"La Maquisarde" de Nora Hamdi
Femmes dans la guerre d'Algérie
« La Maquisarde » de Nora Hamdi
Femmes dans la guerre d’Algérie
« La Maquisarde » de Nora Hamdi. Un film contre l’oubli. Contre l’occultation du rôle des femmes pendant la guerre de libération algérienne. Un film pour revivifier la mémoire des disparus (es), de ceux et de celles qui se sont évaporés de la vie entre 1954 et 1962, sans laisser de traces. Cette « Maquisarde » on a pu la découvrir lors d’Arte Mare à l’initiative d’une carte blanche au festival « Nuits Med ».
Neïla a quinze ans en 1956. Elle habite en très haute Kabylie avec sa famille dans un endroit perdu comme il y en a tant dans ces montagnes enneigées. Son village incendié par l’armée française, hommes, femmes, enfants de tous âges et de tous sexes confondus sont raflés. Neïla et sa mère s’échappent de justesse et rejoignent le maquis où elles retrouvent le frère et le fiancé de la jeune fille. La forêt épaisse les protège. Neïla apprivoise les armes… bien obligée !
Liberté de courte durée : une embuscade et c’est la fin de la parenthèse. Enfermée dans un centre de détention anonyme, dans une prison qui officiellement n’existe pas… Impossible à localiser sur une carte. Rayées des vivants Neïla et ses compagnes détenues.
Convention de Genève, respect des droits humains… du vent. De la foutaise… Pas de manichéisme dans le récit de Nora Hamdi qui s’adresse à l’intelligence et à la sensibilité du public. Dans le huis clos de sa cellule celle qui n’est encore qu’une adolescente fait face à Suzanne, une infirmière française, dont le seul tort est d’avoir demandé des médicaments pour ses patients algériens alors qu’ils sont réservés aux colons et aux expatriés.
Malgré leurs différences d’origines, d’éducation, de générations Suzanne et Neïla ont un point commun : ce sont des rebelles dans l’âme qui refusent l’injustice et la soumission. L’infirmière a d’ailleurs été résistante sous l’occupation allemande. Suzanne va devenir pour Neïla un repère, un contre-exemple à la barbarie qui l’entoure et que sème le colonialisme.
La violence, on la perçoit plus qu’on ne la voit dans les images de Nora Hamdi. La violence est dite dans le clair-obscur de la cellule que partagent les deux femmes. Certes, la violence surgit d’une vision furtive de la gégène, et dans des scènes d’exécution de prisonnières algériennes fusillées dans la lumière aveuglante des champs, dans un espace-temps qui devrait être le contrepoint de la noirceur de leur geôle. Mais les rapports entre Suzanne et Neïla sont plus importants. L’histoire nous enseignera l’inutilité de cette violence, qui va même aller à contrecourant du but recherché puisqu’elle incitera à l’insoumission un jeune appelé. La cinéaste dirige deux comédiennes magnifiques dont c’est la première apparition sur grand écran : Sawsan Abès (Neïla) et Emilie Favre-Bertin (Suzanne).
« La Maquisarde » est une œuvre forte parce qu’elle ne relève pas d’une narration phagocytée par ceux qui ont le pouvoir. Parce qu’elle croit en la capacité de jugement des gens… en leur conscience. Parce qu’elle est belle comme Neïla et Suzanne.
Le rapport Rocard
En 1958, Michel Rocard est fraîchement nommé inspecteur des finances et envoyé en Algérie. A Paris, de Gaulle est revenu au pouvoir. De son enquête sur le terrain Rocard rédige un rapport. Celui-ci met sans ambiguïté au jour le sort fait à la population rurale algérienne : ratissages dans les campagnes, regroupements forcés de paysans dans des camps de concentration où ils sont affamés et pas soignés, où les enfants tombent comme des mouches. Ce rapport, Edmond Michelet, ministre de la justice le fait fuiter dans la presse. Waldeck Rochet, député PCF, monte au créneau à l’assemblée. Le premier ministre, Michel Debré, hurle au complot communiste !..
Pourquoi, après votre livre « La Maquisarde », avoir adapté ce récit en film ?
Un film est plus directement accessible qu’un livre… et il y a encore des gens qui ne lise pas. L’adaptation du livre au cinéma a été difficile. Mon premier producteur ne m’a pas aidé et le second est mort. Sans financements comment faire ? J’ai suivi l’exemple de John Cassavetes qui a parfaitement expliqué comment tourner avec très, très peu d’argent. J’ai donc privilégié le huis clos entre la jeune maquisarde algérienne et l’infirmière française venue de la métropole, ancienne résistante sous l’Occupation allemande. Ce face-à-face entre deux femmes très différentes m’a paru être la solution.
Combien de temps pour boucler le tournage ?
En mai j’ai fait le casting sur internet et trouvé quelques partenaires gracieux. En juin-juillet il y a eu la préparation et la mise au point avec les actrices. En août nous avons tourné dans un lieu qui s’apparente à ce qu’étaient ces prisons mentionnées nulle part de l’armée française où les détenues étaient au secret.
« La guerre est une affaire d’hommes… Mais pendant la révolution algérienne les femmes ont autant risqué qu’eux ! »
Nora Hamdi
Votre maman n’a abordé son passage au maquis et son emprisonnement que par bribes. Quand avez-vous réalisé que ce qu’elle avait vécu était essentiel à la compréhension de l’histoire ?
Au départ j’ai perçu chez elle une grande douleur. Je n’ai pas posé de questions frontalement car je sentais qu’il y avait là un secret partagé avec sa mère. Quand celle-ci est morte ma maman est enfin sortie de son silence et j’ai compris que son histoire à elle était une porte d’entrée dans la grande histoire. Plus je l’écoutais plus je saisissais combien le rôle des femmes avait été important dans cette guerre d’Algérie. Je suis allée enquêter sur le terrain. J’ai retrouvé traces des camps de concentration et des fosses communes… Le livre et le film c’est pour moi neuf ans d’un travail intense.
Pourquoi le rôle des Algériennes a-t-il été si vite passé sous la table ?
Germaine Tillon a souligné le même phénomène en France après la Libération. En Algérie cela a été pire : du jour au lendemain on a renvoyé les femmes à leurs casseroles. La guerre est une affaire d’hommes…Mais pendant la révolution algérienne les femmes ont autant risqué qu’eux ! Le statut des femmes et le code de la famille n’ont fait qu’empirer les choses.
« La Maquisarde » se déroule en Kabylie. N’est-ce pas la région qui a payé le plus cher sa rébellion et son engagement dans la lutte anticoloniale ?
Par tradition la Kabylie s’est toujours insurgée contre envahisseurs et occupants. Il faut dire que ses hautes montagnes offrent des caches inaccessibles. Pendant la guerre d’Algérie les Kabyles ont refusé d’être recrutés comme chair à canon dans l’armée française. La Kabylie a aussi payé le prix fort lorsqu’Alger a imposé l’arabisation au détriment de la langue berbère et dans ce domaine également la résistance a été forte.
Comme la place des Algériennes celle des Français qui ont soutenu les militants anticolonialistes algériens a été occultée. Pourquoi à la trappe les Jeanson, Audin, Alleg ?
C’est cet aspect de la réalité qui a renforcé mon envie de tourner le film car c’était un tabou… Personnellement je connaissais le travail de Sartre, de Beauvoir, l’affaire Audin. Avec le personnage de Suzanne je voulais évoquer cette France anticolonialiste. Dans les débats qui suivent la projection de « La Maquisarde » je constate que sur ce plan aussi la parole se libère enfin ! Cette parole libérée empêche le carcan de la haine de continuer à s’appesantir.
Cette guerre d’Algérie, qui ne disait pas son nom, est un exemple de désinformation et de manipulation de l’opinion publique. Pourquoi les démocraties adoptent-elles alors les mêmes postures que les dictatures ?
Les gouvernants veulent toujours lisser l’histoire, arranger les événements à leurs convenances ! Pour ce qui était de la guerre d’Algérie il fallait cacher les fautes de l’armée françaises. Mais à la longue la vérité arrive à être connue. En l’occurrence avec le rapport Rocard elle était à portée de main. Ce rapport disait tout : ratissages, incendies de villages, regroupements forcés, camps de concentration, prisonniers affamés et laissés sans soins, mort des enfants. Actuellement cette parole de vérité est plus audible mais en même temps est assénée la parole de fiel des Zemmour et autres.
Qui sont les deux comédiennes qui interprètent Neïla et Suzanne ?
Swsan Abès et Emilie Favre-Bertin apparaissent pour la première fois à l’image. Je les ai retenues parce qu’elles ont un regard fort, une présence évidente y compris dans les silences et qu’elles sont lumineuses.
• Propos recueillis par M.A-P
Femmes dans la guerre d’Algérie
« La Maquisarde » de Nora Hamdi. Un film contre l’oubli. Contre l’occultation du rôle des femmes pendant la guerre de libération algérienne. Un film pour revivifier la mémoire des disparus (es), de ceux et de celles qui se sont évaporés de la vie entre 1954 et 1962, sans laisser de traces. Cette « Maquisarde » on a pu la découvrir lors d’Arte Mare à l’initiative d’une carte blanche au festival « Nuits Med ».
Neïla a quinze ans en 1956. Elle habite en très haute Kabylie avec sa famille dans un endroit perdu comme il y en a tant dans ces montagnes enneigées. Son village incendié par l’armée française, hommes, femmes, enfants de tous âges et de tous sexes confondus sont raflés. Neïla et sa mère s’échappent de justesse et rejoignent le maquis où elles retrouvent le frère et le fiancé de la jeune fille. La forêt épaisse les protège. Neïla apprivoise les armes… bien obligée !
Liberté de courte durée : une embuscade et c’est la fin de la parenthèse. Enfermée dans un centre de détention anonyme, dans une prison qui officiellement n’existe pas… Impossible à localiser sur une carte. Rayées des vivants Neïla et ses compagnes détenues.
Convention de Genève, respect des droits humains… du vent. De la foutaise… Pas de manichéisme dans le récit de Nora Hamdi qui s’adresse à l’intelligence et à la sensibilité du public. Dans le huis clos de sa cellule celle qui n’est encore qu’une adolescente fait face à Suzanne, une infirmière française, dont le seul tort est d’avoir demandé des médicaments pour ses patients algériens alors qu’ils sont réservés aux colons et aux expatriés.
Malgré leurs différences d’origines, d’éducation, de générations Suzanne et Neïla ont un point commun : ce sont des rebelles dans l’âme qui refusent l’injustice et la soumission. L’infirmière a d’ailleurs été résistante sous l’occupation allemande. Suzanne va devenir pour Neïla un repère, un contre-exemple à la barbarie qui l’entoure et que sème le colonialisme.
La violence, on la perçoit plus qu’on ne la voit dans les images de Nora Hamdi. La violence est dite dans le clair-obscur de la cellule que partagent les deux femmes. Certes, la violence surgit d’une vision furtive de la gégène, et dans des scènes d’exécution de prisonnières algériennes fusillées dans la lumière aveuglante des champs, dans un espace-temps qui devrait être le contrepoint de la noirceur de leur geôle. Mais les rapports entre Suzanne et Neïla sont plus importants. L’histoire nous enseignera l’inutilité de cette violence, qui va même aller à contrecourant du but recherché puisqu’elle incitera à l’insoumission un jeune appelé. La cinéaste dirige deux comédiennes magnifiques dont c’est la première apparition sur grand écran : Sawsan Abès (Neïla) et Emilie Favre-Bertin (Suzanne).
« La Maquisarde » est une œuvre forte parce qu’elle ne relève pas d’une narration phagocytée par ceux qui ont le pouvoir. Parce qu’elle croit en la capacité de jugement des gens… en leur conscience. Parce qu’elle est belle comme Neïla et Suzanne.
Le rapport Rocard
En 1958, Michel Rocard est fraîchement nommé inspecteur des finances et envoyé en Algérie. A Paris, de Gaulle est revenu au pouvoir. De son enquête sur le terrain Rocard rédige un rapport. Celui-ci met sans ambiguïté au jour le sort fait à la population rurale algérienne : ratissages dans les campagnes, regroupements forcés de paysans dans des camps de concentration où ils sont affamés et pas soignés, où les enfants tombent comme des mouches. Ce rapport, Edmond Michelet, ministre de la justice le fait fuiter dans la presse. Waldeck Rochet, député PCF, monte au créneau à l’assemblée. Le premier ministre, Michel Debré, hurle au complot communiste !..
Pourquoi, après votre livre « La Maquisarde », avoir adapté ce récit en film ?
Un film est plus directement accessible qu’un livre… et il y a encore des gens qui ne lise pas. L’adaptation du livre au cinéma a été difficile. Mon premier producteur ne m’a pas aidé et le second est mort. Sans financements comment faire ? J’ai suivi l’exemple de John Cassavetes qui a parfaitement expliqué comment tourner avec très, très peu d’argent. J’ai donc privilégié le huis clos entre la jeune maquisarde algérienne et l’infirmière française venue de la métropole, ancienne résistante sous l’Occupation allemande. Ce face-à-face entre deux femmes très différentes m’a paru être la solution.
Combien de temps pour boucler le tournage ?
En mai j’ai fait le casting sur internet et trouvé quelques partenaires gracieux. En juin-juillet il y a eu la préparation et la mise au point avec les actrices. En août nous avons tourné dans un lieu qui s’apparente à ce qu’étaient ces prisons mentionnées nulle part de l’armée française où les détenues étaient au secret.
« La guerre est une affaire d’hommes… Mais pendant la révolution algérienne les femmes ont autant risqué qu’eux ! »
Nora Hamdi
Votre maman n’a abordé son passage au maquis et son emprisonnement que par bribes. Quand avez-vous réalisé que ce qu’elle avait vécu était essentiel à la compréhension de l’histoire ?
Au départ j’ai perçu chez elle une grande douleur. Je n’ai pas posé de questions frontalement car je sentais qu’il y avait là un secret partagé avec sa mère. Quand celle-ci est morte ma maman est enfin sortie de son silence et j’ai compris que son histoire à elle était une porte d’entrée dans la grande histoire. Plus je l’écoutais plus je saisissais combien le rôle des femmes avait été important dans cette guerre d’Algérie. Je suis allée enquêter sur le terrain. J’ai retrouvé traces des camps de concentration et des fosses communes… Le livre et le film c’est pour moi neuf ans d’un travail intense.
Pourquoi le rôle des Algériennes a-t-il été si vite passé sous la table ?
Germaine Tillon a souligné le même phénomène en France après la Libération. En Algérie cela a été pire : du jour au lendemain on a renvoyé les femmes à leurs casseroles. La guerre est une affaire d’hommes…Mais pendant la révolution algérienne les femmes ont autant risqué qu’eux ! Le statut des femmes et le code de la famille n’ont fait qu’empirer les choses.
« La Maquisarde » se déroule en Kabylie. N’est-ce pas la région qui a payé le plus cher sa rébellion et son engagement dans la lutte anticoloniale ?
Par tradition la Kabylie s’est toujours insurgée contre envahisseurs et occupants. Il faut dire que ses hautes montagnes offrent des caches inaccessibles. Pendant la guerre d’Algérie les Kabyles ont refusé d’être recrutés comme chair à canon dans l’armée française. La Kabylie a aussi payé le prix fort lorsqu’Alger a imposé l’arabisation au détriment de la langue berbère et dans ce domaine également la résistance a été forte.
Comme la place des Algériennes celle des Français qui ont soutenu les militants anticolonialistes algériens a été occultée. Pourquoi à la trappe les Jeanson, Audin, Alleg ?
C’est cet aspect de la réalité qui a renforcé mon envie de tourner le film car c’était un tabou… Personnellement je connaissais le travail de Sartre, de Beauvoir, l’affaire Audin. Avec le personnage de Suzanne je voulais évoquer cette France anticolonialiste. Dans les débats qui suivent la projection de « La Maquisarde » je constate que sur ce plan aussi la parole se libère enfin ! Cette parole libérée empêche le carcan de la haine de continuer à s’appesantir.
Cette guerre d’Algérie, qui ne disait pas son nom, est un exemple de désinformation et de manipulation de l’opinion publique. Pourquoi les démocraties adoptent-elles alors les mêmes postures que les dictatures ?
Les gouvernants veulent toujours lisser l’histoire, arranger les événements à leurs convenances ! Pour ce qui était de la guerre d’Algérie il fallait cacher les fautes de l’armée françaises. Mais à la longue la vérité arrive à être connue. En l’occurrence avec le rapport Rocard elle était à portée de main. Ce rapport disait tout : ratissages, incendies de villages, regroupements forcés, camps de concentration, prisonniers affamés et laissés sans soins, mort des enfants. Actuellement cette parole de vérité est plus audible mais en même temps est assénée la parole de fiel des Zemmour et autres.
Qui sont les deux comédiennes qui interprètent Neïla et Suzanne ?
Swsan Abès et Emilie Favre-Bertin apparaissent pour la première fois à l’image. Je les ai retenues parce qu’elles ont un regard fort, une présence évidente y compris dans les silences et qu’elles sont lumineuses.
• Propos recueillis par M.A-P