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Corse : terre d'anarchistes, "Les anarchistes corses doivent retrouver leur autonomie et la visibilté de leurs analyses, de leurs idées et de leurs méthodes"

A fin du XIXe siècle et durant la première moitié du XXe siècle, nés sur l’île ou ailleurs, de nombreux Corses ont eu un rôle dirigeant ou simplement militant au sein du mouvement anarchiste

Corse: terre d’anarchistes


A fin du XIXe siècle et durant la première moitié du XXe siècle, nés sur l’île ou ailleurs, de nombreux Corses ont eu un rôle dirigeant ou simplement militant au sein du mouvement anarchiste. Les figures les plus marquantes sont ici brièvement ou succinctement mentionnées. !


Des leaders


ALERINI Charles. Né en 1842 à Bastia. Professeur au collège de Barcelonnette (Basses-Alpes), suspendu de ses fonctions en 1870 pour appartenance à la Première Internationale. S’établit à Marseille. Gérant d’un journal républicain. Mai 1870, arrêté pour appartenance à l’Internationale. Libéré un mois plus tard. Août 1870, participe au Comité d'initiative et d'organisation de la première Commune révolutionnaire de Marseille. A cette occasion, rencontre Bakounine et, après l’échec de l’insurrection, organise la fuite de ce dernier vers Gênes. Naissance d’une durable amitié. Incarcéré, il est libéré le 4 septembre (chute du Second Empire). Octobre 1870 à mars 1871, mobilisé dans la Garde nationale et emprisonné plusieurs mois pour refus d'obéissance et complot. Mi-mars et début avril 1871, participe à la seconde Commune de Marseille. Après l’échec de l’insurrection, s'exile à Barcelone et poursuit son action militante au sein de l'Association Internationale des Travailleurs. Fin 1871, participe à l’Internationale anti-autoritaire qui combat l’Internationale marxiste, affrontement qui aura pour épilogue une scission entre la tendance majoritaire de Karl Marx (communiste) et celle minoritaire de Bakounine (anarchiste). 1873, à Barcelone, fonde la Section française de l’Association Internationale des Travailleurs, un Comité de propagande révolutionnaire socialiste de la France méridionale et publie le journal La Solidarité révolutionnaire pour préparer un mouvement insurrectionnel en France. 1873, lors du 6ème congrès de l’Internationale anti-autoritaire, est un des délégués de la Fédération régionale espagnole, représente plusieurs sections françaises illégales et rencontre Bakounine. Entre 1874 et 1876, est emprisonné à Cadix lors d’une tournée de propagande. En 1876, apprenant la mort de Bakounine, fait publier une lettre intitulée « Une page de vie de Bakounine ». Ce décès le conduit probablement à mettre fin à son activité militante.

BASTELICA André. Né en1845 à Bastia. Ses parents s’installent à Marseille. Ouvrier typographe. 1864, se familiarise avec les questions politiques et sociales, découvre notamment les écrits de Proudhon. Deux ans plus tard, apprend l’existence de l’Internationale à laquelle il adhère en 1867. Fin 1868, prend la direction de la section marseillaise. 1869, de Bayonne aux Basses-Alpes, crée des sections et fait adhérer des sociétés ouvrières. Février 1870, 27 corporations organisées et plus de 4500 membres. Collabore à plusieurs journaux. Participe à la fondation, en août 1868, de la section marseillaise de la Ligue de l’Enseignement. Mai 1870, poursuivi pour appartenance à l’Internationale, se réfugie en Espagne. Regagne Marseille après la chute de l’Empire le 4 septembre 1871. Le 9 septembre, réclame l’organisation d’un gouvernement du Midi qui décréterait la levée en masse, lèverait des impôts pour les armements et s’appuierait sur les travailleurs. Le 17 septembre, est aux côtés de Bakounine durant la tentative insurrectionnelle lyonnaise puis regagne Marseille, cache Bakounine et lui permet de se réfugier à Gênes. Le 22 septembre, proclame l’adhésion de la Fédération marseillaise de l’Internationale à la Ligue du Midi. Mars 1871, nommé directeur des Contributions indirectes par le gouvernement de la Commune de Paris. Défenseur du fort d'Issy, ne peut le garder à la Commune, demande à comparaître en jugement et est emprisonné peu de temps. Présent sur les barricades lors de la Semaine Sanglante, grièvement blessé, parvient à se réfugier à Londres. Août 1871, admis au Conseil général de l’Internationale. Octobre 1871, désorienté et abattu par l’échec de la Commune et les fractures au sein de l’Internationale, gagne la Suisse où il renoue avec son métier de typographe. ZEVACO Michel. Né en 1860 à Aiacciu. Journaliste et romancier après avoir été professeur de rhétorique puis militaire. Après s’être établi à Paris, devient principal rédacteur du quotidien anarchiste L’Égalité. En 1890, à la suite d’un article contre le ministre de l’Intérieur, est incarcéré. Condamné à quatre mois d’emprisonnement. En 1890 également, participe à l’organisation d’une Ligue socialiste-révolutionnaire et aide à la création de plusieurs syndicats. En 1892, publie une profession de foi anarchiste et, quelques jours plus tard, prononce un éloge de Ravachol au cours d’une réunion publique, ce qui lui vaut d’être condamné à six mois d’emprisonnement. Collabore à plusieurs journaux militants anarchistes (Libertaire, La Renaissance, L’Anticlérical) A l’approche de la quarantaine, se consacre à sa famille et à la rédaction de romans-feuilletons historiques dont le cycle Les Pardaillan.


Et aussi


PANCRAZI Jean-Baptiste. Né en 1882 à Bône (Algérie). Lors d’une perquisition, découverte à son domicile de titres volés par la bande à Bonnot. Placé en détention et relâché sans être inculpé.


CARDI Pierre. Né en 1875 à Brandu. 1911, sous fausse identité, loue un débit de boissons à Paris, rue Ordener, en face de la Société générale qui sera attaquée par la bande à Bonnot. Avril 1912, perquisition à son domicile, découverte de mandats-poste adressés à des membres emprisonnés de la Bande à Bonnot. Pas de suites judiciaires.

MATTEI Jean. Né en 1880 à Rennu. Employé du gaz de ville à Paris. Fiché « anarchiste communiste et pacifiste ».

 MATTEI Maxime. 1909, tente de faire évader l’intellectuel anarchiste Francisco Ferrer, condamné à mort par un tribunal militaire espagnol et qui sera fusillé. Février 1939, lors de la Retirada, apporte une aide considérable aux réfugiés espagnols.


CARDUCCI Toussaint. Né a Bastia. Douanier puis docker. Qualifié de « propagandiste libertaire dangereux ». 1911, secrétaire de la Bourse du Travail de Bastia.


MARTINELLI Jean-Paul. Fin des années 1940, secrétaire du groupe anarchiste d’Aiacciu et adhérent à la Fédération Anarchiste.

ETTORI Jean-Marie. Né à Grossetu-Prugna en 1886. Ouvrier journalier à Marseille. Classé « antimilitariste » par la police.

VINCILEONI Éliane. Née en 1930. Parents corses installée à Milan. Engagée dans le soutien à la résistance antifranquiste. 1969, emprisonnée plusieurs mois, accusée de participation à un attentat à la foire de Milan, finalement acquittée.


VECCHIONI Mathieu. Né en 1888 à A Crucichja. Peintre en bâtiment à Marseille. Membre dans les années 1920 de la Fédération anarchiste du sud.

ANTONSANTI Gaetane. Né en 1878 à Bastia. Marin, marchand de journaux, comptable. Poursuivi en 1906 en cour d’assises d’Aix en Provence pour avoir rédigé et placardé l’affiche « Lettre à un conscrit », acquitté. Fondateur du Groupe d’étude de propagande sociale par le théâtre, la chanson, la parole et la brochure. Gérant du journal de langue espagnole Brisas Libertarias. Fondateur du Groupe de propagande révolutionnaire et antimilitariste.


CASANOVA Jacques-Antoine. Né en 1889 à Barretali. Employé. Membre du Groupe d’Études sociales de Marseille. Animateur du Comité marseillais de défense des révolutionnaires emprisonnés en Russie. 1926, trésorier du Cartel de liaison des syndicats autonomes du sud-est. Secrétaire de la Fédération anarchiste Provençale. 1936, Front populaire, son groupe signalé par la police comme « le plus actif et le plus intelligent des groupements anarchistes » de Marseille. Secrétaire du Comité d’entraide pour la défense de la révolution espagnole.


CASANOVA Marie-Angèle (née NAVARINI). Née à Barretali en 1896, infirmière à l’hôpital de la Conception de Marseille. milite dans les années 1930 à la Fédération Anarchiste provençale.


ROCLIANO Joseph. Né en 1857 à Bastia Cordonnier à Marseille. 1904, délégué des cordonniers à l’Union des Chambres syndicales ouvrières. 1912, fait toujours l’objet d’une surveillance et de rapports mensuels.


CANOVA Alice. Née à Bonifaziu. A la fin des années 1890, membre du groupe Les iconoclastes. Collaboratrice de l’hebdomadaire L’homme libre.


FAGGIANI Henri. Né en 1868 à Portivechju. Raccommodeur de parapluies et porcelaine à Nîmes. Condamné pour désertion par un Conseil de guerre à Alger, milite dans les années 1890 (groupe Les Libertaires réunis).



Pierre MATTEI: « Les anarchistes corses doivent retrouver leur autonomie et la visibilité de leurs analyses, de leurs idées et de leurs méthodes »



Pierre MATTEI est né a Lille en 1959. Ses origines parentales Ascu et Croce. Dès le début des années 1980, résidant alors encore dans la région lilloise, étant déjà acquis aux idées anarchistes, il s’est engagé au sein des Collectifs de soutien à la lutte du peuple corse (CSLPC). Ayant réalisé son « ritornu » au début des années 1990, il a milité au STC puis, en 1991, au MPA. En 1996, il a rejoint Corsica Viva. Après avoir intégré U Rinnovu lors de sa création puis A Mossa Naziunale, il a milité au sein d’Inseme per a Corsica jusqu'à la création de Femu à Corsica. Aujourd’hui, étant le délégué de la F.A (Fédération Anarchiste) pour le nord, avec Jean-Louis LAREDO, délégué pour le sud, il s’emploie à organiser et développer le mouvement anarchiste à l’échelle de la Corse.


Quels sont, selon vous, les pères fondateurs de la pensée et de l’action anarchiste ?
L’aspiration des femmes et des hommes à la liberté individuelle et collective plonge ses racines dans le temps long de l’Histoire de l’humanité. L’anarchisme au sens philosophique et politique du terme s’est construit durant la première moitié du XIXe siècle alors qu’apparaissaient les premiers grands bagnes industriels et qu’émergeait un nouveau système économique : le capitalisme. Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) dans son essai « Qu’est-ce que la propriété ? ou Recherche sur le principe du Droit et du Gouvernement », publié en 1840, a été le premier à soumettre à l’analyse scientifique les mécanismes du capitalisme, la propriété privée des moyens de production, le salariat, la démocratie représentative et, aussi et bien sûr, l’État, sa nature, son économie de fonctionnement et ses méthodes. Il a aussi été le premier à se définir comme anarchiste et donc à doter l’anarchisme d’une valeur positive. Cependant, c’est Michel Bakounine (1814-1876) qui, dans son essai « Dieu et l’État », publié en 1882, à titre posthume, qui a fait de l’anarchisme une véritable philosophie politique, lui a donné des objectifs stratégiques, et l’a inscrit dans sa perspective révolutionnaire. Il a aussi été le fondateur du mouvement anarchiste international et de l’internationale anti-autoritaire.


Quel est le rapport de l’anarchie avec l’État ?
Les anarchistes rejettent et combattent les dominations politiques, économiques, sociales, sexuelles, culturelles ou cultuelles. En fait : toutes les formes de domination. Nous sommes donc des partisans résolus de l’abolition de l’État qui, par capillarité, sédimente toutes les déclinaisons de la domination et assure la pérennité de celles-ci par la violence si elles sont en danger. Pour nous anarchistes, il n’y a pas de violence d’État légitime, d’État démocratique, progressiste ou même socialiste. L’État est de tout temps un instrument de domination au service exclusif de ceux qui détiennent le capital, les moyens de production et le pouvoir. Il est le garant et le gardien de l’ordre social dominant. L’État est aussi celui qui organise, oriente, met en synergie et optimise l’ensemble des rapports d’autorité à l’échelle d’un territoire. Il est l’outil qui produit les normes, impose les disciplines ainsi que ses conditions d’existence à l’ensemble du corps social. Notre émancipation individuelle passe donc nécessairement par la destruction de l’État, l’égalité économique et la démocratie directe. Sans la réalisation de ces conditions, la démocratie n’est qu’un leurre, une fiction, un théâtre d’ombres.


Les idées anarchistes ont-elles eu des moments forts de mise en pratique ?
Oui, bien sûr. L’anarchie a été à l’initiative ou au cœur de luttes sociales et sociétales. Cet investissement est une permanence historique. Elle représente une considérable et très riche expérience accumulée. Les anarchistes ont été acteurs ou initiateurs de la création de grandes centrales syndicales. Je ne serai pas exhaustif. En France, en 1895, ils ont été un courant majeur de la création de la CGT (Confédération Générale du Travail). En Espagne, en 1910, ils ont créé la CNT (Confederación Nacional del Trabajo). Les anarchistes ont aussi créé, en 1901, en Argentine, la F.O.A (Federación Obrera Argentina)
qui en 1903 a opté pour la dénomination F.O.R.A (Federación Obrera Regional Argentina) ; en 1912, en Italie, l’USI (Unione Sindacale Italiana) ; en 1905, aux USA, les IWW (Industrial Workers of the World)… Les anarchistes ont aussi été, durant la première moitié du XXe siècle, les initiateurs des premières grandes organisations féministes révolutionnaires. Ainsi, les Mujeres Libres, organisation créée en 1936 et qui a été forte de plus de 20 000 adhérentes, a, en 1937, dans la très catholique Espagne, imposé au gouvernement républicain, l’égalité des droits et des salaires, le libre accès à la contraception et le droit à l’avortement.
Les anarchistes ont aussi joué un rôle majeur dans la création et la structuration de différents organismes à vocation sociale ou solidaire. Par exemple, en France, durant les années 1890, des anarchistes ont été à l’initiative de la création, de la structuration et de l’implantation des Bourses du Travail. Fernand Pelloutier a été élu, en 1895, secrétaire général de la Fédération des Bourses du Travail qui avait été créée trois ans auparavant. Les anarchistes ont aussi été très impliqués dans le mouvement mutualiste. On les retrouve aussi dans l’émergence des premiers syndicats de locataires, ainsi Georges Cochon a été, en 1911, le premier secrétaire général de l'Union syndicale des locataires ouvriers et employés qui avait été constituée quelques mois plus tôt.



Les idées anarchistes ont-elles donné lieu à des expériences ou des mises en pratique globales à l’échelle d’un pays ou au moins d’un territoire ?

Assurément. Les anarchistes ont joué un rôle déterminant dans la Révolution mexicaine (1910-1019) : implication du PLM (Partido Liberal Mexicano) fondé en 1906 dont la figure marquante était Ricardo Flores Magón ; à Mexico et dans les grandes villes, à partir de la puissance du mouvement anarcho-syndicaliste, expropriation des propriétaires de grandes entreprises industrielles et commerciales et gestion directe de celle- ci, autogestion, par les travailleurs ; dans les campagnes, confiscation par Emiliano Zapata, très proche de Ricardo Flores Magón, des terres des grands propriétaires et redistribution de celles-ci en faveur de communautés paysannes qui autogéraient la production agricole. En Ukraine, entre 1918 et 1921, la Makhnovtchina (Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne) a combattu d’abord contre les Armées blanches tsaristes puis contre l’Armée rouge que commandait Léon Trotski. Son fondateur Nestor Makhno a, durant la période, imposé la redistribution des terres, la gestion directe et la démocratie directe. En mars 1921, la Commune libre de Kronstadt a été noyée dans le sang par l’Armée rouge de Léon Trotski, cette répression sanglante a signifié la fin de la révolution sociale en Russie et l’instauration de la dictature du Parti communiste bolchevik. La Révolution espagnole (1936-1939) a représenté un saut qualitatif à partir de l’action de la CNT-FAI (Confederación Nacional del Trabajo-Federación Anarquista Ibérica) : démocratie directe, liberté individuelle, égalité homme-femme, autogestion des productions agricole et industrielle.
L’Espagne a connu et vécu, durant trois ans, la mise en œuvre du communisme libertaire dans toutes ses dimensions politiques, économiques, sociales et sexuelles. Et ce, alors que les anarchistes ont dû se battre simultanément sur deux fronts : contre les troupes fascistes du général Franco et contre le Pari communiste espagnol. Derniers exemple, plus contemporains, les expériences concrètes du Chiapas au Mexique et de la Rojava au Kurdistan. Sur ces deux territoires, sont expérimentés avec succès les principes anarchistes d’égalité, de démocratie directe, d’autogestion de fédéralisme et de confédéralisme.
En Rojava, c’est particulièrement remarquable, car ce territoire est pris en tenaille par, au sud, la dictature de Bachar el-Assad et les « fascistes verts » de l’État Islamique, au nord, par l’armée du dictateur turc Recep Tayyip Erdoğan et leurs supplétifs syriens. L’histoire des anarchistes continue sur tous les Continents. Si nous sommes quelquefois vaincus, nous sommes toujours debout.



En France, aujourd’hui, qu’elles organisations représente-t-elles la mouvance anarchiste ? Selon quelles nuances idéologiques ? Selon quels terrains d’action ?
Les deux principales organisations anarchistes sont la F.A (Fédération Anarchiste) et l’UCL (Union Communiste Libertaire). Toutes deux sont présentes en Corse. La Fédération Anarchiste accueille en son sein les quatre grandes tendances libertaires : les anarchistes individualistes, les socialistes libertaires, les communistes libertaires, les anarcho-syndicalistes. Outre ces deux structures, existe une multitude de groupes autonomes composés de militants qui se regroupent par affinités ou sur des bases thématiques qui, si on en fait l’addition, embrassent l’ensemble des luttes politiques, économiques, sociales, culturelles, écologiques, féministes, anti-racistes… La capacité d’occuper tous les terrains de lutte et la possibilité que tout individu puisse s’investir sur tous ces terrains caractérisent le mouvement anarchiste, et ce, depuis son origine.


Les actions des Black-blocs et les récentes émeutes sans de nombreuses villes de France relèvent-elles de l’occupation de terrains de lutte, ont-elles un lien avec la mouvance anarchistes, comment sont-elles ressenties par la mouvance anarchistes ?
Les Black-blocs s’inscrivent dans la déjà longue histoire du mouvement social et de l’action directe qui, il convient de le préciser, n’induisent pas mécaniquement un recours à la violence. Cependant, il faut le préciser aussi, ce ne sont pas les manifestants qui fixent les règles du jeu ; c’est l’État qui place et déplace le curseur de violence à partir de ses choix politiques et répressifs. On peut certes disserter sur la pertinence du recours à la violence à un instant T, sur le niveau d’intensité de celui-ci, sur ses formes. En revanche, on ne peut douter du courage, de l’honnêteté et de la sincérité de l’engagement de ceux qui organisent et pratiquent cette violence.
Les jeunes libertaires qui s’investissent et s’organisent dans les Black-blocs ne sont ni des voyous, ni des casseurs, ce sont des militants politiques. Concernant les émeutes qui ont eu lieu après l’assassinat du jeune Nahel, il est encore trop tôt pour en tirer une analyse très fine. Mais on peut au moins déjà dire trois choses. Le chômage de masse, la misère économique qui règne dans quartiers, les conditions matérielles de vie très dégradées, la marginalisation économique, sociale et culturelles de franges de plus en plus importantes des milieux populaires, l’absence de perspectives de court et moyen terme, sont des causses centrales. On peut penser que l’on a assiste à la ré-éruption de la plèbe dans le champ politique, de celles et ceux qui, au XIXe siècle, étaient appelés « classes dangereuses » par les possédants. Nous ne sommes sûrement pas au début d’une guerre civilisationnelle, d’un conflit ethnique et moins encore d’une nouvelle croisade religieuse.


Vous avez évoqué la présence d’au moins deux structures anarchistes en Corse. L’histoire anarchiste compte-t-elle de significatives pages corses ou des personnalités originaires de l’île ?
Des Corses se sont investis ou au moins reconnus dans le mouvent anarchistes dès la moitié du XIXe siècle. Charles Alerini (1842-1901), né à Bastia, a été le bras droit de Michel Bakounine, un responsable de premier plan de l’Internationale anti-autoritaire et un des principaux artisans de la Commune de Marseille (22 mars-5 avril 1871) que l’Armée a réprimée dans le sang dans la nuit du 4 au 5 avril 1871. André Bastelica (1845-1884), lui aussi né à Bastia, a été, en 1871, le directeur des contributions indirectes de la Commune de Paris. Michel Zevaco (1860-1918), né à Aiacciu, romancier, journaliste et pamphlétaire reconnu, a été un militant anarchiste très actif à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Des militants anarchistes ont implanté la CGT en Corse et des militants anarchistes corse ont construit la première Bourse du Travail de Bastia et ont, jusqu’aux années 1920, initié et mené les luttes sociales dans notre île.
Savez-vous qu’avant d’adhérer au Parti Communiste, le père du grand résistant communiste Léo Micheli, a été un militant anarchiste et un anarcho-syndicaliste présent et actif sur tous les fronts sociaux ? L’immense espoir qu’a suscité la Révolution d’Octobre au sein du mouvement ouvrier, la création du Parti Communiste en 1921 puis son implantation en Corse en 1924, la méconnaissance et aussi la désinformation relatives à ce qu’étaient les réalités de la dictature bolchevique se sont ensuite imposés chez nous comme partout ailleurs. Sauf en Espagne et en Italie.


Aujourd’hui, outre l’implantation des deux organisations que vous avez indiquée précédemment, qu’en est-t-il de la présence anarchiste chez nous ?

Durant la période contemporaine, des militants anarchistes se sont investis dans les luttes pour la reconnaissance et l’émancipation de notre peuple. Des anarchistes sont présents au sein de presque toutes les organisations du mouvement national corse. Qu’elles soient publiques ou clandestines. Des anarchistes sont aussi présents au sein de la CGT, de la CFDT ou de Force Ouvrière.


Quel regard porte globalement la mouvance anarchiste sur le nationalisme corse depuis que, depuis plusieurs années, il a accédé aux responsabilités ?
Nous sommes entrés dans un nouveau cycle politique. Les nationalistes sont électoralement très majoritaires. Ils sont aux commandes à la Collectivité de Corse et dans de nombreuses autres collectivités publiques. Ils font des choix politiques, économiques et sociaux.
Pour sa part, la bourgeoisie corse est désormais dotée d’un projet économique cohérent et ambitieux qui associe la grande distribution, le BTP, l’immobilier, le foncier, les transports, la gestion des déchets, le tourisme saisonnier et résidentiel. Elle dispose d’une force de frappe et d’influence organisée : le Consortium. C’est la bourgeoisie qui, dans les faits et si rien n’est vraiment fait pour lui résister, imposera dans les prochaines années, les grands choix en matière de développement économique et d’aménagement du territoire pour que, notamment, ils rendent possible une augmentation de la population. En effet, elle estime que 500 000 habitants est le seuil critique à partir duquel peut être optimisée la rentabilité de ses investissements capitalistiques. L’incapacité ou plutôt l’absence de volonté ou le refus des organisations nationalistes de d’inscrire leur démarches dans un véritable projet de société sont très lisibles. Ils révèlent à la fois un électoralisme attrape-tout et une adhésion au moins tacite aux logiques capitalistiques dominantes.
Il convient de noter que le spectre idéologique du nationalisme corse va aujourd’hui du libéralisme du Partitu di a Nazione Corsa à la soft social-démocratie de Core in Fronte en passant par le social-libéralisme de Femu a Corsica et le national paternalisme de Corsica Libera. Rien qui puisse remettre en cause la domination du capital sur le travail et résoudre la contradictions Capital/Travail. Ce constat impose que les anarchistes corses retrouvent toute leur autonomie et la visibilité de leurs analyses, de leurs idées et de leurs méthodes. En particulier, nous devons poser la question économique dans toutes ses dimensions.
Si le peuple corse existe bel et bien, il ne peut être ni une pure abstraction, ni un concept rhétorique, ni une addition de familles et de tribus. Le peuple corse est composé d’individus qui lui constituent sa chair et il importe de construire les conditions de leur émancipation individuelle et collective. Comment ? Il s’agit de sortir de la contradiction Capital/Travail en rompant avec la propriété privée des outils de travail (le capital) et le salariat (le travail). La gestion directe, l’autogestion et la démocratie directe sont des objectifs fondamentaux.


Entre autonomie et indépendance, quelle est l’option la plus proche de la vision anarchiste ?
Les anarchistes sont anti-capitalistes et anti-colonialistes. Ils sont donc partisans du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de l’autodétermination dès lors que ces peuples se voient imposer la domination d’une puissance ou d’un État qui nie leur existence. Mais nous ne sommes pas nationalistes. Nous considérons que l’émancipation des peuples, y compris le notre, n’est ni réductible, ni soluble dans l’État-nation. Nous sommes fédéralistes, confédéralistes et internationalistes.
Fondamentalement , nous pensons qu’il vaut mieux fédérer les femmes et les hommes plutôt que de les assigner à résidence identitaire dans les frontières toujours artificielles des États. Nous travaillons donc à la construction d’une plateforme libertaire qui soit capable de fédérer tous les anarchistes corses. Nous travaillons aussi avec nos compagnons des fédérations anarchistes italiennes, siciliennes et espagnoles ainsi qu’avec, en Italie, l’USI (Unione Sindacale Italiana) et, en Espagne, la CNT (Confederación Nacional del Trabajo)
et la CGT (Confederación General del Trabajo) afin de mieux appréhender les problématiques et les enjeux des territoires et des hommes de la Méditerranée occidentale.
 
Jean -Pierre Bustori
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