Corse : une île sous le feu des armes
Du XVe siècle jusqu'à la fin du XVIIIe, la question des armes en corse estb récurrente.
Corse : une île sous le feu des armes
Du XVe siècle jusqu'à la fin du XVIIIe, la question des armes en Corse est récurrente. Les armes, qu'elles soient blanches ou à feu, sont omniprésentes dans la société insulaire, servant autant à la défense personnelle qu'à la résolution de conflits. Cette omniprésence contribue à une criminalité de sang alarmante. Ainsi, entre 1704 et 1720, l'île enregistre en moyenne 45,3 homicides pour 100 000 habitants par an, plaçant la Corse parmi les régions les plus violentes d'Europe occidentale. Et voilà que la question est de nouveau posée en ce XXIe siècle.
Les tentatives génoises de régulation
Face à la violence endémique, la République de Gênes, qui administre l'île, tente d'imposer des régulations. En 1715, elle interdit les patentes de port d’armes à feu, notamment l’arquebuse à rouet, très prisée des Corses. Cette mesure entraîne une baisse significative des homicides : de 139 meurtres recensés entre 1710 et 1716, on passe à 53 entre 1716 et 1718, soit une diminution de près de 60 %. Cependant, cette interdiction est de courte durée. Les armes à feu sont rapidement remplacées par des armes blanches, des bâtons ou même des pierres, témoignant de l’ancrage profond de la violence dans la culture insulaire.
L’échec des politiques de désarmement
Malgré les efforts des autorités, le port d’armes reste une pratique courante. Les tentatives de désarmement général, notamment celles entreprises entre 1821 et 1832 sous l'administration française, se soldent par des échecs. Durant cette période, la Corse enregistre 1 521 homicides ou tentatives d’homicide, soit une moyenne de plus de 125 par an. En 1849, l'année la plus meurtrière du XIXe siècle, 236 homicides sont recensés. Ces chiffres traduisent l'inefficacité des politiques de désarmement face à une tradition ancestrale où l'arme, qu’elle soit cachée ou exhibée, reste un symbole de pouvoir et d’honneur.
La loi de 1853 : un premier tournant législatif
Le 10 juin 1853, une loi prohibant strictement le port d’armes est promulguée par les autorités françaises. Cette mesure, accompagnée d'une campagne vigoureuse de désarmement menée par l'armée et la gendarmerie, entraîne une baisse sensible du nombre d'homicides : de 150 en 1851, on passe à 42 en 1855. Cependant, la violence ne disparaît pas. Avec seulement 1/160e de la population française, la Corse représente encore 1/9e des assassinats du pays. La vendetta, les rivalités claniques et les conflits de propriété continuent d’ensanglanter les villages.
Un XXe siècle toujours sous tension
Au XXe siècle, si la pratique de la vendetta traditionnelle recule, la violence évolue : elle devient le fait de bandes armées, de réseaux de contrebande ou de règlements de comptes politiques et mafieux. Après la Seconde Guerre mondiale, la possession d'armes reste banalisée dans certaines régions de l'île, alimentant la violence rurale et, plus tard, urbaine.
Les années 1970 voient une recrudescence des tensions, notamment après les événements d'Aléria en 1975, lorsque des militants autonomistes occupent une cave viticole pour dénoncer la situation économique et politique de l'île. L'intervention militaire brutale de l'État français marque un tournant : en réponse à la montée du nationalisme armé, les autorités tentent d'imposer un contrôle plus strict des armes. Des perquisitions massives sont organisées, des saisies d'armes opérées, mais la défiance envers l'État et la tradition de l’armement clandestin rendent ces opérations partiellement inefficaces.
Le choc de l’assassinat du préfet Érignac
Après l'assassinat du préfet Claude Érignac en 1998 l’État lance une opération massive de désarmement, avec des fouilles systématiques, des arrestations, et des saisies record d’armes à feu, de munitions et d'explosifs. Un décret renforçant le contrôle sur la détention d'armes est rapidement promulgué. La pression policière sur la possession illégale d’armes atteint un niveau jamais vu depuis les grandes campagnes de désarmement du XIXe siècle.
Ces mesures entraînent une légère baisse des homicides dans les années 2000, mais la Corse continue d’afficher des taux de criminalité violente bien supérieurs à la moyenne nationale. Entre 1995 et 2013, près de 400 homicides sont recensés sur l'île, un chiffre démesuré pour une population d'environ 300 000 habitants.
Une tradition difficile à éradiquer
Aujourd'hui encore, malgré la baisse globale de la violence par rapport aux pics historiques, la Corse reste marquée par la présence d’armes à feu, qu’il s’agisse d’héritages familiaux ou d’arsenaux plus modernes détenus par des réseaux criminels. En 2022, selon le ministère de l'Intérieur, le taux d'homicide par arme à feu en Corse était trois fois supérieur à la moyenne nationale. Le port d'arme illégal demeure un phénomène culturel difficile à déraciner, renforcé par une tradition d’autodéfense, une méfiance envers les institutions et un sentiment d’honneur profondément ancré.
GXC
Photo : D.R