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Erdogan, l'homme qui rêvait de devenir calife

L'entrée en jeu de la Turquie est une nouvelle démonstration du nationalisme islamique militarisé promu par Recep Tayyip Erdogan, le président turc.
Erdogan, l’homme qui rêvait de devenir calife

L’entrée en jeu de la Turquie est une nouvelle démonstration du nationalisme islamique militarisé promu par Recep Tayyip Erdogan, le président turc. Il représente aussi une fuite en avant par rapport à sa gestion de la crise sanitaire, l’impopularité du régime dans une partie de la population et le marasme économique.


Ankara a choisi un timing parfait pour soutenir l’opération de Bakou. Les élections américaines ont lieu dans moins d’un mois, Washington est absorbé par ce scrutin existentiel et par le Covid-19. Le retrait des États-Unis des crises du monde, en particulier au Moyen-Orient, a offert des ouvertures inédites à ce qu’on désigne désormais comme les états carnivores.
La Turquie sait que l’OTAN est paralysée sur un plan politique, incapable de résoudre ses contradictions internes. Ses provocations – comme sur les missiles S-400 achetés à la Russie – sont une succession d’humiliations pour l’Alliance atlantique. Ankara comprend aussi que les Européens, pris au piège du Brexit et de leurs propres divisions, ont bien du mal à projeter leur puissance à l’extérieur.
Le président Macron et la France se retrouvent bien seuls face aux rodomontades du président turc. La décision d’Erdogan de transformer l’ex-basilique Sainte-Sophie en mosquée et sa récente déclaration promettant « la libération d’Al-Aqsa », les insultes envers le président Macron, et ses menaces envers la Grèce, ne sont que les derniers exemples de cette stratégie agressive où s’imbriquent « grandeur internationale », conquêtes de nouveaux débouchés commerciaux et énergétiques, reprise en main intérieure et enfin, leadership politique et religieux du monde sunnite (supposition absolument irréaliste pour un non-arabe).

Le nouveau sultan

Souvent comparé à un nouveau Sultan, Ecep Erdogan le président du Parti de la justice et du développement (AKP, branche turque des Frères musulmans) au pouvoir depuis 2003 (Premier ministre de 2003 à 2014 et Président de la République de Turquie depuis 2014) s’est toujours identifié aux anciens monarques de l’Empire ottoman.
Erdogan a, au fil des années, réislamisé progressivement son pays et consolidé son pouvoir autoritaire en écartant et muselant l’armée, pilier de l’État turc et principale garante de la « laïcité » kémaliste depuis les années 1930. La tentative de coup d’État ratée de juillet 2016 lui a permis également d’effectuer de nouvelles purges au sein de la puissante institution militaire, mais aussi de réduire au silence, par des milliers d’arrestations, ses adversaires politiques, des députés, des journalistes ou des avocats.

À l’international, depuis plus de quinze ans, la Turquie d’Erdogan a opéré, avec un certain succès, une véritable OPA sur l’islam de France et d’Europe. Prenant la direction de centaines de mosquées, principalement dans l’Hexagone et en Allemagne, elle a fondé de nombreuses écoles coraniques et associations contrôlées par des islamistes turcs. En Méditerranée et au Moyen-Orient, toujours grâce à l’argent de son allié, le Qatar, le Président turc s’est lancé dans de nombreux projets hégémoniques et d’influence dans le but avoué de prendre le leadership du monde sunnite.

Ainsi, à partir de 2011 et des Printemps arabes, l’objectif d’Ankara et Doha, la capitale du Qatar, fut limpide : récupérer les mouvements populaires voire les impulser pour les transformer en victoires électorales afin d’installer à Tunis, au Caire, à Tripoli et à Damas des gouvernements appuyés par et sur les Frères musulmans. Ce fut un retentissant échec ou en tous les cas le début d’un gigantesque chaos.

Le chien de guerre du Qatar


À partir du printemps 2019, le Président turc, en homme de main du Qatar
(allié de l’Iran), passe à l’offensive et relance tous azimuts sa politique néo-ottomane et panislamiste dans les Balkans (Bosnie, Kosovo et Albanie), dans le Caucase (Azerbaïdjan), en Afrique, à Gaza (en soutien au Hamas), en Syrie (Idlib), en Tunisie (en s’affichant ouvertement comme le parrain des Frères musulmans tunisiens de retour au cœur du pouvoir) et enfin, en Libye (pour contrer l’offensive d’Haftar sur Tripoli).

Parallèlement, Erdogan soutient plus ou moins ouvertement les islamistes parfois de façon ouverte (Syrie, Lybie, Gaza etc.) ou parfois de façon incitative (les appels à peine voilés aux attentats après l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty). Sur cette immense scène géostratégique, la Russie (ennemie héréditaire de la Russie sur la scène caucasienne) tente de tirer son épingle du jeu. Tout ce qui peut déstabiliser l’Europe la sert, eut égard aux sanctions décrétées après la guerre l’annexion de la Crimée.

Néanmoins, la déstabilisation du Caucase entamée par la guerre menée dans le Haut-Karabakh contre l’Arménie, soucie la Russie. Le Caucase est une zone essentielle pour la route des carburants mais aussi celles de la soie. L’alliance sino-russe pourrait bien se heurter à un soulèvement musulman et les deux puissances feront tout pour l’empêcher, ceci expliquant la férocité de la répression menée par les Chinois contre les Ouïgours.

Désormais, les jeux sont ouverts et les alliances fragiles.

Mais il ne fait aucun doute que les victoires qataries-turques seront autant de défaites pour le camp occidental.

GXC
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