Fréquentation touristique : la valse des chiffres
Au fil des années, au fil des basses et hautes saisons, c’est la valse des chiffres, sans crainte que soient mises en exergue des prénotions, des erreurs, des contradictions ou des exagérations
Fréquentation touristique : la valse des chiffres
Au fil des années, au fil des basses et hautes saisons, c’est la valse des chiffres, sans crainte que soient mises en exergue des prénotions, des erreurs, des contradictions ou des exagérations. On a droit à des aller-retours entre constats de conjoncture assurant que tout va mal et constats de conjoncture affirmant que tout va mieux ou bien, entre prospectives inquiétantes et prospectives optimistes, entre bilans anxiogènes et bilans positifs. Heureusement l’INSEE...
Dans notre précédent numéro, François-Xavier Culioli a écrit concernant ce qui tient lieu chez nous de politique touristique : « Autrefois perçue comme une perle rare de la Méditerranée, la Corse semble aujourd’hui à la traîne dans la grande compétition touristique régionale. Pendant que la Sardaigne, sa voisine immédiate, ainsi que la Dalmatie et Maghreb multiplient les initiatives et s’affirment comme des modèles de dynamisme, la Corse donne l’image d’une île alanguie minée par des querelles internes, des choix hésitants et une vision à court terme. ». Difficile de contredire ce constat féroce qui est aussi un diagnostic lucide d’un secteur tourisme dépourvu de cap. D’autant plus dépourvu que les données chiffrées sont trop souvent utilisées comme des incitations ou des moyens de pression visant à inciter les décideurs politiques à réagir à court et même à très court terme pour satisfaire des desiderata ou des intérêts particuliers (notamment pour flécher des subventions ou des aides d’urgence, pour commander des opérations communication...) ; et non comme des informations destinées à doter ces décideurs d’une vision claire et d’une base solide pour élaborer des stratégies globales et durables constitutives d’une véritable politique touristique.
Au fil des années, au fil des basses et hautes saisons, c’est la valse des chiffres, sans crainte que soient mises en exergue des prénotions, des erreurs, des contradictions ou des exagérations. En effet, à de courts intervalles - avec le concours des médias du fait que la plupart d’entre eux se bornent à présenté du factuel et du déclaratif débités à chaud par les différents acteurs concernés (politiques, consulaires, professionnels...) - on a droit à des aller-retours entre constats de conjoncture assurant que tout va mal et constats de conjoncture affirmant que tout va mieux ou bien, entre prospectives inquiétantes et prospectives optimistes, entre bilans anxiogènes et bilans positifs. Jugez plutôt à partir des exemples suivants qui ne représentent qu’un échantillon.
2024, fin août, tout en noir
« Le tourisme corse, en perte de vitesse, se remet en question » pouvait-on lire dans un grand quotidien national dès la fin du mois d’août dernier. Et suivait le développement suivant : « Après un rendez-vous manqué avec les vacanciers sur l'avant-saison et un recul du trafic aérien de 10 % en juillet, les professionnels corses ont subi une saison concentrée sur quelques semaines en août. Dans le collimateur : le transport et la concurrence méditerranéenne […] Alors que le mois d'août se referme et que le chassé-croisé des vacanciers est passé, les professionnels corses du tourisme dressent les premiers bilans : l'été aura duré quelques semaines tout au plus. » Ceci était écrit alors que dans la Lettre de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Corse, il était affirmé : « Après une mauvaise année 2023, nous aurons une mauvaise année 2024 » et alors que l'Union des Métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) assurait : «
Pour septembre, seul un tiers des établissements prévoit un taux de remplissage supérieur à 75 % avant une chute entre 0 à 25 % en novembre. » UMIH dont deux représentants, déjà fin juillet, déploraient ainsi une saison touristique compliquée, marquée par une baisse significative de l’activité malgré une hausse annoncée du trafic passagers dans les transports aériens, et en conséquence une situation préoccupante pour les hôtels, restaurants, producteurs et commerces. L’un disait : « On est entre moins 12 et moins 36% en fonction de la tendance, des réponses que l’on a de nos adhérents […] On a le Cap, Porto, Propriano et Corte et Calvi qui souffrent plus, selon les retours que nous avons. Ça ne veut pas dire que c’est la généralité mais en tout cas, nous, les retours que l’on a, c’est ça. L’autre assurait : «La
saison a mal commencé et finira mal également, comme l'an passé où le point n'a pas été fait et où j'ai eu quatre réunions avec le Préfet de Corse à qui j'ai par ailleurs demandé de mettre en place une cellule de crise pour régler ces problèmes. D'autant plus qu'il ne faut pas oublier qu'il y a eu en 2023 trois fois plus de dépôts de bilan et de liquidations judiciaires qu'en 2022. » De quoi inciter à broyer du noir et à vouloir tout chambouler.
2024, fin octobre, presque tout en rose
Quelques semaines plus tard, plus précisément mi-septembre, on pouvait lire dans Corse Matin ces propos d’Angèle Bastiani, la présidente de l'Agence du Tourisme de la Corse (ATC) : « Il faut tordre le cou aux discours alarmistes. 2024 n'est pas une année noire. La Corse n'a pas souffert d'une baisse de fréquentation. Le nombre de passagers aériens et maritimes a légèrement augmenté, soit + 2 % par rapport à 2023, depuis début janvier, puisque nous raisonnons en termes d'annualisation. À la clé, un afflux plus important en dehors du cœur de saison, avec un automne prometteur. Il n'y a pas de désamour vis-à-vis de la Corse. » Mi-octobre, des chiffres communiqués par la Chambre de Commerce et d'Industrie de Corse semblaient aller dans le sens de la vision optimiste de la présidente de l’ATC et démentir en partie ce qui était mentionné dans la Lettre citée plus haut de l’institution consulaire, à savoir : « Après une mauvaise année 2023, nous aurons une mauvaise année 2024 ». Ces chiffres révélaient que, pour les neuf premiers mois de 2024, les aéroports et ports de commerce de l'île avaient globalement retrouvé leurs niveaux de trafic Passagers d'avant Covid (durant les neuf premiers mois de l’année, la fréquentation avait progressé de 2 % par rapport à 2023, et s’était maintenue à un niveau stable par rapport à 2019, année de référence avant l’éclatement de la crise sanitaire). Tout juste était-il signalé que la fréquentation de haute saison avait montré des signes d'essoufflement. En effet, il était indiqué qu’en juillet, les aéroports et ports avaient vu leur fréquentation chuter de 5 % par rapport à 2023, et de 1 % par rapport à 2019. Le mois de septembre, quant à lui, présentait une situation plus convenable avec une légère baisse (moins 1 % par rapport à 2023 et 2019). Le constat d’un essoufflement de la fréquentation que révélait l’aérien, devait d’ailleurs être relativisé car il était relevé une hausse du trafic maritime. Avec 3 520 821 passagers cumulés jusqu’à fin septembre, les ports de commerce corses enregistraient une hausse de fréquentation de 3 % par rapport à 2023. , chiffre qui dépassait également celui de 2019 (augmentation de 1 %). De quoi inciter à voir les choses avenir choses presque tout en rose.
C’était vraiment plutôt rose
Alors, en définitive, plutôt noir, ou plutôt rose ? Il a fallu attendre le mois de décembre et la parution des chiffres de l’INSEE pour avoir une vision à peu près claire des choses. C’était vraiment plutôt rose. L’Institut a révélé que la fréquentation touristique avait rebondi : « Avec 9,9 millions de nuitées passées dans les hôtels, campings et autres hébergements collectifs de tourisme (AHCT), entre avril et septembre 2024, la fréquentation touristique dépasse son niveau de l’année précédente. Elle augmente de 6,7 %, soit 625 000 nuitées supplémentaires dans les établissements professionnels marchands. Cette progression succède à une baisse de 8,1 % des nuitées en 2023 par rapport à 2022 qui reste l’année record sur l’île. La Corse rattrape ainsi le recul de fréquentation constaté en 2023P[…] Pendant la saison estivale, les touristes fréquentent en premier lieu les campings. Cet hébergement regroupe 38 % des nuitées et sa fréquentation touristique augmente de 10,4 %. Grands perdants de la saison 2023, les campings dépassent leur niveau de fréquentation de 2019. La hausse est également marquée dans les hôtels avec 10,6 % de nuitées supplémentaires. En revanche, la fréquentation estivale diminue pour la seconde année consécutive dans les Autres hébergements collectifs de tourisme (AHCT) qui regroupent notamment les résidences de tourisme et les villages de vacances. D’avril à septembre 2024, les touristes y ont passé 2,8 millions de nuitées, soit 1,7 % de moins que la saison précédente. Cette baisse est plus faible que celle des régions métropolitaines (- 2,8 %). Sur l’île, elle concerne exclusivement les établissements de Haute-Corse (- 5,2 %). Les établissements de Corse-du-Sud totalisent en revanche un nombre de nuitées supérieur de 1,1 % à celui de 2023. Enfin, contrairement à 2023, le dynamisme d’avant-saison se prolonge au cœur de l’été […] Les températures du mois de septembre jouent également en faveur de la destination corse. La hausse se maintient et la fréquentation touristique progresse de 4 % par rapport à 2023. Elle est toujours stimulée par la présence des campeurs (+ 11,7 %) et de la clientèle hôtelière (+ 9,8 %). En revanche la situation reste moins favorable dans les AHCT […] La clientèle en provenance d’autres pays, dite non-résidente, progresse fortement cette saison (+13,3 %). Déjà très présente en 2022 et 2023, elle atteint le nombre record de 3,5 millions de nuitées, soit 35 % des nuitées passées dans les hébergements touristiques. Les touristes allemands (1 million de nuitées), italiens (510 000 nuitées) et suisses (300 000 nuitées) représentent plus de la moitié de la clientèle non résidente des campings et des hôtels. Le nombre de touristes provenant de ces trois pays progresse. La clientèle néerlandaise reste fidèle. Elle progresse également de 38 % par rapport à 2023 et totalise 200 000 nuitées. Dans une moindre proportion, la fréquentation des touristes britanniques augmente aussi pour atteindre 70 000 nuitées en 2024. La clientèle résidente entame son retour cette saison (+3,5 %), après avoir nettement reculé lors de la saison précédente (- 12,6 % en 2023). L’INSEE ne permet certes pas de tout apprendre et tout savoir, mais au moins fournit des données fiables et indique des tendances.
Pierre Corsi
Photos : Journal de la Corse