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I Marangoni en Corse

Une BD spirituelle qui dit la Corse mieux que les manuels

I Marangoni, une BD spirituelle qui dit la Corse mieux que les manuels


Ils sont deux complices qui un jour eurent la bonne idée d'abandonner leur vision humaine de la vie et empruntèrent celle d'oiseaux. Et pour héros, ils choisirent les cormorans, i marangoni en Corse, qu'on peut voir paresser au soleil étalant leurs ailes nonchalamment pour les laisser sécher. Et l'exercice est vraiment réussi. Comme le célébrissime Chat de Deluck, nos volatiles se livrent à de subtiles réflexions qui, parfois, enferment des sous-entendus que les moins de cinquante ne peuvent pas connaître. Mais pour les heureux élus voilà une œuvre revigorante.


Les auteurs d'abord


Toute création ayant son créateur, il faut d'abord présenter non pas le créateur d'I Marangoni mais ses créateurs bref leur papa et leur autre papa. Le premier est un Ajaccien pur porc qui s'exprime on ne peut plus naturellement dans sa langue maternelle, le Corse. Il a enseigné, participer à la promotion du corse, connu les émois nationalistes de la première heure. Bref il est une bande de jeunes à lui tout seul car il en a gardé le caractère facétieux. Éric Sansa est d'abord un polyglotte : anglais, italien, espagnol et corse. Lui aussi est un couteau suisse de la culture : interprète, imitateur, metteur en scène. Et j'oublie de ses qualités. Ah oui, c'est vrai : il adore la BD et c'est lui l'auteur des dessins de ces sympathiques volatiles. Ainsi la pensée de l'un a fécondé le dessin de l'autre et les Marangoni sont nés I Marangoni.

Posa è pensa


« La langue qu'ils parlent est celle, métissée, qu'emploient quotidiennement leurs concitoyens urbains : essentiellement du français mais où affleurent en permanence des structures corses. Le corse ne surgit que dans de brèves formules ou des interjections, comme indicateur d'identité. I marangoni parlent donc français régional. » écrit Ghjuvan Maria Arrighi, ami de toujours de Petru et préfacier de la BD. Et classant I Marangoni dans le style du taroccu sudiste ou de la macagna nordiste, il précise en conclusion de sa propre conclusion : « Oramai, chjosu u libru, quand'è vo vidareti i marangoni impulpitrati nantu à u so scogliu, pinsareti forsa à u sguardu fattu à tempu di cumpassioni, d'amicizia è d'irunia ch'elli lampanu ver di a nostra tinta umanità. D'ogni modu, zitti ùn staranu. È i tinareti da fratelli, chi sò cristiani anch'elli. » accordant ainsi au marangoni une carte de séjour empathique dans le monde humain.

Scènes de Corse des villes et villages


Nos cormorans sont bavards ou plutôt curieux et commentateur de tout. Ils sont des personnages à part entière tels que les animaux de La Fontaine, moralistes devant l'Éternel mais au bon sens du terme. Ils observent et ils conversent debout en leur agora qui est ici u scogliu di i putachji qui est charitablement traduit par le rocher aux palabres mais qui pourrait aussi être l'écueil des rumeurs. Le premier volume de cette aventure ornithologique s'intitule Le grand dérèglement. L'histoire est au rendez-vous avec la rencontre de nos marangoni avec Pasquale Paoli, Napoléon. Les dessins apportent beaucoup à l'intelligence du texte car le dessinateur réussit à donner de véritables expressions à ses personnages. Les marangoni sont les indigènes de l'île de Corse, représentée par le rocher des palabres et n'ont pas leur langue dans leur poche. Et à toutes les pages, les animaux sont anthropisés et les hommes animaliser. On y voit les sangliers, i cignali, prendre possession de la ville impériale et remplacer les hommes politiques. Les dialogues sont souvent pleins de double sens. L'auteur joue sur les mots

L'histoire de la Corse au rendez-vous Nos chers volatiles sont éduqués et même bien éduqués ce qui n'empêche pas quelques querelles. Mais ils nous en apprennent sur l'histoire de la Corse : les arrêtés MIot, le parricide Bastistagi ou plutôt le matricide qui en 1850 tua sa propre mère ce qui donne à réfléchir à l'un des marangoni. C'est que sa mère vieillit en Sardaigne et qu'il aimerait un jour la faire venir. Et nous apprenons que comme nous les Sardes ont la phobie de la mer et qu'autrefois nous formions une seule et unique province. Franchement, les Marangoni devraient enseigner dans nos écoles où les jeunes Corses méconnaissent leur île jusqu'à en ignorer la géographie. Et de temps en temps, ils apprendraient ces mots corses qui se glissent dans les dialogues entre volatiles.I Marangoni, un clin d'œil indispensable en cette période un peu sombre pour notre île et plus généralement pour la planète. Evviva i Marangoni di u partitu di l'acelli puisque l'éditeur est « le parti des oiseaux ».

Quelle belle et drôle d'idée à l'image de ce premier album.
À consommer sans modération. GXCI Marangoni, Le grand dérèglement, de Petru d'Orazio et Eric Sansa, éd. Le parti des oiseaux, 15 €

 GXC
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