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Dernière venue dans le paysage des revues publiées en Corse
« A Traversa »
Une revue d’exception
Dernière venue dans le paysage des revues publiées en Corse : « A Traversa ». Caractéristique ? Elle affiche haut et fort la Méditerranée, côté histoire, littérature, géopolitique.
Si dans son premier numéro « A Traversa » a mis l’accent sur la Grèce, sa deuxième parution braque l’éclairage sur la Turquie qui joue actuellement un rôle à part quant à sa politique étrangère marquée par un risqué équilibre entre l’Occident et la Russie de Poutine ainsi que par une prise en compte de plus en plus étroite du Moyen Orient et de l’Asie centrale.
Avec la proclamation de la république la particularité de la Turquie est d’être un pays jeune, soit 100 ans d’existence et d’un vieil empire pas si lointain dans le temps avec les Ottomans, qui pendant des siècles ont régné sur une large partie de la Méditerranée du sud et de l’est. Etrange coexistence de deux statuts, de deux histoires, de deux Etats.
Dans son article « Fuir loin du Magne pour éviter les Turcs », Jeannine Giudicelli rappelle pourquoi et comment des chrétiens grecs se sont réfugiés à l’ouest, en particulier à Cargèse pour échapper aux « discriminations, humiliations, rabaissements, dévalorisations des Ottomans ». Pour se soustraire aux interdits vestimentaires et surtout pour échapper « au tribut de chair », c’est-à-dire à l’enlèvement des jeunes garçons envoyés servir le Sultan, devenir Janissaires et se convertir à l’Islam.
Pays rétréci à l’avènement de la république aux débuts des années vingt Mustapha Kemal obtient cependant de l’Angleterre et de la France le contrôle du passage de la Méditerranée orientale à la Mer Noire, l’intégralité de l’Asie Mineure, du plateau anatolien et de la Thrace orientale avec Istanbul. Des accords aboutissant, entre autres, à chasser les chrétiens de la côte orientale méditerranéenne après 3000 ans de présence en ce lieu. A noter que la redéfinition de l’espace dévolu à la Turquie après la première guerre mondiale débouche sur l’uniformisation religieuse du pays. Sans oublier le génocide des Arméniens commencé en 1915 par le parti des « Jeunes Turcs ». Sur ce plan l’article de Jean François Pérouse de l’Université de Toulouse Jean Jaurès et celui du romancier et traducteur Richard Tchélébidès apportent des éléments d’information et de réflexion précieux.
Dans sa communication sur la partition de Chypre en 1974, Louisa Moussouni examine les conséquences que provoque la séparation sur l’île des Turcs musulmans et des Grecs chrétiens. Sa démonstration conduit la chercheuse à avancer qu’à Chypre il n’y a pas de Chypriotes mais une identité fracturée, obstacle à un projet de construction nationale.
On consultera également avec beaucoup d’attention l’intervention de Joseph Martinetti de l’Université de Nice sur « La Russie et la Turquie – deux puissances « impériales », rivales et partenaires » qui souligne les initiatives de la Turquie pour contrecarrer la mondialisation américano- occidentale. Un phénomène qui place, selon lui, la Turquie et la Russie « aux avant-postes d’un monde post-occidental ».
Michèle Acquaviva-Pache
- · Contact, pour s’abonner : Christian Peri, directeur de A Traversa.
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- · www.atraversa.fr
- · c.peri@atraversa.fr
- · C/Christian Peri, Tour 3
- · Résidence de Montesoro, 20600 Bastia.
ENTRETIEN AVEC CHRISTIAN PERI, directeur.
Pourquoi ce titre de « A Traversa » ?
Très difficile de trouver un titre à une revue comme la nôtre. C’est en discutant autour de moi qu’est venue dans la conversation « A Traversa », parce que ce mot connote un lieu ouvert, un lieu où il y a du mouvement et des possibilités de rencontres. « A Traversa » fait évidemment référence à l’ancien nom du boulevard Paoli de Bastia et à ce qu’on appelle un chemin de traverse. « A Traversa » peut être compris en corse, en italien, en français. Il fallait aussi que ce titre soit évocateur et accrocheur et qu’il puisse être facilement retenu par des lecteurs. En en outre il y avait urgence à trouver un titre car le projet de revue était bien avancé.
Quand et comment avez-vous eu l’idée de lancer « A Traversa » ?
Lorsque j’ai pris ma retraite de conservateur des bibliothèques de Bastia, j’avais déjà l’idée d’une revue sur la Méditerranée que je voulais inscrire dans une logique de regard et d’étonnement pour interroger la complexité des situations dans l’espace méditerranéen.
Pourquoi avoir choisi comme axe central de votre première publication : la Grèce ?
Dans les années 2015 la Grèce traverse une très grave crise qui suscite beaucoup de débats. En même temps il y a un mouvement qui cherche à comprendre comment la littérature réagit à cette crise et divers salons accueillent des écrivains grecs. En Corse bibliothèques et médiathèques reçoivent plusieurs écrivains venant de Grèce. Dans notre dossier nous avons choisi de nous pencher sur le roman, « Le retour » de Dimitris Nollas dans sa traduction française, sur « L’exil » de Richard Tchélébidès qui renvoie au phénomène de l’émigration. Nous avons aussi consacré une large place au poète Constantin Cavafis, né au milieu du XIX è siècle, qui produit ses plus grandes œuvres au début du XX è siècle. Jeannine Giudicelli nous en propose une excellente étude. Elle nous parle également de Pasquale Gambini, un Cortenais devenu un héros de la guerre d’indépendance de la Grèce en 1827. Dans notre rubrique « Insulaire » nous recevons l’écrivain, Gilles Zerlini. Enfin Joseph Martinetti, enseignant-chercheur en géopolitique au CMMC de l’Université de Nice décortique ce cas d’école qu’est la Crimée.
Avez-vous des collaborateurs réguliers ?
Je citerai Jeannine Giudicelli, Joseph Martinetti, Richard Tchélébidès, Julie Pontaut qui s’occupe de l’illustration et du graphisme.
De quelle manière avez-vous découvert cet éditeur français, Sylvain Cavaillès, installé et travaillant à Istanbul ?
Un article lui est consacré dans notre deuxième parution. Je l’ai découvert sur internet. Son cas est intéressant car non seulement il s’est installé en Turquie mais amoureux de la langue turque il l’a apprise et excelle à sa traduction. Dans la foulée il a fondé sa maison d’édition, « Kontr » sur les rives du Bosphore et s’emploie à faire mieux connaitre la littérature turque actuelle.
Les rapports entre la Turquie et la Russie sont d’une actualité brûlante. En quoi doivent-ils nous interpeller nous occidentaux ?
La Turquie avait postulé à l’Union Européenne, une candidature mise sous le boisseau et ressurgissant de temps en temps. Ce qui est important en ce moment c’est qu’entre la Russie et l’occident la Turquie joue sa propre partition. Cela je l’ai constaté en regardant des films turcs sur Netflix durant le Covid. Ces productions cinématographiques ont stimulé mon intérêt pour ce pays.
Dans « Fuir loin du Magne pour éviter les Turcs », contribution de J. Giudicelli, il est frappant de voir combien les Ottomans s’ingéniaient à faire porter aux Chrétiens des vêtements qui les distinguaient des autres. Maintenant le pouvoir français uniformise les vêtures des musulmans vivant en France. Pourquoi ceux qui nous dirigent sont-ils obnubilés par cette question ?
Rappelons-nous qu’il n’y a pas si longtemps il n’était pas correct, ici, que les femmes aillent en pantalon !... Et puis ne dit-on pas que l’habit ne fait pas le moine !
Vous accordez de l’intérêt aux autres revues publiées en Corse. Pourquoi ?
Ces publications sont à mon avis pas assez connues. Parmi les plus récentes on en compte trois : « Litteratura », « Vagabondi », « Quì ». Dans notre dernière parution Francis Pomponi étudie le concept, Isole Sorelle (Corse – Sardaigne) à partir de la revue, « Mediterranea » publié à Cagliari de 1927 à 1937. Il éclaire par la même occasion le personnage de Miss Southwell, qui a fait un gros travail sur la Corse dans l’entre-deux-guerres.
La thématique de « A Traversa » pour le numéro 3 ?
Nous aborderons la question des migrations à partir de deux articles et en nous situant dans l’angle historique.
Propos recueillis par M.A-P