autonomie fiscale. Et que nous sommes une région pauvre dont le niveau de fiscalité risque de ne pas pouvoir couvrir les besoins budgétaires inhérents aux domaines de compétences que l’exécutif veut assumer seul. Et il convient d’ajouter que nous sortons d’une crise sanitaire au cours de laquelle la solidarité nationale a permis à l’économie insulaire de maintenir la tête hors de l’eau. Le niveau de dotation perçu par la Collectivité de Corse est une variable stable. Sommes-nous certains de notre capacité à nous en passer ?


Votre groupe écarte donc du champ du possible deux pouvoirs importants. N’est-ce pas au fond un manque de confiance en la capacité des élus de la Corse - dont vous êtes, vous et vos amis - d’être des législateurs sages et avisés, d’avoir le courage de résister aux pressions et aux lobbies, d’imposer l’intérêt général ?

Ce n’est pas une question de confiance. C’est une question d’objectif. Le nôtre est que la Corse puisse s’épanouir au sein de l’ensemble républicain en pouvant adapter la loi lorsqu’il y a lieu de le faire. Nous sommes pragmatiques et conscients de notre environnement. Les exemples mis en avant en commission sont toutes des régions riches : Val d’Aoste, Bolzano, les Baléares, etc. Nous ne pouvons pas espérer la même manne fiscale ! Qui peut le nier ?


Si Emmanuel Macron va dans le sens de la délibération de l’Assemblée de Corse, votre groupe continuera-t-il de participer au processus Beauvau, sera-t-il disposé à transiger ou commencera-t-il, dans la perspective du referendum local demandé par toutes les parties, à faire campagne pour le Non ?

On n’y est pas encore. Avant de se positionner sur le referendum, il faut connaître la question posée et le projet d’évolution statutaire qu’il sera demandé de valider.


Si Emmanuel Macron rejette la délibération ou la vide la délibération de sa substance, tenterez-vous de faire adopter vos propositions des débats des 4 et 5 juillet ? Lesquelles pensez-vous les plus susceptibles d’être retenues ?

Je n’ai pas d’information à ce sujet. Nous maintiendrons notre position en défendant un pouvoir d’adaptation qui est la voix de la raison, et la voie médiane entre le statu quo et la logique d’autodétermination. Les réunions de Beauvau constituent un espace d’échange au cours desquels nous aurons à cœur de proposer cette vision pragmatique et réalisable.


Quelques mots concernant le quotidien dont vous dites souvent qu’il préoccupe davantage les Corses que les débats institutionnels. Votre groupe et vous-même dénoncez régulièrement les échecs de la gestion de la Corse par la majorité territoriale. Quels sont, selon vous, les échecs majeurs, ou plus précisément ceux qui vous paraissent de nature à hypothéquer l’avenir ?

Précisément ceux qui peuvent démontrer que la Collectivité de Corse n’est pas en mesure d’assumer des compétences supplémentaires à partir du moment qu’elle a failli sur les prérogatives qu’elle gère à titre exclusif. C’est évident sur les déchets où, malgré le fait que l’exécutif dispose de la majorité absolue depuis 2017, on se heurte à une crise d’indécision. Pourtant, la Collectivité a les moyens d’agir, elle définit le Plan ! Il semblerait qu’après des années d’errance, on parvienne à entrevoir la sortie du tunnel. Nous l’espérons. Même constat sur le PADDUC, lui aussi découlant du transfert de compétences de la loi du 22 janvier 2002. Il est désormais temps de le réviser pour disposer d’un cadre juridique sécurisé en mesure de fluidifier l’élaboration des PLU. C’est moins évident sur la question de l’urbanisme par rapport aux déchets parce qu’on est confronté à une inflation normative via les lois ALUR, ELAN, Climat et Résilience, etc ;


Vous mettez souvent en avant une volonté d’approche pragmatique. Imaginons que vous accédiez aux responsabilités à la fin de l’été, quels seraient les dossiers que vous traiteriez en priorité et quelles premières solutions préconiseriez-vous ?

Tenons-nous en aux deux exemples précédents, les déchets et le PADDUC. Sur les déchets, il y a urgence à en finir avec la défiance stérile à l’égard du SYVADEC, émanation des EPCI et donc des territoires, pour faire reposer la gestion des déchets sur le tri et la valorisation, loin de toute considération dogmatique. Concernant le PADDUC, il y a deux urgences. D’une part, la révision du schéma de mise en valeur de la mer, notamment la classification des plages dont dépend l’épineuse question des paillotes. D’autre part, la cartographie des Espaces Stratégiques Agricoles qui bloque souvent les documents d’urbanisme. Notre position est claire sur ce point. S’il faut retenir un niveau inférieur aux 100 000 hectares pour sécuriser la cartographie, il faut le faire, en créant les conditions pour que ces espaces ne soient pas seulement gelés mais également mis en exploitation.


Volotea s’est invitée dans le cadre de l’appel d’offre relatif au service public aérien. Tout le monde soutient Air Corsica mais beaucoup considèrent d’une part, que ses coûts d’exploitation sont trop élevés et que s’ajoutant à l’insuffisance de l’enveloppe de continuité territoriale, cela va insupportablement grever les finances de la Collectivité de Corse ; d’autre part, que les prix des billets sont exorbitants aussi bien pour le résident que pour le visiteur ou le Corse de la Diaspora. Faut-il revoir le modèle et la stratégie Air Corsica ? Selon quelles modalités et orientations ?

Vous me permettrez de ne pas évoquer une procédure en cours d’attribution, la Délégation de Service Public aérienne, ni le positionnement d’autres opérateurs autres que la compagnie régionale, fruit d’une volonté politique née en 1989 à l’initiative de l’institution régionale. La baisse du prix du billet était dans notre programme en 2015 et 2017. Nous n’allons pas aujourd’hui nous dédire. Nous avions d’ailleurs accompagné la démarche initiée dans le même sens par l’exécutif en 2019. Nous avons regretté, il y a quelques mois, la hausse du prix du billet dans le cahier des charges. La révision des modèles dans les transports, aussi bien concernant le maritime que l’aérien, ne doit pas être forcément taboue. Dans le maritime, notre groupe avait proposé d’envisager des Obligation de Service Public compensées en lieu et place d’une Délégation de Service Public coûteuse et difficile à défendre au niveau européen. L’aérien s’y prête moins.


Un mot concernant votre camp politique. Depuis le départ de Laurent Marcangeli, avec Valérie Bozzi, vous avez fait en sorte de maintenir un fonctionnement cohérent et lisible d’Un Soffiu Novu. En revanche, ce qu’on appelle le camp libéral, est souvent décrit comme manquant d’une structuration qui mobilise, d’un message qui impacte et d’un leader qui incarne une démarche commune. Partagez-vous ce constat ? Envisagez-vous de prendre une initiative pour inciter à fédérer les énergies, conjuguer les talents et élaborer une stratégie de reconquête ?
Nous sommes un groupe politique qui aspire à constituer une alternative à la majorité actuelle, le fer de lance de l’opposition territoriale, mais il existe au-delà de l’institution des élus et des forces politiques. L’intérêt d’une structuration réside dans la dimension régionale et ne peut se circonscrire au seul groupe politique de l’Assemblée de Corse. Il faut en dépasser le cadre pour s’organiser.


Laurent Marcangeli a-t-il encore sa place au sein du camp libéral corse ? Qu’il veuille présenter ses propres propositions concernant l’avenir de la Corse n’est-il pas contre-productif ? Qu’il préside le groupe parlementaire Horizons qui soutient la politique d’Emmanuel Macron, n'est-il pas un handicap présent et futur pour le camp libéral corse ?

Laurent Marcangeli a tiré une liste et est parlementaire. Pourquoi n’appartiendrait-il plus au camp libéral ? Il a fait un choix qui lui appartient au niveau national en participant à la majorité présidentielle et en préside l’aile droite. Cela peut être un atout dans les échanges en cours.


Propos recueillis par Jean-Pierre BUSTORI




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