• Le doyen de la presse Européenne

Le souris retrouvé ......

Boulevard Gaudin de Bastia

Boulevard Gaudin de Bastia
Le sourire retrouvé…



Les photographies quand elles sont l’œuvre d’un ou d’une artiste ont ceci de fabuleux qu’elles aident à voir ce que l’on ne remarque plus à cause de l’engourdissement de l’habitude. Parce qu’alors on va, on vient. Parce qu’alors on se hâte, on file, les yeux presqu’anesthésiés ou englué dans un rêve intérieur. Le livre, « Carrughju Gaudin », vues de Valérie Rouyer, texte de Jérôme Camilly, édité par le CMP que dirige Marcel Fortini a le mérite de dessiller notre regard.




Longtemps, longtemps le boulevard Gaudin, entre la Citadelle et le Palais de Justice, n’était qu’un étroit passage encombré de voitures, de bus, de camions avec ses façades mornes, crasseuses qui donnaient envie de le quitter au plus vite… Histoire de mieux respirer et d’avoir un horizon plus large. Des boutiques sales, aux devantures brinquebalantes, en tous cas peu aguichantes… à fuir.

Petit à petit au cours d’un long processus des travaux de réfection ont redonné un coup de jeune aux immeubles. De nouveaux commerces se sont greffés dans un terreau qui n’attendait qu’eux. Des magasins chic et d’autres usuels ont ouvert leurs portes. Un mélange, une mixité qui évite une gentrification mal venue.

Body Fitness, experts en café et en montres, coiffeurs, bars, artiste-peintre, troupe de comédiens, architecte, militants d’Ava Basta et de la Croix Rouge, garagiste, vendeur de trophées sportifs, restaurateurs, photographe, épicier, voilà une diversité de professions qui fait un plus dans ce qui était une ancienne traverse. En bref, il y en a pour tous les portes-feuilles et pour tous les gouts. De cette pluralité d’activités l’ouvrage « Carrughju Gaudin » rend bien compte en une leçon d’urbanité qui ne se réduit pas en une nomenclature à bobos.

La photographe nous propose aussi des cartes postales d’antan en duo avec des images du quartier prises sous le même angle de vue aujourd’hui. Constatation : tout a changé mais tout est resté pareil à peu de choses près : la couleur des murs, les habits des passants… et pourtant ! L’évolution du coin il faut savoir la décrypter… et l’apprécier.

Le boulevard ainsi que le souligne Marcel Fortini dans sa préface s’est d’abord appelé Traverse Royale, puis Sant’Angelo et en 1920 a pris le nom d’un maire de la ville qui a laissé une trace bienveillante dans la mémoire des Bastiais. A l’ouverture du tunnel en 1983 l’artère a perdu de son importance, pour devenir synonyme d’embouteillages délestant trop souvent le trafic sous-marin. Mais heureusement cette page est tournée.

De 1920 à 1993 les auteurs du livre ont rassemblé une série de petites annonces parues dans la presse locale dont certaines sont un régal.

« Carrughju Gaudin », beau travail photographique. Savoureux texte de Jérôme Camilly avec une belle traduction en corse de Jean Marie Arrighi.

Michèle Acquaviva-Pache

Photographies de Valérie Rouyer



Valérie Rouyer est chargée de mission en pédagogie et responsable des expositions au CMP depuis 2008. Elle s’occupe aussi des ateliers itinérants d’éducation au regard dans le cadre du plan « Culture près de chez vous » soutenu par la DRAC de Corse et la CdC. Le livre « Boulevard Gaudin » résulte d’un projet du Contrat de ville et de l’agglomération de Bastia avec le soutien de l’Agence nationale de la cohésion des territoires. A retenir aussi l’implication de la ville de Bastia, du musée, des archives de Haute Corse et de la bibliothèque Prelà.




ENTRETIEN AVEC VALERIE ROUYER

Comment qualifiez-vous votre travail photographique sur les quartiers sud (E tre cità), sur l’ancien Bon Pasteur (Carrughju Santa Lisabetta), sur « Carrughju Gaudin) », votre dernière réalisation comme photographe ?

Je le conçois comme un travail documentaire. Le boulevard Gaudin je ne le connaissais pas, j’y passais ainsi que la plupart des gens. En l’approchant de plus près j’ai été étonnée de voir qu’il y avait autant de commerces. Ça je l’ai découvert en l’arpentant et en poussant les portes des magasins. Mon exploration du lieu s’est vite doublée d’une immersion.

Avec Marcel Fortini qui dirige le CMP (Centre Méditerranéen de la Photographie) il a été décidé que je fasse des repérages de façades, c’était en janvier 2023. En avril j’ai repris ces repérages. Sur internet nous avons trouvé des photographies de commerçants d’antan devant leurs devantures. Marcel Fortini m’a alors suggéré des prises de vue à l’intérieur des commerces. Parallèlement à partir de cartes postales trouvées sur le net, à la bibliothèque Prelà, aux archives d Haute Corse, au musée j’ai repéré d’où avaient été prises ces vues pour les saisir aujourd’hui sous le même angle.



Au boulevard Gaudin votre approche a-t-elle différente par rapport à celles des quartiers sud et du Bon Pasteur ?

Mon approche a été complètement différente. Au Bon Pasteur, dans les quartiers sud j’ai travaillé en noir et blanc ainsi qu’à la chambre photographique assisté par Marcel Fortini. Pour le boulevard Gaudin j’ai préféré la couleur car je voulais faire voir le décor qui était celui des personnages dont je faisais le portrait. Je me suis aussi attachée aux objets, à la lumière, aux formes qui les entouraient… et la couleur s’imposait.



Le boulevard Gaudin je l’ai connu grisaillant, façades mitées, rongées par l’humidité et la pollution. Au jourd’hui il revient de loin ! Rénovation signifie-t-elle métamorphose ?

Je le pense surtout quand les habitants et les commerçants déploient une grande énergie pour faire vivre le lieu où ils habitent et où ils travaillent. Surtout quand ils ont un grand amour de l’endroit… amour que l’on ressent.



En photographiant cette renaissance de Gaudin on perçoit que vous ave pris un grand plaisir. Est-ce vrai ?

C’est une réalité d’autant que les personnes rencontrées étaient avenantes. Parfois je revenais les photographier, en prenant rendez-vous ou sur le champ. A photographier le boulevard Gaudin j’ai pris du temps mais je crois que c’était nécessaire… Sur ce projet j’ai travaillé au moins six mois…



Comment les personnes dont vous vouliez faire le portrait ont-elles réagi ?

Au début elles n’imaginaient pas ce que cela allait donner. Par ailleurs l’écrivain, Jérôme Camilly était annoncé. Il devait dialoguer avec elles pour écrire un texte sur le boulevard, et ça s’est bien passé. A ce moment-là je me suis mise à chercher dans la presse locale des petites annonces concernant cette rue. Je me suis intéressée aux années vingt, à celles d’avant et pendant la guerre, à l’époque de 1968, à celle de l’ouverture du tunnel en 1883 qui a passablement désembouteillé la ville.



Pourquoi pas de portraits du plus ancien photographe bastiais ni du gérant de l’épicerie, « L’Etoile du Sud » ?

Le premier n’a rien voulu savoir, il n’avait pas besoin de publicité ! Pour le second l’affaire était plus compliquée. Son père voulait que son fils soit devant l’objectif. Mais le fils en déplacements était insaisissable.



Pourquoi dans la dernière partie du livre avez-vous tenu à mettre en regard des vues anciennes et des vues contemporaines ?

Pour montrer l’évolution du quartier. Pour laisser le soin au lecteur d’imaginer sa transformation.



Les portraits ne sont pas évidents à réaliser. Qu’attendez-vous de vos sujets ?

Je n’attends rien de particulier. J’observe longuement la personne. J’essaie de retranscrire ce qui me parait le plus juste d’elle. Je refuse de la trahir. Ma préoccupation est de faire ressentir son tempérament. Je ne suis donc pas à la recherche d’effets… Ce qui m’importe c’est le spontané, le digne et je le redis le juste. Si je peux revenir pour une nouvelle photographie c’est bien ! Souvent je tente plusieurs cadrages.



Quel est votre parcours artistique ?

Je suis diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles, avant j’ai suivi le cursus des Beaux-Arts de Nîmes et fait des études de droit à Montpellier. Un grave accident de voiture m’a appris que la vie est courte. Je me suis alors dirigée vers l’art en choisissant la peinture. Marthe Véry, artiste-peintre, m’a conseillé la photographie. Le sculpteur, Laurent Pariente m’a fait la même recommandation. Je me suis rendu compte que tous deux avaient raison, car la photographie par son aspect direct me correspond mieux.

Propos recueillis par M.A-P

Prix de « Carrughju Gaudin » 15 euros.



Partager :