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Après la prise de position du Président Macron ... Quelles perspectives pour le statut constitutionnel de la Corse ?

Dans son discours prononcé le 28 septembre 2023 à l’Assemblée de Corse, le Président Macron est venu affirmer qu’il souhaitait inscrire le particularisme de l’île dans la Constitution et le traduire par un statut d’autonomie.
Après la prise de position du Président Macron : quelles perspectives pour le statut constitutionnel de la Corse ?


Dans son discours prononcé le 28 septembre 2023 à l’Assemblée de Corse, le Président Macron est venu affirmer qu’il souhaitait inscrire le particularisme de l’île dans la Constitution et le traduire par un statut d’autonomie. Au demeurant, les incertitudes restent grandes et les acteurs politiques corses se retrouvent face à un véritable défi.


C’est désormais une certitude : en Corse, le débat institutionnel devrait accaparer les attentions politiques et médiatiques (et, espérons-le, citoyennes) pendant encore plusieurs mois. La venue du Président Macron a apporté des éclaircissements mais fut loin d’être exempte d’ambiguïtés.

Finalement, la fermeté ne se retrouve que dans les omissions, plutôt prévisibles, synonymes de rejet des grandes revendications nationalistes que sont la reconnaissance du peuple corse, la co-officialité de la langue corse et le statut de résident. Ce rejet ne signifie pas l’illégitimité des questions posées, mais les pistes envisagées sont restées très floues.

Beaucoup y voient la réaffirmation d’un pouvoir sourd et méprisant. Il serait néanmoins dommage de s’empêcher de réfléchir à différents dispositifs répondant, au moins en partie, aux problématiques en cause. Que ce soit dans le domaine linguistique, dans celui du logement ou dans tout autre domaine, il n’existe pas d’idée-miracle ou de mesure-miracle. Il ne fait guère de doute que la co-officialité et le statut de résident auraient des effets saillants, mais les ériger en fétiches n’est probablement pas judicieux. Il n’y a pas de solutions simples à des problèmes très compliqués.

Quant à la non-reconnaissance du peuple corse, elle ne saurait être bien accueillie par les nationalistes corses. Le nationalisme réside d’abord dans l’affirmation d’une communauté politique distincte, détentrice de droits politiques. En proposant de reconnaître une « communauté insulaire, historique, linguistique et culturelle », le Président Macron est évidemment en-deçà. On peut toutefois noter que c’est un niveau de reconnaissance supérieur à celui que l’on retrouve habituellement pour les outre-mer, où l’on emploie plus volontiers le terme extrêmement générique de « population ». Par exemple, il existe en Guyane un grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenges. On doit aussi mesurer l’importance de l’enjeu symbolique du point de vue de l’idéologie républicaine française, a fortiori à une époque où l’on prétend lutter à corps perdu contre tous les séparatismes.

Des revendications centrales ont donc été écartées, mais elles ne le sont pas pour l’éternité. L’histoire contemporaine de l’île montre qu’il n’est guère possible d’espérer une sorte de grand soir institutionnel, donnant entière satisfaction de chaque côté de la mer, et ouvrant une longue période de grande stabilité. En Corse, comme dans tous les territoires où il existe de puissants sentiments nationalistes, l’équilibre État/région est toujours plus ou moins instable. En matière institutionnelle, dans les démocraties libérales, il est rare d’assister à des transformations radicales telle celle qu’a connu la France en 1958. L’évolution est le plus souvent graduelle, telle celle de la Corse, qui a connu quatre changements statutaires de 1982 à 2017, et pourrait donc bientôt en connaître un cinquième.

Reste à savoir quelle serait la nature de ce changement. La trajectoire choisie en 1982 n’a jamais changé. On peut parler d’un régionalisme différencié, sans altération de la répartition constitutionnelle des pouvoirs législatif et réglementaire d’application des lois. En métropole, ces derniers demeurent la propriété du pouvoir central. Ainsi, d’un point de vue qualitatif, les pouvoirs de la collectivité de Corse sont les mêmes que ceux de la Normandie ou de l’Occitanie. Elle peut adopter quelques mesures de nature réglementaire dans le cadre du Padduc, donc avec des contraintes considérables. De même, elle « peut demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités de l’île, sauf lorsqu’est en cause l’exercice d’une liberté individuelle ou d’un droit fondamental », mais le dispositif n’a jamais fonctionné, que ce soit sous la présidence de Gilles Simeoni ou sous celles de ses prédécesseurs.

Précisons que la législation et la Constitution françaises comptent bien d’autres dispositifs dont l’unique valeur est symbolique, et qui n’ont jamais eu vocation à réellement fonctionner ou modifier le système en vigueur. Parmi les exemples, on trouve le référendum d’initiative partagée, ou encore la disposition suivant laquelle « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».

Nous en arrivons ici à la question-clé du pouvoir normatif que les élus de la Corse seraient susceptibles d’exercer, lequel pourrait
impliquer un changement de trajectoire institutionnelle. Quoique notable, l’adoption du terme « autonomie » a une signification limitée, tant le terme peut recouper des réalités très éloignées.

Les projets de loi constitutionnelle de 2018 et 2019 voulaient donner à l’Assemblée de Corse le pouvoir de demander au Parlement une habilitation à adapter des dispositions législatives. Cela supposait donc un encadrement politique a priori et au cas par cas. Un dispositif identique est utilisable depuis 2007 par les départements et régions d’outre-mer ainsi que par plusieurs collectivités d’outre-mer. Ses résultats ont été insignifiants. La majorité des collectivités concernées n’a même jamais cherché à l’utiliser. Au reste, les mêmes projets de loi constitutionnelle voulaient fortement simplifier la procédure, puisque l’habilitation à intervenir dans le domaine de la loi aurait été donnée par le gouvernement, après avis du Conseil d’État ; le Parlement n’ayant plus qu’à valider l’habilitation dans les deux ans.

En tout cas, la motion déposée par le groupe de droite à l’Assemblée de Corse se fondait toujours, au nom du réalisme, sur le même principe : la possibilité de demander une habilitation à adapter des dispositions législatives. Or, pour le Président de la République, en rester aux textes de 2018 et 2019 signifierait qu’il ne s’est rien passé entre-temps, et je crois exclu que cette perspective-là reçoive un quelconque assentiment nationaliste. Au contraire, elle stimulerait vraisemblablement la rhétorique et la mobilisation des plus contestataires.

Le Président Macron est donc allé plus loin, en parlant d’une « capacité normative » s’exerçant « sous le contrôle du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel ». Et ce n’est pas anodin. Aujourd’hui, parmi les diverses formes d’actes locaux, seules les lois du pays néo-calédoniennes ont une valeur formellement législative et sont contrôlées à ce titre par le Conseil constitutionnel. Les lois du pays polynésiennes interviennent dans de très nombreux domaines législatifs, puisque l’État n’est plus compétent là-bas que dans une liste restreinte de matières, mais elles restent formellement des actes administratifs. À ce titre, elles sont contrôlées par le Conseil d’État, qui doit uniquement vérifier leur conformité à la Constitution, aux lois organiques, aux engagements internationaux de l’État et aux principes généraux du droit.

Bien sûr, on s’interroge sur la justification de ce double mode de contrôle. Plusieurs hypothèses sont défendables mais on ne saurait entrer ici dans l’exégèse. L’essentiel est que, selon le discours présidentiel, l’Assemblée de Corse devrait pouvoir intervenir dans le domaine de la loi, et il semble que ces interventions ne seraient pas subordonnées à un contrôle politique a priori du Parlement. Ce n’est pas négligeable, mais il reste à définir de quelle façon et dans quels domaines s’exercerait ce pouvoir.

Cela devrait animer la suite des discussions, avec une autre grande inconnue sur l’exigence de consensus qui a été formulée. Sachant que les positions initiales étaient très éloignées, peut-il s’agir d’un consensus total, impliquant que chaque groupe de l’Assemblée détienne un pouvoir de veto ? Je ne le crois pas. On peut imaginer que le Président et son gouvernement souhaitent un compromis entre les deux groupes autonomistes et le groupe de droite, lequel succèderait à la délibération du 5 juillet, unissant les autonomistes au groupe indépendantiste.

Dans l’optique de la phase parlementaire de la révision constitutionnelle, qui s’annonce fort incertaine, cela serait compréhensible. Au demeurant, exclure ainsi toute une famille politique représentative – l’indépendantisme – du champ du compromis comporterait d’autres risques, pour le pouvoir central comme pour le pouvoir territorial, ne serait-ce qu’au niveau du référendum qui devrait être organisé en Corse. Si le camp du Oui à l’autonomie n’est pas assez représentatif, uni et mobilisé, il est bien peu probable qu’il l’emporte.

Dans son discours, Emmanuel Macron a certainement cherché à séduire la droite corse et à la convaincre qu’elle pouvait aller plus loin qu’elle ne l’envisageait, tout en présentant une perspective jugée recevable par une partie de la majorité sénatoriale – particulièrement les centristes –, vu que le Sénat dispose d’un pouvoir de veto en matière de révision constitutionnelle. Rien ne dit qu’il y soit parvenu, mais les principaux acteurs politiques corses se retrouvent dorénavant dans une situation compliquée. Ce qui apparaît, malgré ses limites, comme une importante opportunité de réforme, pourrait se transformer en piège s’ils ne parviennent pas à dépasser leurs différences et à convaincre leurs soutiens de l’utilité de certains compromis.


André Fazi
Maître de conférences en science politique à l’Université de Corse
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