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Belle rétrospective à Cine Donne

Yannick Bellon , cinéaste, féministe, et engagée

Belle rétrospective à Cine Donne

Yannick Bellon, cinéaste, féministe, et engagée



Yannick Bellon. Une carrière débutant en 1948 et se terminant en 2018. Cinéaste, féministe et engagée elle s’empare de sujets qui ne sont guère à la mode alors où, de l’après-guerre à 1980, la caméra est l’apanage des hommes. Elle prend des risques. Reçoit des coups…d’autant que le cinéma exige du fric. Et les difficultés elle les surmonte…




A son palmarès de nombreux documentaires dont sa première réalisation, « Goémons » qui lui vaut un grand prix au festival de Venise en 1948. Puis longtemps après elle tourne aux côtés de Chris Marker, « Le souvenir d’un avenir », hommage à Denise, sa mère photographe à la curiosité ardente, photojournaliste, à l’avant-garde également des phénomènes artistiques et littéraires, amie des surréalistes en particulier.

Dès « Goémons » la cinéaste gardera un regard tendre et généreux pour les damnés de la terre, pour les humbles, pour ceux et celles qui se débattent comme ils peuvent contre l’adversité, pour ceux qui affrontent le mauvais sort, pour ces femmes aux prises à ce qui les meurtrit et risque de les détruire. Souvent les protagonistes de ses films sont, en effet, des femmes… Et ces femmes refusent le poids de la soumission, se battent pour leur dignité à retrouver.

Son premier film de fiction en 1972 met en scène un couple, qui dans la frénésie immobilière de l’époque, luttent pour sortir la tête hors de l’eau. Combat sans doute perdu d’avance, mais combat engagé malgré tout. Sa troisième fiction en 1978 a un retentissement énorme. Pour la première fois avec « L’amour violé » est montré à l’écran le viol d’une jeune femme par quatre minables. Un choc… Il y a ceux qui s’indignent de tant d’images crues. Il y a ceux qui applaudissent à un réalisme trop fréquemment camouflé par la tartufferie ambiante. Deux ans auparavant dans « La femme de Jean » c’est le portrait d’une femme délaissée par son mari, qui parvient peu à peu à surmonter sa détresse.

Réalisatrice Yannick Bellon est aussi monteuse, scénariste, productrice… femme orchestre dans un domaine masculin. Avec « L’amour nu » en 1981 c’est du cancer du sein qu’elle se saisit et trois ans plus tard elle aborde la question de la bisexualité. En 2018 elle conclut son œuvre cinématographique avec « D’où vient cet air lointain », documentaire très personnel où elle raconte son itinéraire, où elle égrène des souvenirs sur un ton original mêlant photos de famille, clichés de sa mère, archives d’histoire reflet d’actualité du passé : Front populaire, guerre d’Espagne, radio Londres où officie son oncle, résistance à Lyon, son adolescence sous l’Occupation, Varsovie rasée par les nazis, traque des juifs. Sa narration des évènements n’est pas forcément linéaire. Elle est émotion, sensibilité avant d’être factuelle.

Dans ce déploiement d’images il y a un fil qui bondit et rebondit plus intarissable que le commentaire dit par la cinéaste car il va au-delà porté par un lyrisme qui est juste par la magie d’une poésie qui imprègne le récit. Les extraits de ses films qu’elle a sélectionnés sont enrichissement et illustrations de ces fragments de vie et d’œuvres.

Michèle Acquaviva-Pache


• « D’où vient cet air lointain » est visible sur la plateforme de VOD Capuseen. Ce film est l’occasion de découvrir de très jeunes artistes : Emmanuelle Béart, Pierre Arditi, Daniel Auteuil ou encore Bulle Ogier… « On vieillit tous ma brave dame ! »Entretien avec Éric Le Roy, historien du cinéma


Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresserà l’œuvre de Yannick Bellon ?


Je l’ai connu il y a longtemps et j’ai été son collaborateur. Son premier documentaire, « Goémons » tourné sur l’île de Béniguet m’a bouleversé par son sujet et son traitement. J’ai rencontré la cinéaste lorsqu’il a été question de restaurer ce film qui date de 1946. Tout de suite on s’est trouvé des atomes crochus. J’ai été pour elle un compagnon de travail et d’amitié. Elle m’a confié l’œuvre de sa mère, Denise, une remarquable photographe à laquelle elle a rendu hommage dans le court-métrage, « Souvenir d’un avenir » effectué aux côtés de Chris Marker. Son dernier long-métrage, « D’où vient cet air lointain nous l’avons terminé ensemble. Je me suis occupé d’elle jusqu’au bout et elle m’a nommé légataire universel.



Laquelle de ses fictions vous a le plus touché ?


Incontestablement, « Quelque part quelqu’un » que j’ai tout fait pour qu’il soit restauré. C’est un film très sombre qui parle de la vie, de la société, de la ville dans les années 70 en train d’être chamboulée par la pression immobilière. Dès que je l’ai vu la première fois j’ai compris qu’il se référait au mari de Yannick, Henry Magnan qui avait des problèmes d’alcool et qui s’était suicidé. La construction de « Quelque part quelqu’un » est d’une absolue beauté. Cette réalisation qui abordait avec tant de finesse l’alcoolisme m’a beaucoup impressionné. « Jamais plus toujours » m’a également emballé par son ton poétique, par sa manière de montrer des objets qui changent de mains à l’occasion d’un deuil ou d’une volonté de s’en défaire.



Quel est le documentaire qui vous a le plus ému ?


Sans conteste, « Goémons », véritable épopée sur les goémoniers, sur leur travail épuisant pour récolter ces algues. Yannick avait 22 ans quand elle a entrepris ce documentaire. Elle était sans le sou. Le réalisme de ce film témoigne d’une époque. Il est aussi empli de poésie et c’est sa force. En 1948, grâce au prix obtenu au festival de Venise, elle acquiert une reconnaissance internationale.



Yannick Bellon est une cinéaste engagée. Le fut-elle par ses sujets ou par une adhésion à un parti politique ?


Engagée elle l’était par les sujets qu’elle traitait. Elle a été proche du parti communiste mais jamais encartée. Comme son père, comme sa mère, comme sa sœur elle avait le cœur à gauche.



Quelle est la qualité de la cinéaste qui vous impressionne le plus ?


Sous une apparente douceur elle savait ce qu’elle voulait. En fait, elle était très sûre d’elle et pouvait parfois être cassante. Sa ténacité était sa plus grande qualité.



Les Bellon était une famille d’artistes : Denise, sa mère était photographe, sa sœur, Loleh, une comédienne formidable, son oncle, Jacques Brunius, un artiste touche-à-tout, Rémi Waterhouse, son petit-cousin, un dialoguiste de talent. Ce cadre familial a-t-il été déterminant pour la cinéaste ?

Il a beaucoup contribué à son œuvre. Parmi les personnes qui ont énormément compté pour elle, il ne faut pas oublier son père, magistrat qu’elle aimait intensément et qui a œuvré à l’amélioration du sort des jeunes délinquants. Il faudrait aussi citer le cinéaste, Jean Rouch, son premier grand amour, Georges Semprun, son premier mari, Henry Magnan son second époux, le romancier et poète, Claude Roy, mari de sa sœur. Quant à son petit-cousin c’est elle qui lui a mis le pied à l’étrier.



Vous êtes historien du cinéma. Vous vous occupez d’archives de films. Quelle activité prime chez vous ?


Mon activité professionnelle c’est l’accès, la valorisation, l’enrichissement des collections de films au CNC (Centre national du cinéma). Depuis toujours je suis passionné d’histoire et de cinéphilie. Je suis un passeur qui veut faire connaitre des cinéastes au public.



Comment êtes vous devenu assistants de Jean Pierre Mocky ?


Tout jeune j’étais fan des films de Mocky. Etudiant à Censier j’ai eu l’idée de lui demander une interview. Il a accepté et de fil en aiguille il m’a proposé de travailler avec lui. Aujourd’hui j’accompagne la restauration de ses films. De Yannick Bellon à Jean Pierre Mocky j’ai fait une sorte de grand écart… Ils avaient tout de même un point commun : ils voulaient être des cinéastes indépendants. Quant à leurs tempéraments ils étaient certes dissemblables…



Retournons à Yannick Bellon, pourquoi a-t-elle moins de visibilité qu’Agnès Varda ?


Varda s’est créé un personnage qu’elle a utilisé en se mettant en scène. Yannick avait une personnalité très différente. Elle était peu à l’aise devant une caméra ou devant un public. C’était chez elle une sorte de timidité.



Evoquons le parcours de Denise Bellon, la mère de Yannick. C’était une photographe très appréciée. Qu’est-ce qui la caractérisait le plus dans son métier ?


Son intérêt pour le surréalisme. Même dans ses photoreportages son œil s’attardait sur les choses peu communes, sur les choses étranges, sur les choses bizarres. Voilà ce qui la singularisait.

Propos recueillis par M.A-P





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