Rentée : cinq urgences absolues
La réforme institutionnelle est en panne.
Rentrée : cinq urgences absolues
La réforme institutionnelle est en panne. La Corse l’est aussi. L’autonomie aurait peut-être permis de faciliter la résolution de problèmes. Il va falloir faire sans dès cette rentrée. Au moins concernant cinq dossiers qui ont pour points communs de relever de l’urgence absolue et de pouvoir être immédiatement traités dans l’actuel cadre institutionnel par une synergie entre l’État, la Collectivité de Corse, les intercommunalités, les communes et les acteurs économiques. Assez digressé, assez procrastiné, à l’œuvre !
Déchets ménagers
Le traitement des déchets (plus de 100 millions / an) est, selon la Chambre Régionale des Comptes, à la fois très coûteux et peu performant. Il représente un coût par habitant deux à trois fois supérieur à la moyenne nationale. Il pèse lourdement sur les budgets des ménages du fait de taux de TEOM élevés et de possibles augmentations. Il grève les budgets des intercommunalités jusqu’à 80 % des dépenses de fonctionnement. Il est à la traîne car les orientations stratégiques visant à doter la Corse d'équipements structurants pour réduire le recours à l'enfouissement et accroître le volume de déchets valorisés, restent à mettre en œuvre (le Plan Territorial de Prévention et de Gestion des Déchets, PTPGD, n’a été adopté qu’au début de l’été). Il n’évite pas l’atteinte à l’environnement. En effet, sur 216 000 tonnes de déchets collectées en 2023, le taux de tri n’a pas dépassé 38 %, d’où un recours massif à l’enfouissement. Il démobilise. Sur les réseaux sociaux, fleurissent des photos de décharges sauvages en ville ou dans la nature. Il peut s’avérer catastrophique. Après les incendies ayant ces dernières années affecté dans la région bastiaise une entreprise de conditionnement des déchets en vue de leur recyclage, c’est une entreprise de même type qui a été sinistrée dans le pays ajaccien, ce qui, dans les deux cas, a occasionné des pollutions de l’air et, peut-être, du sous-sol naturel.
Endettement
La dette de la Collectivité de Corse dépasse le milliard d’euros : 1,04 milliard d’encours en 2023 ; 1,10 10 milliard d’encours en 2024 ; 1,17 milliard d’encours en prévision l’an prochain. Le recours à l’emprunt devient systématique et indispensable pour à peine soutenir l’investissement : 367 M€ d'investissement en 2023 et 100 M€ d'emprunt ; 330 M€ d'investissement en 2024 et 116 M€ d'emprunt ; 330 M€ d’investissement et 122 M€ d'emprunt en prévision l’an prochain. Ceci semble révéler une propension à faire marcher la planche à billets. Ceci suggère que l’endettement devient une perfusion vitale et qu’un endettement de 450 M€ étant comptabilisable depuis 2016, les économies d’échelle que permettait d’espérer la fusion Collectivité Territoriale de Corse / Départements 2A et 2B n’ont pu être réalisées. Ceci rend plus coûteux l’investissement car il faut supporter des remboursements assortis d'intérêts. Ceci réduit la capacité d’emprunt pour de grands projets. Ceci contribue à dégrader les finances de la Collectivité de Corse. Ceci fait craindre un recours à l’augmentation de la pression fiscale pour redonner à cette dernière des marges de manœuvre financières. Ceci trahit une difficulté à maîtriser les dépenses de fonctionnement, à optimiser ou augmenter des recettes les plus dynamiques, existantes et à générer des recettes nouvelles.
Eau
Les effets du dérèglement climatiques se font sentir et se traduisent notamment par des tensions affectant l’alimentation en eau. Ce qui risque de pénaliser les habitants, d’handicaper l’activité agricole et de compromettre l’attractivité touristique. Ces tension sont apparues dès le printemps. Elles étaient alors et sont heureusement restées cantonnées en Haute Corse. Le comité sécheresse de la Haute-Corse qui s’est réuni le 31 mai dernier, a en effet constaté que la situation hydro-climatique était dégradée dans plusieurs territoires du département. Le Cap Corse et la Plaine orientale étaient affectés par un déficit de précipitations de l’ordre de 60 % (période septembre 2023-mai 2024). L’indice d’humidité du sol révélait une grande sécheresse sur les zones littorales. Les nappes phréatiques de la plaine orientale étaient particulièrement basses. 50 % des ouvrages suivis présentaient un niveau d’eau bas à très bas. La situation de nombreux cours d’eau correspondait à celle d’un mois de juillet. Les ouvrages de stockage de l’Office d’Équipement Hydraulique de la Corse avaient un taux moyen de remplissage de 73 % alors que ce taux était de 93 % l’année précédente et de 83 % en 2022, année de sécheresse déjà très importante. Le préfet de Haute-Corse a dû, dès le 10 juin, placer en « alerte » 137 communes sur les 236 du département et cela dure depuis. 12 de ces communes ont été en difficulté pour alimenter leur population en eau et contraintes de prendre des mesures palliatives. Le manque d'eau en lien avec la sécheresse n’a pas concerné que le rural. Ces derniers jours, une communication de la Régie des eaux du pays bastiais (Acqua publica) a informé les habitants d’un quartier des hauteurs de Bastia que des coupures pourraient découler d’une « situation hybride critique due au tarissement des sources de montagne, qui sont l'unique ressource en eau potable de ce secteur ».
Énergie électrique
A la mi-juillet, le système électrique insulaire étant soumis à des tensions dues à des défaillances de son exploitation et aussi à la hausse des températures, EDF Corse s’est résigné à demander aux usagers de respecter, durant quelques jour, des plages horaires de réduction de l'utilisation des appareils électroménagers (8 heures à 13 heures, 17 heures à 23 heures). Il s’agissait de sécuriser l'équilibre entre la consommation et la production d'énergie a-t-il été expliqué. Auparavant, le 30 juin, plusieurs micro-régions avaient été privées d'électricité pendant une demi-heure. Cette panne était la conséquence de problèmes techniques ayant provoqué la perte de plusieurs moyens de production. Les tensions risquent de perdurer. En effet, EDF Corse prévoit une hausse de 50 % de la consommation d’électricité à l’horizon 2040 et aura donc besoin de pouvoir produire assez en sécurisant cette production. Ce qui n’est pas acquis car le manque d’eau dû aux périodes de sécheresse résultant du réchauffement climatique, pourrait réduire les capacités de production des barrages ; car le câble d’interconnexion qui relie la Corse à la Sardaigne peut, c’est arrivé cet été, être endommagé ; car, à ce jour, EDF Corse peine déjà à répondre à la demande du mois d'août. Des investissements importants sont donc d’ores et déjà indispensables pour être en situation de répondre, dans les années qui viennent, à une augmentation régulière de la consommation et à des pointes très élevées. La Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) doit être mise en œuvre au plus vite dans l’intérêt de tous les habitants et de l’activité économique.
Économie
Le dernier rapport de l'INSEE Corse révèle une baisse de l'activité économique au premier trimestre 2024. Celle-ci est particulièrement pénalisée par le repli de ses secteurs majeurs : le BTP et le Tourisme. C’est quantifié. Le nombre d'heures rémunérées s'est contractée (- 0,3 % sur un an). La dégradation de l'activité économique a des incidences sur le marché de l'emploi (hausse du taux de chômage de 0,5 % sur un an). Une autre tendance préoccupante est observable : les défaillances d'entreprises sont toujours plus nombreuses. En effet, entre avril 2023 et avril 2024, 411 défaillances ont été recensées (soit, pour la période, + 37 %, 112 défaillances supplémentaires). Concernant le BTP, le secteur artisanal est essentiellement plombé par la baisse de la demande de construction de maisons individuelles. Maçons, charpentiers, plombiers et électriciens sont particulièrement inquiets. Jean-Charles Martinelli, président de la Chambre régionale de métiers et de l'artisanat de Corse, a ainsi traduit cette inquiétude : « Si l'on poursuit dans cette dynamique négative, de nombreuses entreprises vont être contraintes de mettre la clé sous la porte». Les grandes et moyennes entreprises BTP sont elles plus touchée$es par la baisse de la commande publique. Les autorisations de construire ont chuté de 13,4 % et les mises en chantier de 10,9 %. Cette situation est grave car le BTP représente 10 % de l’emploi salarié insulaire et est le troisième secteur employeur après l’administration publique et le commerce. Selon l'INSEE, plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation : l'augmentation des prix des matériaux due à la crise énergétique a induit des coûts supplémentaires en termes de réalisation ; la hausse des taux d’intérêts mise en œuvre pour lutter contre l’inflation a freiné les capacités d’endettement des ménages, des entreprises et des collectivités. Les premiers chiffres de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Corse soulignent pour leur part, et donc confirment, la désaffection touristique perçue depuis plusieurs semaines par les professionnels : moins 10 % de passagers dans les aéroports en juillet par rapport à 2023 ; côté maritime, chute moindre s'établissant à moins 2 %. Ces chiffres confirment la tendance à la baisse déjà enregistrée l'été précédent (recul de 8,1 % par rapport à 2022) et sont de nature à préoccuper. En effet, ils indiquent que la Corse est en train de perdre durablement son attractivité. Les professionnels mettent en cause le coût élevé des transports et dénoncent donc les politiques tarifaires des compagnies aériennes et maritimes. Mais d’autres facteurs expliquent sans doute aussi le coup de mou durable du tourisme corse : la crise du pouvoir d'achat ; le coût de la vie très élevé en Corse (+ 7 % de plus qu'en province dans l’Hexagone) ; des visiteurs qui optent de plus en plus volontiers pour l'offre para-hôtelière moins coûteuse (logements, villas, appartements, regroupés sous l'appellation de « meublés de tourisme » étant destinés à la location saisonnière pour une clientèle de passage) au détriment des hébergement traditionnels (hôtels, campings, résidences de tourisme). Cette offre para-hôtelière est en plein essor : 181 800 lits déclarés. Il convient d’ajouter qu’elle ne contribue guère à la fréquentation d’autres secteurs d’activité touristique (notamment la restauration). La haute saison maussade des professionnels s’ajoute donc aux résultats décevants des vacances de Pâques et des ponts de mai. De quoi être inquiet car le tourisme pèse très lourd : 39 % du produit intérieur brut (PIB) contre 7 % pour la moyenne nationale, 3,5 milliards d'euros de chiffre d’affaire.
Pierre Corsi
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