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Des filles Courage !

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« I Was Corsica, le Cri » Des filles Courage !



« I Was Corsica, le Cri », film documentaire de Lavinie Boffy conte le chemin de croix d’un groupe de jeunes filles qui, dans notre belle île, ont subi des agressions sexuelles ou des viols… enfin d’immondes vilénies, des crimes. Filles Courage, elles ont brisé les tenailles de la solitude. Elles ont fracassé le carcan du silence.



Elles sont quatre face à la caméra à visages découverts, quatre parmi bien d’autres. Quatre à proclamer une vérité que refuse de voir une société hypocrite qui se réfugie dans le déni. Quatre à la colère qui sait rester pudique tout en clamant une vérité que les bonnes âmes s’évertuent à cacher comme la poussière sous le tapis.

Elles disent ces garçons qui ont fréquemment trop bu et qui se transforment en agresseurs et en violeurs, des garçons qui n’ont parfois que quatorze ans. Elles disent la culture du viol qui règne sur cette île. Elle dise cette société patriarcale qui s’arcboute pour refuser l’égalité des sexes.

Elles expriment combien elles ont été détruites. Combien il est dur de se réapproprier leurs corps souillés. Combien elles ont dû se débrouiller seules. Combien elles ont payé le prix fort en étant souvent reléguées au rang de coupables, elles les victimes… parce qu’elles osaient parler. Réclamer justice.

De la justice elles en révèlent les manques, les lacunes, les insuffisances et une indifférence mortifère qui peut entrainer la mort comme dans le cas de Julie Douib, qu’on n’a pas daigné entendre ni même écouter.

Ces filles Courage énoncent avec une lucidité implacable tous les obstacles à surmonter : policiers occupés par des affaires qu’ils estiment plus importantes, à tort. Magistrats qui passent par pertes et profits des blessures qui marquent toujours à vie.

Au fond que veulent-elles ? Que leurs plaintes ne soient pas automatiquement placées sans suite. Qu’elles puissent avoir devant elles des interlocuteurs ayant reçu une formation suffisante pour qu’ils aient acquis de la compétence, qu’ils soient policiers ou juges, parce qu’ici, en Corse, il n’en va pas souvent ainsi. Qu’elles n’aient pas à être confronter à des questions blessantes. Que la voix des garçons auteurs d’agression ne soient pas celle qui prime.

« I Was Corsica, le Cri » est un formidable documentaire. Via Stella doit le programmer… vite, vite, vite espérons-le…

Michèle Acquaviva-Pache

Ce calvaire enduré par le collectif, « I Was Corsica » nous l’avons subi dans notre famille. A nos côtés nous avions un défenseur des droits de l’enfant exceptionnel, maître Vincent Stagnara… Il nous manque tant



ENTRETIEN AVEC LAVINIE BOFFY



Qui a lancé « I Was Corsica » ?
« I Was » suivi de l’année de l’agression ou du viol a été créé au niveau national pour recueillir les témoignages de victimes. Ici, c’est Laura Pandoplfi, qui en examinant le site de ce collectif a remarqué qu’il y avait beaucoup de Corses qui témoignaient. D’où son idée de lancer « I Was Corsica ».


Comment avez-vous personnellement découvert ce collectif ?
Lors de leurs manifestations à Bastia et à Ajaccio en juin 2020. Ces manifestations ont été bien relayées par le quotidien insulaire, par le JT de France 2, par Libération.


Ces jeunes filles n’aiment pas trop les interviewes, de quelle manière avez-vous balayerleurs réticences ?
Je suis sensibilisée aux problèmes des agressions sexuelles et des viols que j’ai d’ailleurs abordés dans mon long-métrage, « La vie ou la pluie », en 2017. J’ai contacté « I WasCorsica » par internet. Cela n’a pas été facile de joindre et convaincre les membres de ce collectif car elles venaient de faire une mauvaise expérience avec Match qui avait déformé leurs propos. Mais une fois que les jeunes filles ont constaté qu’il y avait du respect dans ma démarche et dans celle de mon producteur, Pierre Gambini, tout s’est bien déroulé.


Apparaître face à la caméra n’a pas dû être évident pour ces victimes.
Quatre d’entre elle ont eu l’immense courage de parler à visage découvert. Immense leur courage parce qu’on est un petit pays où les gens se connaissent. En fait, si elles ont pris la parole c‘est pour alerter sur une situation détestable et pour s’exprimer au nom des autres victimes. Pour graver aussi leur parole afin qu’elles n’aient plus à répondre à des interviewes.


Les obstacles les plus rudes qu’elles ont eu à surmonter ?
La plupart du temps déposer plaintes dans un commissariat est d’une rare violence et ces plaintes ne sont généralement pas suivies d’enquêtes. Sur ce point précis est allégué le manque de moyens qui est joint à la frilosité des institutions. Océane, par exemple, a porté plainte quatre fois… en vain. Par contre, ceux qui l’ont agressée, ont vu, eux, leur plainte pour diffamation enregistrée et c’est elle qui a été convoquée au commissariat ! Après cet épisode elle a été insultée au collège. Des inscriptions la dénonçant ont même été inscrites sur une grande route.


Agressions sexuelles et viols ne sont pas sans laisser des séquelles au plan psychique et physique. Leur a-t-on proposé des parcours de soin ?
Aucun… Elles ont dû payer elles et leurs familles des psychologues qui peuvent être chers ou des séances de EMDR qui coûtent 60 euros chacune. Il faudrait plus de Centres médico-psychologiques, qui sont des organismes publics car ceux qui existent sont tous embouteillés.


Ont-elles pu compter sur des avocats pour les défendre ?
Pour avoir l’aide juridictionnelle il faut disposer de peu de moyens. Or, beaucoup de victimes ont de parents dont les revenus dépassent de peu le barème fixé par la loi tout en n’ayant pas les ressources suffisantes pour payer des honoraires d’avocats.


L’attitude des familles de victimes a-t-elle été bienveillante ?
Toutes ont d’abord été profondément désemparées. Elles ont pu être déroutées par les obstacles à franchir pour obtenir justice… Mais en général, après le premier choc, elles ont soutenu leurs filles.


Les victimes réunies sur « I Was Corsica » se sont-elles épaulées les unes les autres ?
Larguées par les institutions elles se sont soignées par la sororité… Elles ont improvisé un groupe de parole. Crier à l’injustice dans la rue leur a aussi permis de déchirer le voile épais du silence.


Sur leur site ont-elles répertorié des cas d’incestes ?
Oui, et le cas d’une adolescente de douze ans les a beaucoup frappé et ému d’autant que leur démarche auprès de la procureure n’a pas été suivi d’effet.


L’éducation donnée par les mères de garçons agresseurs n’est-elle pas à incriminer ?
Les membres du collectif demandent aux mères de tous les garçons de les éduquer. Trop souvent on voit ceux-ci s’éduquer entre eux et par le biais de la pornographie. Il faut leur inculquer le respect des filles et des femmes. Cette éducation doit démarrer tôt car des abus sexuels peuvent toucher parfois des petites filles de maternelle. De plus cette éducation concerne et les garçons et les filles.


Peut-on établir un profil de garçons agresseurs ?
Souvent ils ont des copines et vivent une petite vie sympathique ce qui ne les empêchent pas d’être des agresseurs à répétition. Cela peut commencer par du harcèlement...Ils jouissentsurtout de l’idée très répandue qu’il y a des filles qu’on respecte et d’autres avec qui on peut tout se permettre !


Pourquoi la Corse est-elle aussi mutique sur ces délits et ces crimes ?
C’est un problème de société où la parole de la femme est disqualifiée, où l’on est dans le déni, où le garçon est intouchable, où l’on rejette la faute sur la victime en prétextant sa tenue, sa volonté de se faire remarquer, etc… S’ajoute à cette situation la perversité des institutions qui poussent les femmes à parler et qui, lorsqu’elles le font, leur intime de se taire !

Propos recueillis par M. A-P













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