En 1553, la France de Henri II, dans le prolongement des ambitions italiennes de François Ier, engage une expédition conjointe avec les Ottomans pour chasser les Génois de Corse. La prise de Bonifacio, puis la reconquête de l’île sous le commandement de Sampiero Corso, capitaine intrépide et patriote intransigeant, symbolisent l’espoir d’un rattachement durable à la France.
Durant quatre années, de 1553 à 1557, la Corse connaît une administration française incertaine mais réelle. Sampiero, nommé gouverneur, incarne cette présence. Il se heurte cependant aux rivalités de cour, aux lenteurs diplomatiques, et aux réticences d'une monarchie française plus préoccupée par ses guerres d’Italie que par l’avenir de l’île. En 1559, le traité du Cateau-Cambrésis met fin aux hostilités entre les couronnes de France et d’Espagne. Pour sceller cette paix, Henri II abandonne ses prétentions sur la Corse et restitue l’île à Gênes.
Ce retournement, brutal pour les patriotes corses, marque une trahison ressentie. Les partisans de Sampiero, dont les enfants de Marco d’Ambiegna — futurs Marchi d’Ambiegna — sont pourchassés, exécutés ou exilés. Une répression féroce s’abat sur ceux qui avaient cru à la parole française. L’attachement à la France, si vif sous l’impulsion de Sampiero, se transforme en une méfiance sourde, un doute qui persistera. Même chez les plus francophiles, subsistera la crainte d’un désengagement, d’une France capable de sacrifier l’île à ses intérêts continentaux.
La mémoire de cette abdication politique, enfouie mais tenace, irrigue l’inconscient corse. Elle explique, plus d’un siècle plus tard, les hésitations de l’île au moment de la Révolution, les réticences à toute allégeance qui ne serait pas assortie de garanties solides. Elle éclaire aussi, en filigrane, les engagements de Paoli puis de Napoléon, tous deux obsédés par la stabilité et la souveraineté, fût-ce par des voies opposées.
Sampiero, trahi plus qu’il ne fut vaincu, devient le symbole d’une fidélité blessée. Son échec n’est pas militaire : il est diplomatique. Il incarne la figure du héros sacrifié sur l’autel des équilibres européens. L’île, quant à elle, en tire une leçon de lucidité amère. Derrière l’héroïsme flamboyant, la leçon du Cateau-Cambrésis est une leçon de Realpolitik.