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Monseigneur Bustillo , un cardinal tout terrain !

<< Noël est une fête où l'on se rappelle de valeurs........

Interview de son Eminence le Cardinal Bustillo

<< Noël est une fête où l'on se rappelle de valeurs sûres et importantes pour vivre ensemble : la paix et la joie >>

Nommé évêque en mai 2022 et créé Cardinal en septembre dernier, son Eminence le Cardinal Bustillo évoque dans nos colonnes les grands axes de son parcours depuis un an et demi. Avant de délivrer à l’attention des Corses, son message de Noël.


« Noël est une fête où l’on se rappelle de valeurs sûres et importantes pour vivre ensemble : la paix et la joie »



Vous êtes en place en tant qu’Evêque depuis un an et demi et Cardinal depuis septembre. Que retenez-vous de cette période ?

Une période de découverte et d’enracinement. Je suis passé de la constatation à l’action. Il est important, pour un évêque de connaître la réalité dans laquelle il vit mais pour agir. Après avoir fait le tour de l’île, il a été responsable de ma part d’agir pour le bien de l’Église et pour le bien de la société corse.


Vous avez été créé Cardinal en septembre dernier. Qu’avez-vous ressenti ?

C’est un moment exceptionnel dans la vie d’un homme. Je ne m’y attendais pas. J’ai vécu ce moment unique place Saint-Pierre où le Pape m’a créé Cardinal. Ce fut un instant vécu avec beaucoup de sérénité parce que le Pape avait la responsabilité liturgique de l’action et j’ai reçu une nouvelle mission. Un moment ecclésial de grande fécondité mais aussi la rencontre d’autres cardinaux que je ne connaissais pas venus du Moyen-Orient, d’Amérique du Sud et du Nord, d’Afrique et d’Asie. Un instant catholique au sens étymologique du terme, un moment universel vécu avec joie. Tout en étant conscient de la mission que cela me demande.


Quelles sont justement ces missions ?

Je dois, tout d’abord continuer ma responsabilité d’Evêque. Quant la deuxième mission, elle relève du dicastère du clergé. C’est le lieu où l’église catholique réfléchit, accompagne et gère tous les prêtres du monde. C’est le centre de l’église catholique à Rome et j’y aurai des ponts pour accompagner le clergé. Je vais aussi découvrir car si je connais le clergé européen, il s’agira ici de l’Afrique, l’Amérique et l’Asie. C’est une vision nouvelle, universelle où l’on voit que les défis et les difficultés ne sont pas les mêmes.


« Cette présence partout sur le terrain, c’est l’essence même de ma mission. »


Vous êtes une personnalité « people « . Vous avez fait la Une de magazines, vous avez participé à une émission de TV, vous avez inauguré les marchés de Noël d’Ajaccio et Porticcio. Pourquoi ces choix ?

Il n’y aucune stratégie derrière tout cela et ce serait problématique si je cherchais une quelconque reconnaissance, à me placer ou me montrer...Il y a l’effet nouveauté du Cardinal qui suscite l’interrogation des gens et cela me paraît normal. Mais cette présence partout sur le terrain, c’est l’essence même de ma mission. Dans mon bureau, je vais gérer, accueillir, faire des rencontres, vivre et accompagner l’église catholique de Corse. Mais si je n’ai pas un contact avec les gens en faisant le tour de Corse, s’il n’y a pas de proximité, il n’y a pas d’autorité. Ce contact, ce n’est pas simplement faire des selfies ou serrer des mains, c’est écouter ce que les gens vivent. Si je n’écoute pas, je ne sais pas ce qu’un peuple vit, je ne peux pas lui donner une parole ajustée.


Vous étiez à l’inauguration du nouveau centre du Crédit Agricole à Ajaccio, à un débat sur l’autonomie au Palais des Congrès. Vous n’écartez donc aucun domaine ?

La place de l’évêque de Corse est de tenir compte de la réalité de l’île. Il m’a semblé important d’être présent à l’occasion d’événements d’ordre social, économique, politique, sportif, religieux...Si on me donne une place, je suis présent mais il y a des domaines où je ne peux pas et ne dois pas m’imposer. Si je me suis déplacé, c’est que l’on m’a invité. J’y vais avec joie car la mission de l’évêque, c’est d’être partout où il y a la vie des Corses. Je dois aussi comprendre et apprendre à partir de ce que je vois dans des réalités bien différentes.
C’est tout de même une belle vitrine pour l’Église de Corse, la Foi et la Religion
C’est un signe d’engagement. Un engagement qui me pousse à donner et à plonger dans la vie de mon peuple. Et c’est normal d’être présent, de connaître et d’écouter. C’est une mission qui m’apporte beaucoup et m’enrichit.


Vous contrastez, en ce sens avec vos prédécesseurs. Une nécessité d’aller vers les gens pour véhiculer les principes de l’Evangile ?

L’évêque se doit de vivre un mouvement de l’évêché vers l’extérieur. L’expression naturelle, ce sont les célébrations mais il n’y pas que cela. On doit rencontrer les gens dans un cadre qui n’est pas que liturgique ou ecclésial. Le fait de naviguer dans des mondes différents, c’est une manière de dire que je ne me limite pas, j’ose aller sur des terrains qui ne sont pas les miens mais où je peux apporter le bien. Chaque évêque fait avec sa personnalité. Quand on m’invite, si cela ne va pas contre les mœurs et la doctrine, je me dois d’y aller. C’est une preuve de confiance et l’on attend quelque chose de moi. Je peux dire deux mots à partir de mes valeurs. C’est donc une bénédiction et une grande responsabilité de sortir de l’évêché.


« La Corse a trouvé dans la vie religieuse, un équilibre intéressant »


Peut-on parler de particularité en Corse au niveau de la Foi ?

J’ai effectivement rarement trouvé une situation telle que celle de la Corse. Ici, l’application de la laïcité à la française est très souple. On est plutôt dans un modèle à l’italienne mais en Italie, l’église catholique est très présente, parfois dans toutes les réalités sociales. En Corse, nous avons un équilibre entre l’omniprésence comme en Italie et une certaine distance voire hostilité comme en France. La Corse a trouvé dans la vie religieuse, un équilibre intéressant, nouveau et original.


Etes-vous favorable à un usage plus important de la langue corse dans l’Église ?

Une langue, c’est une richesse patrimoniale pour l’humanité. En Corse, il est important de reprendre le travail qui avait été fait pour le missel en corse. Au Pays Basque, le missel est en basque et je suis étonné que nous n’ayons pas encore, ici, un missel en langue corse. J’ai donc nommé une commission avec des prêtres, des diacres et d’autres personnes pour que l’on puisse avoir un outil liturgique en corse pour nos célébrations.


Autre particularisme, les confréries, très impliquées et présentes en Corse. Comment comptez-vous travailler ?

On ne peut pas négliger la présence très précieuse des confréries dans l’île. C’est une bénédiction. Elles sont très proches de l’église et notre devoir est de les accueillir, les accompagner, les former. D’avoir un lien simple, efficace et amical avec eux.


Il y a une crise des vocations et la Corse n’y échappe malheureusement pas. On doit faire venir des prêtres d’ailleurs. Comment remédier à cela ?

Quand on parle de vocation, la priorité c’est de faire en sorte que le peuple de Dieu ne soit pas pénalisé. L’Église est créative, elle va trouver le moyen de nommer des prêtres. J’ai lancé, à cet effet, une nouvelle initiative pour justement susciter des vocations et à tous les niveaux : prêtres, diacres, religieux, laïcs...La vocation, c’est une manière de s’engager et de donner quelque chose de soi à l’Église. En Corse, nous avons des jeunes qui se posent des questions et mon devoir est de leur dire que l’on est avec eux en leur proposant un idéal qui est fort et beau. L’Evangile est un idéal qui touche l’humain. Ces jeunes ont une place à l’Église. Nos prêtres ont gardé et transmis le patrimoine liturgique et culturel corse, il faut poursuivre dans ce sens. Je ne suis pas inquiet pour les vocations. On doit donner le temps, l’intelligence, les capacités et on se met au service du Peuple pour qu’il aille bien. C’est ce que Jésus a fait dans l’Evangile. Il passe dans la vie des gens pour leur donner dignité et liberté.


Nous allons aborder les fêtes de Noël. Une fête aujourd’hui essentiellement commerciale. Comment inverser cette tendance ?

Quand on se promène dans les villes, il y a des lumières, c’est beau. Il y a aussi les panneaux commerciaux pour préparer le repas de Noël et acheter des cadeaux. Pourquoi pas ? Mais je ne pense pas que nous devons nous limiter à l’animation visuelle et au ventre. L’Église catholique, de par sa tradition, doit viser la vie intérieure, l’âme. Et c’est à elle de rappeler que la fête de Noël n’est pas juste une fête gastronomique ou commerciale. C’est important, certes, de faire un repas en famille et de se faire des cadeaux mais sans oublier l’âme et le sens de Noël. J’encourage les familles, les enfants, les commerces à afficher ces signes de Foi tels que la crèche. Elle fait polémique dans de nombreux endroits mais en Corse, on a conservé cette tradition symbolique qui fait l’unité. C’est Saint François qui a inventé il y a 800 ans la crèche. La tradition franciscaine donne une visibilité à l’incarnation.


La religion et le paganisme s’entremêlent la nuit de Noël en Corse à travers certains rituels qui visent à soigner ou enlever le mauvais œil. Quel est votre sentiment sur ce point précis ?

Dans le Christianisme, il y a toujours eu un espace propice au paganisme. En Corse, certaines traditions se sont transmises. Je pense qu’il est important de les accompagner pour que nous arrivions à une maturité. Parfois, il peut y avoir une conception limite entre trois termes, la Foi, la magie et la superstition. L’Église doit accompagner d’une manière pédagogique pour que l’on arrive à vivre la Foi dans le domaine de la liberté. La Foi relève du domaine de la profondeur, elle dépasse, en ce sens, la magie et la superstition. C’est aussi un signe de maturité.


Quel message de Noël adressez-vous aux Corses ?
Un message de joie et de paix. Quand on écoute l’Evangile de la nuit de Noël « Gloire à Dieu, paix aux hommes », tout est dit. La paix d’abord en soi et ensuite chez les autres. Aujourd’hui, nous vivons une situation difficile. Au niveau international, il y a de quoi s’inquiéter (Ukraine, Afrique, Moyen-Orient, Asie…), la violence dans les quartiers en France...La fête de Noël doit être une fête où l’on se rappelle de valeurs sûres et importantes pour vivre ensemble : la paix et la joie. Si on mène une vie spirituelle importante, on va être pacifiés. C’est le sens de la crèche ! Un enfant qui ne parle pas, qui est pacifique. On s’émerveille devant lui et on se tait.

Interview réalisée par Philippe Peraut
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