Cette violence qui est en nous
Rien n'est plus inutile que de conjurer un malheur
Cette violence qui est en nous
Rien n’est plus inutile que de conjurer un malheur en le considérant comme arrivé de l’extérieur alors que c’est nous et nous seuls qui le portons en nous comme un enfant terrible dont nous ne parvenons pas à maîtriser les crises.
Un fait divers devenu un fait de société
La mort de tout être humain, quel qu’il soit, est un drame en soi. Celle de ce pompier assassiné par un mari qui s’estimait bafoué aurait en une autre période été considérée comme un fait divers. Après la venue du Pape, en cette période de fête, mais aussi de crise à tous les niveaux, il devient le révélateur d’un malheur qui nous habite depuis des siècles et des siècles. Le président Simeoni a présenté ses vœux stigmatisant « le culte des armes, le mythe du voyou, le fléau de la drogue » qui « gangrènent notre jeunesse » le tout couronné d’un vœu pieux : parvenir à transformer les mots en actes et en décisions. Dans le même numéro de Corse-Matin, le sociologue Jean-Louis Fabiani parle des armes en Corse comme de « véritable défi sociétal ».
Ça n’est pas lui faire injure que d’écrire qu’il ne fait ici qu’enfoncer, hélas, des portes ouvertes. Cette question des armes est revenue sur la table chaque siècle : arcs, arbalètes, mousquets, fusils, couteaux… tout a été interdit en différentes époques, la plus récente étant l’après-Aleria en 1975. Faut-il rappeler que les armes sont des objets qui sans la personne qui les emploie sont parfaitement inoffensifs ? Faut-il souligner que la détention d’armes est déjà soumise à interdictions diverses et variées ? C’est donc dans les tréfonds de l’âme corse qu’il faut chercher les racines de ce que le président Simeoni appelle « nos démons ».
Une société violente n’en déplaise aux angélistes
Un jour de l’année 2013, au lendemain de l’assassinat de Jean-Luc Chiappini, Manuel Valls alors ministre de l’Intérieur avait estimé que « cette violence (était) profondément enracinée depuis des décennies dans la culture corse ». Il avait aussitôt provoqué une levée de boucliers avec en première ligne Laurent Marcangeli, alors député. Pourtant les chiffres sont là, terribles dans leur froide neutralité : la Corse continue d’être à population égale, la région de France où l’on tue le plus pour des motifs divers et variés. Et le problème remonte à loin puisque déjà à la fin du XVIIe siècle, les Génois se plaignaient du même mal qui persistait sous la Restauration, sous la IIIe république… Depuis un demi-siècle, notre île est en proie à une violence politique qui se transforme peu à peu en violence de type mafieuse
. Il se trouve que hasard de l’information, Via Stella propose en ce moment même dans la collection Ghjenti, un documentaire remarquable de Jacky Poggioli sur les ancêtres du FLNC, le Fronte paesanu di Liberazione di a Corsica (FPCL) et Ghjustizia paolina, laquelle naquit au sein de l’ARC, mouvement autonomiste légal. Le 30 décembre, Pierre Poggioli qui fut la tête pensante du FLNC jusqu’en 1989, livre sur sa page Facebook un texte d’une grande sensibilité et d’une profonde intelligence sur le bilan qu’il tire aujourd’hui de la dérive du mouvement nationaliste vers des travers mafieux. Il décrit la décomposition de notre société dans laquelle la violence politique tend à devenir une violence délinquante et n’en finit pas de se livrer à un lent suicide. Alors oui on peut l’affirmer en face des angélismes : cette violence n’a rien d’un phénomène exogène. Elle est en nous et c’est à nous de parvenir à la canaliser à défaut d’espérer un jour la faire disparaître.
Parvenir à penser le bien commun
La violence clandestine possédait un atout majeur : son lien avec le peuple corse qui, même en désaccord sur la finalité, se sentait impliqué par l’idée nationaliste. Aujourd’hui, la violence tend à devenir celle qu’on trouve un peu partout dans le monde : un carburant pour obtenir vite l’argent nécessaire pour satisfaire des désirs immédiats, matériels et consuméristes. Cette violence rompt avec l’idée d’un idéal et d’un avenir commun, bref d’un bien commun à tous les Corses. Dès lors, c’est cette idée d’intérêt global qu’il faut réapprendre en l’accompagnant d’une répression sans faiblesse du crime. Si les citoyens ont confiance dans la justice alors elle aidera celle-ci à faire le ménage. S’ils se méfient de services divisés, partisans et parfois même corrompus, alors rien n’avancera. Gérard Darmanin mise tout sur la répression. Il a tort. L’éducation de la jeunesse, le retour à un sens civique, l’idée même de peuple corse sont les meilleures armes pour combattre une criminalité qui ronge notre société comme un cancer. Mais qu’on cesse de prétendre que la violence que la Corse connaît depuis des siècles vient de l’extérieur. Tant que nous entretiendrons ce mythe déculpabilisant, la violence progressera de façon désordonnée de telle façon qu’il sera impossible de faire la différence entre celle qui se targuait de construire un futur et cette autre qui n’a d’autre but que de prendre la place des autorités légales.
GXC
Photo D.R