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Corsica : tarra di i morti

Trois fois plus ( en proportion ) de défunts que dans les cimetières du continent

Corsica : tarra di i morti


Selon les journalistes de RCFM, Patrick Vinciguerra et Marion Galland, les cimetières en Corse accueillent (en proportion) trois fois plus de défunts que les cimetières du continent. Selon eux, les raisons seraient au nombre de deux : une population plus âgée et des membres de la diaspora qui choisissent l’île comme dernière demeure. Mais il faut reconnaître, à notre culture en cette veille de Toussaint une forte prédilection pour la mort et le deuil.

Une date mémorable


La fête de la Toussaint a été instituée en 835 pour célébrer l’anniversaire de la transformation du Panthéon de Rome en ossuaire des saints martyrs, et par là, pour célébrer la fête de tous les saints. Mais c’est en 1915, durant la Grande Guerre que la date a été définitivement inscrite dans le calendrier de l’Église universelle. Le 2 novembre, lui, marquait la fête de tous les morts, I Morti, sans distinction. Ne disait-on pas : S’idd'ùn piovi ind' i Santi Ind' i Morti piuvarà ! (S’il ne pleut pas. la Toussaint c’est au jour des Morts qu’il pleuvra.)

Aujourd’hui, les deux fêtes sont confondues et sont même concurrencées par l’épouvantable mode d’Halloween qui nous est arrivée des États-Unis. Les fêtes de la Toussaint et du jour des Morts se limitent dans bien des cas à une visite au cimetière du 2 novembre au jour de la Toussaint, l’Ugnisanti. Claire Trévant et Lucie Desideri indiquent dans leur délicieux Almanach corse (Albin Michel) qu’« en 1869, Léonard de Saint-Germain écrit dans son Itinéraire de la Corse : « Dans le Nebbio, pendant la nuit qui précède la Toussaint, ils allument de grands feux devant les églises, ils sonnent les cloches à toute volée, et lorsque chacun est rendu, la personne la plus riche prend un sac, entre dans chaque maison et distribue ensuite le produit de la quête entre tous les nécessiteux ». D’ailleurs, la préparation de gâteaux spécifiques au 1er novembre et au jour des Morts est une coutume qui s’est généralement maintenue. Dans la région de Bastia, signalent les deux auteurs, le gâteau des Saints porte le nom de salviata ; il a la forme d’un « S » puisque c’est le gâteau d’I Santi. Autrefois, les maîtresses de maison pétrissaient la pâte des salviate avec du vin, puis les piquaient avec de la sauge, a salvia. Elles étaient mangées en famille le soir de la Toussaint.

Des traditions oubliées


Chez nous, le moment décisif est la nuit du 1er au 2 novembre, car alors les défunts reviennent dans leurs demeures où ils ont vécu et les vivants ont l’obligation de bien les accueillir. Il faut laisser ouvertes les portes des maisons. Le feu doit brûler dans l’âtre et la table est mise pour les revenants. Et ça n’est qu’en profitant de tout cela qu’ils s’en retourneront apaisés dans l’autre monde. Et malheur à ceux qui oublient ces convenances. Il leur tombe dessus ce que nos anciens appelaient a timpesta di i morti. Des voix les maudissent, eux et leurs enfants. Ils peuvent aussi recevoir la visite de la cohorte des revenants, a squadra d’Arozza.

Dialogues avec les morts


La Toussaint marque un moment de transition. L’automne bat son plein et les jours se font courts. C’est alors que les morts dialoguent avec les vivants. Ces derniers leur offrent un pain particulier appelé selon les endroits pani di i morti ou pani di i povari. Des quêtes sont faites à cette date au nom des âmes du purgatoire : « Apreti ! pà l'animi di u santu Purgatoriu ! » (Ouvrez ! au nom des âmes du saint Purgatoire !) Et à ceux qui frappent à la porte en prononçant ces mots, on donne du pain et des fruits secs (figues, noix, raisins, etc.). Claire Trévant et Lucie Désideri indiquent qu’autrefois en Castagniccia, lorsqu’on se rendait au cimetière le jour des Morts, on accrochait au cou des enfants un collier fait avec une pomme et des châtaignes.

Une île hantée par ses morts


Une île est un lieu enfermé et quand la morte-saison s’en vient, l’atmosphère peut devenir lugubre. On se souvient alors de ses jeunes années, celles de l’insouciance, des parents et amis disparus. Autrefois, grâce aux récits racontés à la veillée, il nous semblait que nous pouvions faire face au temps qui passe, à l’inéluctabilité de la fin. Et puis il y avait la foi qui formait un mortier cultuel et culturel de la société. Aujourd’hui que reste-t-il sinon les écrans et la solitude ? Notre société corse est âgée et elle ressent avec d’autant plus de violence ce vide laissé par la perte du merveilleux. Seules les confréries rappellent un peu ce que fut le monde corse qui croyait en lui-même. Nous enterrons trois fois plus de Corses que la moyenne continentale. Les anciens y auraient vu un mauvais présage. Il est temps, grand temps de tout réinventer.

GXC
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