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Charles Santoni : unu di l'ultimi maiò

Un des inspirateurs des idéées qui ont jeté les bases d'une nouvelle Corse
Charles Santoni : unu di l’ultimi maiò

Les lignes qui suivent sont à l’attention des générations X et surtout Y et Z qui ignorent, ou presque, combien Charles Santoni a été un des inspirateurs des idées qui ont jeté les bases d’une nouvelle Corse. En effet, il a été un de ceux qui ont fortement contribué à faire passer la revendication corse de l’intégrationniste et du sectoriel, à une dimension régionaliste et globale puis, sur fond de mise en exergue d’une situation coloniale, à une dimension autonomiste et même nationaliste. Si n’hè andatu, era unu di l’ultimi maiò di a Corsica nova.

Charles Santoni nous a quittés. Il a refermé la porte d’une existence bien remplie la veille d’un 11 novembre comme si, symboliquement, lui qui a été un homme de combats politiques, humanistes et sociaux, avait souhaité associer son cheminement vers le Créateur, à celui des milliers de Corses qui, il y a un peu plus d’un siècle, avaient emprunté le même parcours, étaient eux-aussi des combattants et aspiraient au fond d’eux-mêmes à ce que l’humanité devienne meilleure et puisse vivre mieux. Son enveloppe charnelle repose désormais là où, en l’an de grâce 1931, elle avait vu le jour : Isulacciu di Fium'Orbu. Sa pensée restera considérée comme ayant été une des facettes les plus scintillantes d’une Étoile des Lumière, Cyrnos. Peut-être son âme continuera-t-elle d’éclairer le destin de notre île. Les lignes qui suivent sont à l’attention des générations X et surtout Y et Z qui ignorent, ou presque, combien Charles Santoni a été un des inspirateurs des idées qui ont jeté les bases d’une nouvelle Corse. Ces derniers jours, plusieurs médias ont certes rappelé que Charles Santoni avait réussi sa vie professionnelle et intellectuelle : avocat, bâtonnier du Barreau de Bastia, enseignant à l’Università di Corsica, élu à la première Assemblée de Corse, rédacteur d’articles dans des revues qui accueillaient de grandes signatures (Les temps modernes, Réalités, Confluences) et auteur (Au cœur des débats de l'Assemblée de Corse en 1984, Liata Fiumurbaccia di 500 buccati corsi, Prix du Livre Corse 1986, Cantaleni, Rhapsodies corses en 1994, Chronique de la Franc-maçonnerie en Corse, 1772-1920 en 1999, participation au Dictionnaire historique de la Corse en 2006). Il avait d’ailleurs aussi, durant plusieurs années, écrit pour notre titre sous le pseudo de Marc’Aureliu Pietrasanta (rubrique hebdomadaire Libres propos). En revanche, ces médias ont peu évoqué qu’il a été un de ceux qui, à partir du début des années 1960, ont dégrossi et même poli la revendication corse qui a commencé à se dessiner à la fin des années 1950.

Force de proposition pour vivre et travailler au pays

Durant cette période et au début des années 1960, la Corse entre en ébullition sous l’effet d’un mouvement revendicatif à la fois intégrationniste et porteur de doléances sectorielles. Déplorant ainsi que la Corse, économiquement et socialement, ne soit « pas encore un département à part entière », le Mouvement du 29 novembre dénonce la vie chère, le manque d'approvisionnements en provenance du Continent, la menace de suppression du chemin de fer, l’état déplorable du réseau routier, le projet de créer un site d'expérimentation nucléaire à l'Argentella. Des chef d’entreprise effrayés par la concurrence s’organisent au sein du Groupement pour la Défense des Intérêts Économiques de la Corse (DIECO) et demandent notammment un statut fiscal pour soutenir les petites entreprises locales. En Plaine orientale, des jeunes agriculteurs et des candidats à l’installation exigent de l’État de bénéficier des mêmes aides (financements, équipements) que les rapatriés d’Algérie qui s’installent sur des milliers d’hectares. Charles Santoni va être un de ceux qui vont fortement contribuer à faire passer la revendication corse de l’intégrationniste et du sectoriel, à une dimension régionaliste et globale puis, sur fond de mise en exergue d’une situation coloniale, à une dimension autonomiste et même nationaliste. Tout commence à Paris. En décembre 1960, Charles Santoni y est étudiant. Avec quelques condisciples, il est un des membres fondateurs de L’Union Corse. Ces étudiants considèrent que les Corses contraints de vivre hors de leur île, ne doivent pas se contenter de combattre le mal du pays avec le « Casa », le « Cap » ou le « Patrimonio », avec un morceau de figatellu et de casgiu, ou avec des complaintes ou quelques couplets napoléoniens les soirs de bals d’Amicales des Corses et Amis de la Corse. Leur volonté est de mettre en commun leurs savoirs acquis et la liberté de penser qu’autorisent l’éloignement et le statut d’étudiant, et d’en faire une force de proposition au service d’un avenir corse en Corse, Un an plus tard, Charles Santoni est rédacteur en chef d’une revue bimestrielle Union Corse. Fin 1964, il est un des artisans de la création de L’Union corse, l’avenir qui comprend des étudiants et des amicalistes parisiens et qui défend une vision régionaliste. En 1966, il est membre du tout nouveau FRC (Front Régionaliste Corse), constitué en Corse, issu de L’union corse, l’avenir, du CEDIC (Comité d’études et de défense des intérêts de la Corse) des frères Simeoni et de l’UNEC (Union nationale des étudiants corses) active dans plusieurs villes universitaires. En août 1966, au Palazzu Naziunale à Corti, avec Max Simeoni, il organise des Assises régionales de la jeunesse corse ayant thème « Vivre et travailler au pays ». Cette union des régionalistes ne durera pas.

Mise en exergue et dénonciation du colonialisme

Très vite, jugeant le FRC « trop marxiste » et surtout insuffisamment tourné vers l’action de terrain et les problématiques des chefs d’entreprise et d’exploitations agricoles, les frères Simeoni et leurs amis prennent leurs distances. En 1967, ils créent l’ARC (Action Régionaliste Corse). De leur côté, Charles Santoni et le FRC font franchir une nouvelle étape à la revendication corse : la mise en exergue et la dénonciation du colonialisme. Ils le font en s’appuyant notamment sur les écrits de l’universitaire occitan Robert Lafont (plus particulièrement sur l’essai « La Révolution régionaliste » publié en 1967 qui dénonce le « colonialisme interne » affectant les minorités régionales). Il convient d’ailleurs de noter qu’à cette même époque (1966), un haut fonctionnaire, un certain Michel Rocard, a rédigé un rapport intitulé « Décoloniser la province » qui montre que les provinces françaises présentent souvent les mêmes traits que des colonies (prééminence du secteur primaire, différence de revenus par rapport à la métropole, absence de centres de décision) et qui préconise, afin de parvenir à un rééquilibrage entre la province et L’Île de France, de constituer, organiser, aménager et doter d’un pouvoir de décider localement, des territoires dépassant l’espace départemental, les régions. Les travaux de Robert Lafont et Michel Rocard inspireront l’orientation décentralisatrice du Parti socialiste né en 1971 lors du Congrès d’Epinay et la rédaction de la proposition de loi portant Statut particulier pour la Corse déposée par ce parti, en 1976, à la suite des événements d’Aleria. En 1971, Charles Santoni et le linguiste Pasquale Marchetti théorisent l’existence d’un colonialisme en Corse en étant les la rédacteurs d’un manifeste qui va irriguer toute la revendication corse : « Main basse sur une île ». En effet, ce manifeste qui sera largement diffusé, va contribuer à une évolution du régionalisme vers l’autonomisme pré-nationaliste. Y sont dénoncés : l’accaparement de la terre et de la production agricole par des rapatriés d’Afrique du Nord et des groupes agro-alimentaires du Continent, la dépendance aux productions importées, une aliénation culturelle suscitée par l’État (croyance des Corses en la supériorité des hommes, idées, modes, comportements, paroles et marchandises ayant une origine hexagonale), l’exil des hommes, un clanisme exerçant son pouvoir sur la société à partir d’un système de domination associant des privilèges concédés à des affidés, une délégation par l’État d’une grande partie du pouvoir redistributif, une latitude de contrôler et manipuler les opérations électorales.

A Chjama di U Castellare

La revendication corse va définitivement prendre une dimension ouvertement nationaliste le 7 janvier 1973 avec la Chjama di u Castellare, élaborée lors d’une réunion à Castellare di Casinca. Cette dimension avait certes été esquissée au début des années 1960 (diffusion en août 1962, par Yves Le Bomin et Paul-Marc Seta, du manifeste pour l’autonomie interne « Au problème corse, une solution corse » ; publication en septembre 1962 par le CCI (Comité Corse pour l'Indépendance), organisation clandestine ayant réalisé plusieurs attentats, d’un Livre blanc rejetant l'autonome interne et préconisant l’indépendance. Mais l’audience et l’impact des ces textes étaient restés très limités. Charles Santoni qui est rentré en Corse l’annnée précédente, participe à l’élaboration di A Chjama di Castellare. Ce texte qui appelle à l’autonomie interne de la Corse revêt une dimension nationaliste car il fonde clairement cette revendication institutionnelle sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : « A u populu francise, noi dimu chi u tenimu da fratellu, malgradu dui seculi di duminazione di i so guverni. Ellu ha acquistu a maiô rinomina in lu mondu cu a so immurtale Déclaration des droits de l’Homme. Ha stabiliti in lu so dirittu publicu i principi fundamentali di libera dispusizione di i populi. Intendiemu simpliciamente fanne applicazione a u populu corsu. Principiemu oghje un‘azzione legale, accurdata a e dispusizione di a custituzione francese, per piglia l’autonumia interna. » Les représentants de l’ARC qui participent à la réunion refusent de parapher le texte de A Chjama. Cependant, quelques mois plus tard, poussée par une grande partie de la base militante, la direction de l’ARC fait sienne la revendication d’une autonomie interne et matérialise cette évolution en publiant le manifeste programmatique « Autonomia », économiquement et socialement plutôt de droite et corporatiste, adoptant une nouvelle dénomination du mouvement : Azzione per a Rinascita di a Corsica.

Du PS au PS

LE FRC ayant éclaté quelques temps après A Chjama di u Castellare, et ce alors, dans le cadre d’un nouveau parti : le PPC (Partitu Populare Corse), Charles Santoni s’emploie à défendre l’idée d’une autonomie interne selon une orientation de gauche. Après les événements d’Aleria (août 1975), et après avoir un temps envisagé, avec son ami Vincent Stagnara, de structurer un nationalisme de gauche à même de mobiliser sur le terrain (Fronte Corsu), Charles Santoni opte pour le PS (Parti socialiste). Ce choix est sans doute dicté par le sentiment que ce parti qui semble en passe de conquérir le pouvoir et donc d’agir, préconise la décentralisation et un statut particulier pour la Corse pouvant être une étape majeure vers l’autonomie interne, et, dans l’île, se déclare en opposition avec le clanisme même si ce dernier revêt les habits du radicalisme de gauche et du communisme. Charles Santoni devient est même élu premier secrétaire de la fédération PS de Haute-Corse. Mais, après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République (10 mai 1981), Charles Santoni et ses partisans sont confrontés à une direction nationale du PS qui, avec le soutien de cadres locaux, entend privilégier l’union de la gauche même si cela doit passer par des accords électoraux avec le clanisme. La rupture est consommée au début de l’année en 1982 lorsque des représentants de la direction nationale du PS venus à Corti dans le cadre de la préparation de la première élection régionale, entérinent une tête de liste socialiste jugée n’être pas en conflit direct avec les élus radicaux de gauche et communistes et ne considérant le statut particulier commme une fin et non commme une étape vers l’autonomie interne. Charles Santoni et ses partisans constituent alors leur liste (Liste socialiste pour le vrai changement). Celle-ci obtient un élu à la première Assemblée de Corse (Charles Santoni). Dans la foulée, Charles Santoni et ses partisans créent le MCS (Muvimentu Corsu per u Sucialisimu) qui entend porter un combat autonomiste, de gauche et anti-claniste.En 1984, l’Assemblée de Corse ayant été dissoute, Charles Santoni ne retrouve pas son siège. Quelques années plus tard, il réintègre le PS et privilégie, politiquement et dans son métier d’avocat, la défense des plus démunis et le combat anti-raciste. En 1997, il prend définitivement ses distances avec la politique partisane après que, lors des investitures en vue du scrutin législatif des 25 mai et 1er juin 1997 qui verra la victoire du PS et de Lionel Jospin, la fédération de la Haute-Corse qui, dans le cadre accords nationaux PS-Radicaux de gauche, s’est vue attribuer la deuxième circonscription (Corte-Balagne), se donne pour candidat le radical de gauche Paul Giacobbi.

Pierre Corsi
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