Nonza, Ogliastru : nickel sous roche
Une opposition au projet d'extraction, de nickel sur deux sites situés sur la côte ouest de la Corse
Nonza, Ogliastru : nickel sous roche
Le 11 janvier dernier, des militants de Nazione ont tenu à Nonza une conférence de presse pour signifier l’opposition de leur parti au projet d’extraction de nickel sur deux sites situés sur la côte Ouest de la Corse, plus précisément au sein du Parc Naturel Marin du Cap Corse et de L'Agriate : la plage de Nonza et la plage d’Albu (commune d’Ogliastru). Nazione a ainsi rompu le silence observé par la plupart des décideurs politiques concernant ce dossier sensible. Désormais, le débat est ouvert et chacun devra se prononcer clairement.
Durant au moins plus d’un an, les acteurs de ce projet ont opéré discrètement. C’est l’association U Levante qui, le 31 octobre de l’an passé, a levé le lièvre en publiant sur son site internet un article intitulé « Cap Corse : projet d’exploitation des plages de Nonza et d’Albu pour en extraire du nickel : attention danger amiante ! » (*) Il y est indiqué l’existence et la nature du projet : « Une société envisage d’enlever puis traiter *es galets, gravier et sable des plages de Nonza et d’Albu, afin d’en extraire le nickel ». Il y est révélé que l’acteur économique à l’initiative du projet est étranger à la Corse : « Aurania Ressources Ltd, société cotée en Bourse, dont le siège social est situé au Canada, représentée par Keith Michael Barron de nationalité britannique, est immatriculée aux Bermudes ». Il y est précisé qu’Aurania est implantée en Corse sous forme d’une filiale ; à savoir une SASU (société par actions simplifiée à associé unique) au capital de 10000 €, dénommée Corsica Ressources, domiciliée à Biguglia, immatriculée le 18 octobre 2023 au greffe de Bastia. Il convient de reconnaître qu’Aurania ne cache pas son jeu. Les codes NAF et APE indiquent que Corsica Ressources a pour activité globale « Ingénierie, études techniques » et pour activité principale déclarée « Étude géologique, exploration de ressources minérales, étude et exécution de solutions de dépollution, de traitement ». Sur son site internet (**), Aurania apporte de nombreuses informations (communiqués des 3 octobre et 11 novembre 2024). La société canadienne indique aux investisseurs potentiels, tout l’intérêt industriel, économique et financier qu’elle porte à voir accorder à sa filiale un droit exploitation des galets, graviers et sables des plages de Nonza et d’Albu : « Le sable noir de la plage de Nonza, en Corse, contient l’awaruite, un minéral magnétique de nickel-fer transporté par la dérive littorale d’une mine historique voisine (la carrière à ciel ouvert d’extraction d’amiante de Canari, exploitée de 1949 à 1965, NDLR) […] Des études sur des sables identiques à la plage voisine d’Albo sont également en cours […] Comme présenté dans le communiqué de presse de la Société daté du 3 octobre 2024, un concentré de table gravimétrique Mozley de sable de plage magnétique généré par SGS a produit 40,1 % de nickel. La Société est d’avis qu’un concentré de gravité « impur » d’awaruite et de magnétite pourrait à lui seul être potentiellement vendable comme matière première pour un four à matte de nickel. Cependant, la récupération et l’isolement d’un produit d’awaruite pur peuvent permettre l’extraction du cobalt, du cuivre et des métaux précieux dans un scénario de « valeur ajoutée ». Des études hydrométallurgiques utilisant une lixiviation atmosphérique sur le reste de l’échantillon récupéré par flottation sont en cours avec des premiers résultats encourageants.
Pour l’instant, la Société n’a pas l’intention de construire une raffinerie ou de fabriquer des matériaux de qualité batterie, mais elle aimerait explorer toutes les possibilités de commercialisation […] À notre connaissance, ces teneurs en nickel sont bien supérieures à celles de tous les gisements de roche dure connus ». La société canadienne ajoute que des contacts avancés existent avec des interlocuteurs locaux et nationaux : « Aurania a signé des protocoles d’accord non contraignants avec les communes d'Ogliastro et de Nonza dans le Cap Corse, en Corse du Nord, en France, par l’intermédiaire de sa filiale Corsica Ressources S.A., en propriété exclusive, pour l’exploitation de gisements de plage de minéraux lourds fortement enrichis en nickel (Ni) et en autres métaux […]
La direction d'Aurania n’a pas tardé à se rendre compte de l’importance de cette « découverte » et a travaillé au cours de l’année écoulée avec le Département des Ressources Minérales du Ministère de l’économie et des Finances, la Délégation Interministérielle pour la Mise à Disposition en Minéraux Critiques et Métaux Stratégiques ainsi qu’avec différents niveaux de Gouvernement au sein de la Corse ».
Quelles incidences environnementales et sanitaires ?
Selon Aurania son projet présente un impact environnemental limité et acceptable, et serait économiquement profitable à la partie corse : « 130 kilos de sable ont été emportés lors d’une traversée N-S de la plage de Nonza […] Ce sable magnétique est constitué de particules libres d’awaruite (Ni3Fe) et de magnétite (Fe3O4) […] Bien que la source initiale de l’awaruite soit constituée de déchets de mines d’amiante, il n’y a actuellement aucun danger sur les plages selon l’Institut national de l’environnement industriel et des risques. L’awaruite et la magnétite sont toutes deux des minéraux lourds et sont facilement récupérés du sable de plage par des techniques de gravité similaires à la récupération de l’or placérien. Les deux minéraux sont également hautement magnétiques, et les différences de susceptibilité magnétique entre la magnétite et l’awaruite sont telles qu’ils peuvent facilement être séparés. La technologie est simple, bon marché et bien comprise. Aucun produit chimique n’est utilisé dans la récupération. Le produit d’awaruite peut être séché, ensaché et expédié à une fonderie potentielle ou à un producteur de sulfate de nickel de qualité batterie […]
Une charge d’alimentation potentielle de four à matte de nickel ne nécessite pas de forage, de dynamitage ou d’enrichissement, et peut éventuellement être expédiée de la Corse directement à un acheteur, ce qui semble être un scénario de rêve. Encourager le soutien de la communauté locale rend cela encore plus attrayant ».
U Levante ne partage pas l’idyllique vision des choses de la société canadienne. L’association met en garde contre un potentiel risque de pollution aux fibres d’amiante dans l’air. D’une part, en rappelant que selon InfoTerre (portail web d'accès aux données scientifiques du BRGM, Bureau de Recherches Géologiques et Minières), les plages « du reste désertées » de Nonza et Albu « sont loin d’être dépourvues d’amiante ». et que le BGRM précise : « La plage de Nonza est constituée essentiellement par des galets de serpentinite à veinules de chrysotile, minéral fibreux de la famille amiante ».
D’autre part, en se référant à une note d‘information en date du 31 janvier 2012 de l’ARS, Agence régionale de santé, qui indique que « les effets délétères de l’inhalation des fibres d’amiante sur la santé ne sont plus à démontrer ». Tout cela conduit U Levante à prévenir : « Une fois encore, la santé des habitants des villages de cette côte occidentale du Cap Corse est en jeu » et à interroger : « N’est-ce pas leur infliger une double peine ? Après les nuisances de l’exploitation de l’usine de Canari, voilà celle de l’extraction à ciel ouvert de nickel sur deux plages. Détruire ou fragiliser (contre sans doute une forte compensation financière) la plage de Nonza, qui fait désormais l’originalité et l’attrait touristique du site (sa photographie parcourt le monde), n’est-ce pas un très mauvais calcul ? » L’ensemble des informations qui précèdent a sans doute attiré l’attention et motivé l’intervention. de Nazione. Le parti indépendantiste considère lui aussi qu’existent de sérieux risques environnementaux et sanitaires et les dénoncent vertement : « Les travaux dureraient une dizaine d’années au sein du parc marin […]
Ce projet prendra-t-il en compte tous les aspects liés à la protection de l’environnement et de la santé publique dans le cadre d’un développement durable ? Nous pouvons en douter, rappelons-nous le désastre industriel, environnemental et sanitaire de l’exploitation de la carrière d’amiante de Canari […] Nous refusons que le patrimoine de la Corse soit sacrifié sur l’autel d’une fausse transition énergétique et écologique pour la production de voitures électriques et hybrides (le nickel tiré de Nonza et d’Albu serait d’une haute pureté très appréciée pour la production de batteries, NDLR ».
Des maires confrontés à un nœud gordien
Nazione est d’autant plus vent debout qu’il croit savoir que l’exploitation serait essentiellement profitable aux actionnaires d’Aurania et à l’État : « De grands groupes internationaux mènent une guerre économique en piétinant au besoin les réalités et les intérêts des peuples […] La fragilité paradoxale de la filière nickel, le piège, pour les peuples concernés, de ce que les économistes appellent « la malédiction des ressources », mettent en évidence l’irresponsabilité de choix qui, sous le prétexte d’une aubaine pour des intérêts privés étrangers ou pour une puissance coloniale, sacrifieraient un schéma de développement durable, et de réelle souveraineté […] Concernant le projet qui nous intéresse ici, il est porté par la société Aurania, immatriculée aux Bermudes, et, d’après les renseignements que nous avons, malgré tout, réussi à collecter, la quantité de minerai extraite devrait avoisiner au moins 35000 tonnes et contiendrait également des fragments d’or. Enfin, il rapporterait plus de 450 millions d’euros, mais certainement pas à la Corse.
Le Maire de Nonza, Jean Marie Dominici, faisait d’ailleurs remarquer, lors d’une interview donnée à Via Stella le 15/11/24 que les royalties pour le moment sont pour l’Etat, puisque c’est le domaine public maritime ». Les considérations environnementales, sanitaires et économiques incitent Nazione à être a priori opposé au projet d’Aurania, ainsi qu’à appeler à la vigilance, à la responsabilité et à la mobilisation : « Nazione s’opposera donc avec ses moyens à toute opération spéculative et prédatrice contraire aux intérêts collectifs du peuple corse en impulsant si nécessaire la mobilisation la plus large […] Nazione demande que le processus d’analyse, d’évaluation, d’enquête et de contrôle du projet s’effectue dans la plus grande transparence en y associant la population du Cap Corse. L’heure est donc à la vigilance la plus extrême pour que la Corse ne soit pas livrée à la seule logique d’intérêts extérieurs, afin de préserver ceux des générations futures de la prédation économique, sociale et environnementale. Nous en appelons à la responsabilité de tous et à la non ingérence de l’État français s’agissant du domaine public maritime corse où ce dernier s’est déjà distingué en autorisant la destruction d’espèces internationalement protégées comme les posidonies ». Au vu de tout ce qui précède, il apparaît que les maires concernés sont à ce jour confrontés à un nœud gordien. Quel avis donner alors qu’ils sont sollicités par de puissants intérêts économiques dont on peut douter qu’ils soient réellement attentifs à l’intérêt collectif corse, qu’ils subissent peut-être des pressions d’un État endetté et donc probablement appâté par la perspectives de percevoir des royalties, qu’ils se prennent à espérer des retombées économiques pour leurs communes tout en craignant des nuisances, qu’ils doivent compter avec des opposants très déterminés au projet Aurania ? Difficile de leur reprocher une indécision ou un manque de transparence, de concertation et de responsabilité. Ils font ce qu’ils peuvent.
Ainsi le maire d’Ogliastru assure qu’il a déjà consulté le conseil municipal et la population et continuera à le faire, qu’il a demandé des précisions concernant le mode d’exploitation (celui-ci se limiterait à du prélèvement de galets par aspiration et ne comprendrait pas de transformation in situ), que la commune ne fera jamais passer l'intérêt financier avant l'intérêt sanitaire et environnemental, qu’il se battra pour que sa commune bénéficie de retombées économiques si le projet se fait. L’intéressé a par ailleurs fait savoir que du fait que les enjeux du projet Aurania dépassent ceux de sa commune (le nickel est une ressource incontournable dans le cadre de la transition énergétique mondiale, notamment concernant la production de batteries de voitures électriques, NDLR), il a soumis le dossier afférent au ministère de la Transition énergétique et à la DREAL (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement).
Le 14 novembre, un communiqué de la préfecture de la Haute-Corse a d’ailleurs confirmé que l’État avait été saisi et suivait de près le dossier : « Il revient désormais à l'entreprise de conduire l'ensemble des études nécessaires pour permettre à l'État d'apprécier la faisabilité de son projet et sa compatibilité avec les enjeux de préservation de l'environnement, de sécurité et de santé humaine». Les services de l’État ont par ailleurs promis que les communes seraient consultées : « L'obtention des autorisations requises sera, le cas échéant, soumise à l'avis préalable de l'ensemble des institutions concernées ainsi qu'à l'avis des communes et du public préalablement à la phase d'exploitation ».
Quelle conclusion tirer à ce stade ? Même en admettant que le projet Aurania respectera l’environnement et ne représentera pas un danger sanitaire significatif, même en prenant en considération qu’il pourra apporter un bénéfice financier non négligeable à l’État et que les communes concernées en tireront quelques subsides, même en voulant croire que le nickel corse servira la transition énergétique, il est légitime d’encore s’interroger car émettre un avis favorable ou défavorable relèvera de la vision stratégique que l’on a de l’avenir des territoires concernés et de leur image. En effet, autoriser une exploitation minière au sein de l’espace ayant été déclaré protégé que constitue le Parc naturel marin du Cap Corse et de l'Agriate), ne pourrait que remettre en cause le choix d’un développement durable de la Corse dont la Collectivité de Corse revendique être porteuse et ne serait pas sans conséquences dommageables pour l’image de terre préservée du Cap Corse et l’image d’île de Beauté de la Corse. U Levante et Nazione ont le mérite d’avoir introduit cette problématique globale. A suivre…
(*) https://www.ulevante.fr/cap-corse-projet-dexploitation-des-plages-de-nonza-et-dalbu-pour-en-extraire-du-nickel-attention-danger-amiante/
(**) https://aurania.com/aurania-nickel-samples-from-corsica-yield-precious-metals-as-well-as-cobalt-and-copper/
Pierre Corsi
Crédit photos : Nazione, BGRM