• Le doyen de la presse Européenne

Olivier Battistini et Emir Kusturica,

Emir KUSTURICA, le cœur battant de « l’Europe-Civilisation »

Avec Emir KUSTURICA, le cœur battant de « l’Europe-Civilisation »




Olivier Battistini, un de nos meilleurs spécialistes de l’antique civilisation grecque, mais pas seulement, a pu se rendre en Serbie en janvier dernier pour aller à la rencontre d’Emir Kusturica, le grand cinéaste lauréat de deux Palmes d’or à Cannes, pour Papa est en voyage d’affaires et pour Underground, ainsi que d’autres œuvres d’importance.


À son retour, il nous en a fait compte rendu et confié le fruit de ces échanges, ainsi que les pensées qui lui sont venues suscitées par son immersion au plus profond d’une Europe qui n’est ni celle des marchands, ni celle des bureaucrates bruxellois.

C’est un voyage courageux, en ces temps perturbés, qu’a entrepris Olivier Battistini, quittant le confort rustique de la plus corse des villes corses, pour aller se frotter à « l’extrême contemporain » dans une zone qui ne fait pas l’objet de l’attention qu’elle mérite.

C’est pourtant au cœur de « l’Europe-Civilisation » que se trouvent aujourd’hui, aussi, les réponses à nos interrogations contemporaines.

À travers sa rencontre avec Emir Kusturica, Olivier Battistini a voulu porter le cri d’un « incompris épuisé par le poids d’une nationalité accusée des pires maux », à nos époques où l’on aime trouver des boucs émissaires pour nous faire oublier les vrais enjeux.

On notera que le lien entre les deux hommes s’est tissé lentement, humainement, par leur commune perception du tragique de l’histoire, par ce fait qui peut paraître anodin pour celui qui ne sait pas voir, par ce regard qui change, et s’échange, lorsque Olivier Battistini rappelle ces mots de Thucydide que le cinéaste a fait dire à la fin d’Underground : « une guerre n’est pas une guerre jusqu’à ce qu’un frère tue son propre frère ».

Sont ainsi mis en évidence les ressorts des tragédies, présents depuis la nuit des temps, et qui sont d’une cruelle actualité. L’objectif, toujours le même aussi, est de détruire ce qui fait unité, car il est ainsi plus facile de contrôler des êtres déracinés.

Dans notre Occident matérialiste et déchristianisé, Emir Kusturica nous rappelle, indique Olivier Battistini, la nécessité de la transcendance, de la spiritualité nécessaire à la vie.

Il nous dit que Kusturica met l’art « avant tout », car seul l’art peut nous permettre de nous rapprocher du réel et d’entrapercevoir Dieu, pour que nous soyons enfin un « tout ».

L’art c’est le lieu de la liberté, ce qui est mis en pratique à « KÜSTENDORF », le « village en bois dans la Montagne trempée » nous dit Olivier Battistini, créé par Emir Kusturica pour permettre de retrouver l’Homme.

Comme le souligne le génial cinéaste-poète, « notre époque n’est pas une époque où l’art s’épanouit alors que nous vivons dans l’endroit qui a vu naître, en lien avec la religion, les plus hautes réalisations, celles de la civilisation occidentale héritière de la Grèce antique, où le concept d’art a toujours été en harmonie avec la notion de liberté. Notre époque est celle de la négation de la créativité, et, de ce fait nous nous trouvons dans une société de l’illusion et dans un univers où la conscience de l’homme a été complètement modifiée ».

Et de souligner ainsi l’importance, aussi, du christianisme, dans le continuum de la pensée antique « qui a été la première religion monothéiste à avoir un véritable souci des pauvres ».

C’est ainsi une ode pour l’art comme instrument de vie, comme instrument de liberté, que nous donne Emir Kusturica.

Et l’on retrouve l’actualité de Platon et ce passage de La République que souligne Olivier Battistini : « la perversion de la cité commence par la fraude des mots », ce qui est terriblement actuel.

Et cela est magistralement illustré par Emir Kusturica dans Underground lorsqu’il nous donne à voir « une sorte de monde inversé dans lequel tout ce qui devient réel est un poison absolument idéologique ».

Et il s’en explique en indiquant que « nous assistons à une inversion profonde : la vie matérielle est devenue objet de mépris, tandis que la sacralisation du spectacle transporte l’homme, en tant qu’être symbolique, dans un autre état d’existence. C’est précisément ce processus qu’explore Underground : la ritualisation de la vie, et ses conséquences telles que je les ai évoquées – la fiction devenue réalité, la réalité devenue fiction ».

On pense à Guy Debord et au « vrai qui est un moment du faux ».

Notre « extrême contemporain » est celui qui veut nous couper du réel et de la vraie vie pour faire de nous des esclaves, c’est bien la « fraude des mots » et elle est permanente.

Il devient plus que jamais salutaire de nous plonger dans ce monde au cœur de notre vieille civilisation européenne avec Olivier Battistini et Emir Kusturica, sans oublier Anne Sokolowska, muse et passeur, tous résistants dans une époque de pensée molle.


Jean-François Poli
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