Une journée si particulière
Il flottait le 15 décembre dans les rues d'Ajaccio un parfum d'allégresse.
Une journée si particulière
Il flottait le 15 décembre dans les rues d’Ajaccio un parfum d’allégresse. Je ne parle pas de joie, mais de bonheur. Le Pape était là, mais ce qui nous avons vécu dépassait sa simple présence. Pour la première fois depuis les sept décennies que je connais la Corse, j’ai senti battre le cœur de son peuple.
Un grand beau soleil
Ce dimanche, le soleil brillait de tout son éclat. C’était déjà un petit miracle compte tenu du déluge qui s’était abattu sur Ajaccio le samedi. La foule se pressait devant la cathédrale, place Miot et au Casone sous le regard impérial de la statue de Napoléon. Dès l’atterrissage de l’avion et l’apparition du Pape, les fastes ont commencé : musique traditionnelle puis la traversée de la ville. Jamais de mémoire de Corses on n’avait assisté à un pareil accueil. Les gens aux balcons applaudissaient. D’autres, présents dans la rue tendaient leurs enfants afin qu’ils soient bénis par le Saint Père. Et à côté du pape la haute silhouette du cardinal Bustillo, le grand artisan de cette belle journée. C’était alors une curieuse sensation que de vivre le printemps en plein décembre. Il y avait eu à Ajaccio des foules pour témoigner du chagrin — après l’assassinat du préfet Erignac ou après celui de Yvan Colonna — d’autres en colère et enfin des convenus cortèges traîne-savates. Mais jamais autant de personnes communiant dans une forme de joie fraternelle.
Un discours pour la laïcité « à la Corse »
La Corse reste un mystère pour tous jusqu’à ceux qui l’habitent et la vivent pour le meilleur et pour le pire. Mais tandis que le Pape s’adressait à cette foule de fidèles et de curieux, on ne pouvait que s’étonner de ce que cette montagne dans la mer ait suscité autant d’intérêt à travers les millénaires. Combien de personnages aux caractères forts sont nés sur « ce petit rocher nerveux » comme aimait à l’appeler un Ajaccien aujourd’hui décédé. Le Pape a témoigné dans son discours de cette particularité, pour ne pas parler de particularisme corse en évoquant « une laïcité à la Corse ». « Les croyants peuvent se retrouver sur un chemin commun avec les institutions laïques, civiles et politiques, pour travailler ensemble à la croissance humaine intégrale et à la sauvegarde de cette « île de Beauté ». D’où la nécessité de développer un concept de laïcité qui ne soit pas statique et figé, mais évolutif et dynamique, capable de s’adapter à des situations différentes ou imprévues, et de promouvoir une coopération constante entre les autorités civiles et ecclésiastiques pour le bien de l’ensemble de la communauté, chacune restant dans les limites de ses compétences et de son espace. Comme l’a affirmé Benoît XVI, une saine laïcité signifie « libérer la croyance du poids de la politique et enrichir la politique par les apports de la croyance, en maintenant la nécessaire distance, la claire distinction et l’indispensable collaboration entre les deux ». »
L’idéal et le concret
Et s’il est possible d’apporter la contradiction au Saint-Père, lui qui prêchait la paix, le dialogue et la fraternité, faut-il respectueusement lui rappeler que la laïcité tolérante qu’il prône devrait par nécessité s’ouvrir à toutes les autres religions avec autant de tolérance. Et si on ne peut qu’approuver son message de paix, osons avancer que parfois la guerre est hélas nécessaire notamment quand votre pays est envahi par une puissance sans pitié. Il a appelé les hommes et les femmes à procréer. Mais avoir des enfants en grand nombre a un coût financier que bien des familles ne peuvent se permettre. Bien des femmes renoncent à cette possibilité pour pouvoir maîtriser leur destin et ne pas dépendre d’un homme. Enfin la surnatalité est source de tensions, de conflits allant parfois jusqu’à la guerre. Le contrôle des naissances est aussi un outil à créer un avenir plus serein. Ça n’était évidemment ni le jour et encore moins l’instant, mais les paroles du Pape en Belgique stigmatisant les médecins pratiquant l’IVG comme des « tueurs à gages » a eu comme un goût amer pour bien des croyants. L’Église est souvent longue à comprendre les maux de la société et plus encore à accepter des remèdes indispensables. Intolérante envers les juifs et les homosexuels, elle a fini par condamner tardivement l’antisémitisme religieux, mais n’a pas encore pleinement accepté le mariage pour tous. Quand une pensée idéale se heurte à la réalité de la vie, il est bon que la religion parvienne à s’adapter faute d’accepter un lent déclin.
Une bien belle journée à l’avenir hésitant
C’était vraiment une journée formidable. Espérons maintenant que de cette belle semence va jaillir un véritable esprit de fraternité et de générosité. Espérons que cette journée qui a flatté les Corses ne sera pas un évènement sans d’autres lendemains que des brumes nostalgiques. Le Pape nous a fait l’immense honneur de nous distinguer. Sachons être dignes de cet évènement.
GXC
photo : D.R