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Un conflit de famille : de quoi souffre la société corse aujourd'hui ?

Le rassemblement d'u Palatinu, le nouveau venu dans la famille nationaliste, pose une question essentielle.

Un conflit de famille


Le rassemblement d'u Palatinu, le nouveau venu dans la famille nationaliste, pose une question essentielle : de quoi souffre la société corse aujourd'hui ? La protestation émise par quelques membres de la société civile corse contre ce qu'elle désigne comme du "fascisme" ou l'irruption d'une "milice", au lieu d'être une arme efficace, contre la xénophobie sonne comme le tocsin mortuaire d'une opposition en panique. Cela revient à jeter de l'huile sur un feu déjà virulent.


Une société malade


La Corse ne représente pas un isolat sur la planète. Son cœur bat à l'unisson avec celui de la France, de l'Europe ou même de l'ensemble de l'humanité. Cette humanité, angoissée par la crise climatique, par les guerres, par l'augmentation des vagues migratoires mais aussi par une perte de substance spirituelle, tend à aller vers des solutions sécuritaires et xénophobes. Les grands ensembles comme l'Europe ou même les États-Unis perdent de la puissance au profit des continents jusque là ignorés et pillés. Les états, les peuples, les communautés tétanisées par une angoisse existentielle, se replient sur eux-mêmes. C'est une tendance générale qu'on peut observer sur tous les continents. Et cela produit des interrogations sans fin sur la question identitaire, question par essence subjective à laquelle il n'existe, hélas, aucune réponse rationnelle. En Corse, la résurgence d'une forme d'ethnicité xénophobe ne devrait étonner personne. C'était le substrat même du mouvement nationaliste comme il a toujours été de tous les nationalismes quand bien même ils se réclamaient du marxisme. Notre société est malade. Elle est malade des maux qui frappent la France et l'Europe mais aussi malade de promesses non tenues faites par le mouvement nationaliste. Elle est malade d'une inégalité sociale qui, cette dernière décennie, n'a fait que croître et embellir profitant à une infime minorité et pénalisant la majorité des citoyens qui se sent ignorée par une sorte d'aristocratie arriviste.

Un sentiment de dépossession


On l'a vu ces derniers mois la crispation identitaire se fait sentir dans le domaine du foncier, dans celui de la sécurité et plus généralement celui du social. Dans le domaine du foncier, c'est la spéculation immobilière permettant l'arrivée massive d'une catégorie de propriétaires âgés et fortunés dont la demande fait mécaniquement grimper les prix au détriment des plus modestes des habitants de la Corse et cela alors même que nombre de jeunes Corses ont le sentiment de ne pouvoir profiter des terres qui leur ont été léguées par leurs parents et grands-parents. En matière de sécurité, le paysage est totalement paradoxal. Il est faux de comparer la situation de notre île à celle des banlieues continentales. Rien ne permet de le faire, ni les chiffres ni le ressenti. La preuve est que ces nouveaux arrivants âgés et fortunés viennent justement chez nous pour profiter de cette sécurité apparente. Quant à la délinquance, elle est dans son immense majorité le fait de Corses "de souche" que ce soit dans le grand banditisme ou la petite criminalité. La preuve en est apportée par les deux collectifs antimafia qui, sans jamais dénoncer de faits précis, en appellent régulièrement à une répression accrue à l'image de celle qui est utilisée en Italie au grand dam de la Ligue des Droits de l'Homme qui, pour le coup, se montre plutôt timide allant jusqu'à siéger dans les mêmes commissions que les précédents. Dans le domaine social, alors même que la Corse se prépare à de vastes vagues de licenciements dans le négoce et les transports, la question reste en marge d'une majorité qui a tout misé sur une éventuelle autonomie dont on ne connaît toujours pas le contenu précis. Il reste enfin la question nationale malmenée par ses intiateurs et qui ne trouve aucun débouché dans le concret et le juridique. C'est sur fond de ce sentiment de dépossession et de perte d'identité qu'u Palatinu prospère notamment dans la jeunesse.

Une absence de réponse générale


Les crises ne produisent jamais des excès de générosité. Bien au contraire, chaque communauté d'intérêts cherche alors à ne rien perdre de ce qu'elle possède fut-ce au détriment de l'intérêt d'ensemble. C'est par excellence le temps des égoïsmes et le dépérissement d'une conscience du collectif qui, par ailleurs, n'a jamais été très performante dans une Corse livrée hier aux clans anciens aujourd'hui aux clans nouveaux. Les crises favorisent les haines intercommunautaires qui sont alors instrumentalisées. C'était le cas avec la haine de classe d'essence communiste, ça l'est aujourd'hui avec la haine xénophobe d'essence droitiste. Mais l'une et l'autre reposent sur des réalités : l'inégalité sociale d'un côté, le sentiment de perte d'identité de l'autre. Pour reprendre l'expression éculée et consacrée : ce sont de mauvaises réponses à de bonnes questions. Tout le problème est qu'aujourd'hui les contradictions se situent au niveau planétaire et on voudrait y répondre localement d'où cette exaspération xénophobe.

Le collectif associatif et culture contre u Palatinu


Votre serviteur a été l'un des premiers signataires de l'association Ras l'front constitué en 1990 à l'initiative de la Ligue communiste révolutionnaire et abondé par 250 citoyens, artistes etc. Une génération plus tard, le Rassemblement national est aux portes du pouvoir après des milliers de protestations, de manifestations, d'invectives. La gauche s'est littéralement effondrée. Quant à la droite, elle clopine en cherchant à double l'extrême droite sur… sa droite. D'où cette loi immigration qui n'est que la réponse indigne, opportuniste et désastreuse à une situation sociale tendue. Mais comment répondre dignement à un problème qui ne peut que s'aggraver dans les années à venir à cause des guerres et de la crise climatique ? L'argument moral du danger fasciste est devenu pathétique. D'abord le terme ne parle plus qu'au plus de soixante-dix ans. Et que dira-t-on quand Marine Le Pen arrivera au pouvoir ? Que c'est une victoire nazie ? C'est évidemment absurde. Le Danemark, la Suède et maintenant la tranquille Islande prennent des mesures anti immigration qui font paraître la loi française pour un doux remède. Et ce sont pourtant des pays dirigés par la sociale démocratie. Et voilà que la Ligue des droits de l'homme de Corse en appelle à l'État pour interdire les rassemblements d'u Palatinu, ce même état qu'elle accuse par ailleurs de mener une croisade liberticide. Des artistes et des membres de la société civile se sont réunis pour dénoncer une "milice", un "groupe fasciste" comme si le pacifique rassemblement de Paese novu pouvait être comparé à la marche des Chemises noires sur Rome. Mais nous espérons tous que les populations des quartiers soumis aux dealers parviendront un jour à secouer leur joug et à manifester leur colère justement dans la rue. Et là encore, pas un mot sur la question sociale, la cherté de la vie , tous ces maux à l’origine du malaise corse.

L'échec du nationalisme notabilisé


La victoire nationaliste a obligé cette famille à passer de la protestation systématique à la gestion de la Corse. Le résultat n'est guère concluant et de cette déception que se nourrit u Palatinu. L'espérance initiale se transforme peu à peu en rejet et l'idéologie originelle a tendance à se radicaliser. Comment oublier les campagnes du FLNC résumées par le slogan "I Francesi fora", les philippiques de tous les mouvements nationalistes sans exception contre "la colonisation de peuplement" cette variation locale du grand remplacement : un jour les pieds-noirs puis les Maghrébins et les Français, un autre jour les Portugais. Les nationalistes notabilisés conservaient jusqu'à maintenant leur équilibre flattant d'une main les associations de défense de l'environnement, des droits de l'homme etc. etc. et de l'autre une défense intransigeante de l'identité, le recours à l'histoire résumée à celle de la période paoline etc. avec en point d'orgue la revendication d'une autonomie qui amènerait à un âge d'or durant lequel toutes les difficultés disparaîtraient. En attendant, ce nationalisme n'a profité qu'à une minorité qui s'est enrichie. Chacun constate désormais que les difficultés se sont accumulées et que la procrastination de la majorité pèse essentiellement sur le petit peuple, le vrai pas le fantasmé, qui se sent oublié.

Des anathèmes d'un autre âge


J'appartiens à cette génération pour laquelle les qualificatifs de "fasciste" de "bande armée", de "milice" avaient un sens précis et jouaient éventuellement un rôle de repoussoir. Mais cette époque est révolue. La fracture générationnelle est aussi une fracture mémorielle. Pour contrer efficacement l'idéologie d'u Palatinu, il faut avoir le courage de croiser le fer avec lui, de contester ses chiffres, de démontrer par la réalité qu'il a tort et non de l'insulter. Ressortir les vieux slogans désormais éructés par des vieillards est devenu non seulement inefficace mais contre productif. La jeunesse nationaliste migre vers u Palatinu. C'est presque un mouvement naturel qui n'est d'ailleurs combattu par les organisations majoritaires que pour des questions de territoire électoral. Quand Gilles Simeoni en appelle aux mânes de son père pour stigmatiser u Palatinu, il oublie que le maire de Bastia a tenu un discours identique sur la question de la perte d'identité. Cette organisation n'est l'exsudat du nationalisme corse et non pas un produit qui lui serait étranger. Il est sa substantifique moelle mais en plus jeune, en plus efficace, en plus convaincu et donc plus convaincant. Faut-il que les responsables de notre assemblée soient sourds et aveugles pour ignorer à ce point le ressentiment dominant de notre jeunesse ? C'est certes dramatique et parfois même détestable. Mais telle est la réalité qui doit être combattue par des arguments et non des insultes. Les questions de l'identité et de la sécurité sont le produit de la question sociale. Elles méritent d'être traitées avec intérêt et respect et non être repoussées avec mépris dans les poubelles de l'histoire. Ou alors il ne faudra pas s'étonner que ceux qui les portent en oriflamme grandissent et prospèrent.

GXC
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