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La Corse entre mémoire et amnésie : le passé mythifié , mais aussi oublié !

« Je n’ai guère eu qu’à constater la rareté et le peu d’importance des monuments du pays », notait tristement Prosper Mérimée en 1840

La Corse entre mémoire et amnésie


« Je n’ai guère eu qu’à constater la rareté et le peu d’importance des monuments du pays », notait tristement Prosper Mérimée en 1840, au retour d’un voyage d’étude qui avait pour but de découvrir et recenser les vestiges archéologiques de la Corse.



La lutte pour empêcher la destruction des maisons Peretti soulève au fond une question existentielle pour notre micro société : faut-il ou ne faut-il pas restaurer une mémoire séculaire enfouie depuis des décennies sous l’humus d’une supposée modernité non pour vivre dans le passé mais pour tracer un lien entre le passé et le futur ?

Une Corse oublieuse de son passé


La Corse est une terre étrange, paradoxale et passionnante. C’est d’abord une île donc un lieu fermé. C’est ensuite une montagne dans la mer qui a façonné l’antagonisme de l’hori-zontalité liquide et de la verticalité rocheuse. C’est enfin un lieu pauvre d’où a émergé une histoire d’une richesse extraordinaire. Qu’on en juge : le surgissement de personnages hors normes tels que le condottiere Sampiero Corso, le petit roi Théodore de Neuhoff, Pasquale Paoli, Napoléon Bonaparte. Et j’oublie les ministres, les avocats, les médecins, les hommes d’État, les policiers, les militaires et bien entendu les voyous. Mais longtemps ces réussites ont explosé à l’extérieur de l’île après que les grands personnages en aient été expulsés. Sampiero y a été assassiné, Paoli a fini son existence en Grande-Bretagne, Napoléon à Sainte Hélène. À l’intérieur de la Corse, les traces de la mémoire collective semblent avoir été effacées par les hommes et par le temps. Des châteaux élevés par les Cinarchesi, il ne reste rien que des amas de pierres. Celui de la Punta, remonté avec les ruines des Tuileries par les Pozzo di Borgo, végète depuis des décennies avec son misérable toit de tôle malgré les promesses sans cesse réitérées de le remettre en état. Quelques tours génoises, bien peu en vérité, ont été restaurées sans pour autant devenir les vecteurs d’explications historiques. Quant aux alignements préhistoriques, le seul à avoir été relevé c’est celui de Filitosa et on doit cela à la famille Cesari, donc à une initiative privée. Encore plus invraisemblable : il n'y a pas de véritable musée d'histoire en Corse.
Nos enfants ne possèdent pas de manuels d'histoire et de géographie qui leur permettraient de connaître la longue marche de la Corse.

Le passé mythifié, mais aussi oublié


Il est étonnant de constater le paradoxe d’une société qui a voté nationaliste, qui n’a de cesse d’invoquer une identité retrouvée grâce à u riacquistu, et qui oublie tout simplement ses fondamentaux matériels issus de la pierre. L’affaire Peretti pose en pointillé la question essentielle de l’identité corse à travers l’histoire et l’amnésie qui semble accabler ceux qui justement devraient être les premiers à encourager le relèvement des vieilles pierres. Il ne faut prendre les signes que nous envoie notre propre histoire à la légère. Une société n’est pas seulement héritière de son patrimoine. Elle en est aussi tributaire et a le devoir de le défendre. On invoque trop souvent la fatalité d’un mouvement global qui voudrait que l’urbanisation et la modernité écrasent le passé. C’est faux : on peut être résolument tourné vers le futur et restaurer le lien avec le passé. Il ne s’agit pas en l’occurrence de mythifier l’histoire, mais de s’attacher à ces détails qui n’en sont pas. Restaurer les églises, ça n’est pas verser dans une religiosité béate ou un identarisme catholique exacerbé. C’est retrouver les chemins de notre destin. C’est comprendre que nous nous trouvons à la croisée de notre propre cheminement et que tout est possible à la condition d’en avoir la volonté. Vouloir vivre comme par le passé est évidemment impossible et ça serait une impasse. Mais regarder avec affection ce qui nous a permis de devenir ce que nous sommes, le négatif comme le positif, c’est une lucidité indispensable pour imaginer notre avenir.

Croire en nous-mêmes


Dans l’amnésie corse, il y a quelque chose de profondément autodestructeur. Cela revient au niveau individuel à vouloir effacer toute trace de son propre passé. Je veux croire que l’avenir se construit dès aujourd’hui. J’écoutais récemment le chœur des hommes de Sartène et je me disais que dans le chant nous avons réussi à trouver une forme de spiritualité transcendante. C’était angélique. Mais l’homme est un être de terre et de ciel. Il lui faut maintenant retrouver ses racines. Et elles se trouvent enfouies plus ou moins profondément dans nos friches et notre maquis. Il faut maintenant exhumer les pierres et les remonter les unes sur les autres pour rebâtir notre maison commune. Telle est pour moi la raison essentielle du combat pour empêcher la destruction des maisons Peretti, érigées sur les ruines des demeures ancestrales. Ça n’est pas seulement un combat contre une injustice. C’est un affrontement existentiel.

GXC
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