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Comprendre l'enjeu du dégel du corps électoral calédonien

Décider qui vote aux élections calédoniennes est au coeur des enjeux politiques et des discussions sur l'avenir du Caillou.

Comprendre l’enjeu du dégel du corps électoral calédonien



Décider qui vote aux élections calédoniennes est au cœur des enjeux politiques et des discussions sur l’avenir du Caillou. Les sénateurs et les députés doivent désormais se prononcer. Le projet de loi constitutionnelle propose d’élargir le corps électoral aux résidents depuis au moins dix ans, pour renouveler les trois assemblées de province et le Congrès. Ce qui pose le rapport de force entre indépendantistes et non-indépendantistes, mais surtout entre Kanaks et non Kanaks.


Trois listes électorales bien distinctes


La Nouvelle-Calédonie fonctionne aujourd’hui avec trois listes électorales. Être inscrit sur la liste générale permet de voter aux Européennes et aux scrutins organisés sur tout le territoire national. Les deux autres listes sont une exception calédonienne. Pour y figurer, il faut être sur la générale, mais surtout répondre à des critères restrictifs. La liste référendaire a permis de participer aux consultations sur l’autodétermination. L’autre liste permet de renouveler l’assemblée de sa province (Sud, Nord ou des îles Loyauté). Ce sont de puissantes collectivités locales, avec un champ d’intervention très large. Une partie des élus provinciaux forment ensuite le Congrès et ils déterminent qui dirigera le gouvernement.

Un corps électoral calédonien issu de la décolonisation


Les Kanaks ont intégré le corps électoral à partir de 1946, de façon progressive, quand le code de l’indigénat s’est achevé et qu’ils ont accédé à la citoyenneté. Deux décennies auparavant, les « indigènes » étaient exposés à l’Exposition coloniale comme des animaux. En 1952, un texte déjà appelé accord de Nouméa instaurait un corps électoral « mixte ».

À la fin des années cinquante, les électeurs mélanésiens sont devenus majoritaires, proportion inversée dans les années soixante-dix avec le boom économique du nickel et l’arrivée de rapatriés d’Algérie. Ce renversement au détriment des Kanaks a provoqué un début de guerre civile dans les années quatre-vingt, qu’on a appelée « les événements ». La question du corps électoral est alors apparue centrale. Pour le référendum Pons de 1987, Paris a accepté de le restreindre. Le principe de restriction du droit électoral aux populations concernées, lors des scrutins locaux, est alors devenu un recours pour les Kanaks, mais surtout c’était donner aux Kanaks la capacité de gérer leur histoire.

Ramener la paix


En 1988, les accords de Matignon-Oudinot sont signés pour ramener la paix. En 1998, ils sont prolongés par l’accord de Nouméa qui fixe l’organisation des institutions, pour une période transitoire. C’est lui qui prévoit un corps électoral différent pour élire les assemblées de province, et pour se prononcer sur une éventuelle indépendance. Les conditions à remplir afin de voter aux provinciales sont fixées en 1999, par la loi organique qui le met en œuvre. Celles et ceux qui remplissent les critères bénéficient de la citoyenneté calédonienne, dit-elle aussi.

Le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée en l’occurrence dix ans.

La révision constitutionnelle de 2007


En 1999, le Conseil constitutionnel avait permis de réintroduire un corps électoral dit glissant, pour les provinciales. On pouvait voter si, à la date du scrutin, on vivait en Calédonie depuis dix ans. Depuis la révision constitutionnelle de 2007, seules les personnes inscrites sur les listes électorales au moment de l’accord de Nouméa de 1998 et leurs enfants ont le droit de voter aux élections provinciales. Mais, en 2007, pour éviter de nouveaux troubles, le corps électoral a été gelé dans la Constitution française, par un vote du congrès à Versailles. En mai 2023, on comptait environ 178 000 noms sur la liste spéciale pour les provinciales, surnommée la LESP. Après avoir comparé avec la liste générale, on pouvait chiffrer à plus de 42 000 personnes le nombre d’électeurs sans droit de vote aux provinciales c’est-à-dire 15 % d’habitants. Neuf sur dix vivaient dans le sud en grande majorité des Européens ou des immigrés polynésiens. Autant dire que les Kanaks sont devenus définitivement minoritaires sur leur propre terre. Le problème est que la règle en vigueur concernant le régime électoral des assemblées de province et du Congrès déroge de manière particulièrement significative aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage, notamment en excluant du droit de vote des personnes nées en Nouvelle-Calédonie ou qui y résident depuis plusieurs décennies. L’accord de Nouméa est désormais achevé. Mais la minorisation des Kanaks revient de facto à rendre invisibles les Kanaks et à un retour déguisé à la période coloniale. De plus la crise du nickel et la faillite budgétaire ont mis l’archipel dans une situation qui n’est pas loin de rappeler les années quatre-vingt. Peut-être la solution sera-t-elle de scinder le territoire en deux, le nord allant aux Kanaks et le sud aux autres ?

GXC
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