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Le grand matin bleu disparaît

Le passage à l’heure d’hiver, dimanche 26 octobre, ravive un débat ancien, ....

Le grand matin bleu disparaît



Le passage à l’heure d’hiver, dimanche 26 octobre, ravive un débat ancien, entre habitudes ancrées et réalités contemporaines. Sur l’île, où la lumière et la lenteur façonnent le quotidien, la mesure européenne interroge, entre fatalisme et anecdotes. Plus qu’un simple réglage d’horloge, un reflet du rapport corse au temps.


Pourquoi changer d’heure ?


Les Corses ne découvrent pas le changement d’heure le dernier dimanche d’octobre. Depuis 1981, l’Europe impose deux fois par an ce ballet des aiguilles : en mars, nous gagnons une heure de lumière le soir ; en octobre, nous la rendons. L’origine de cette pratique remonte aux chocs pétroliers des années 1970, quand les gouvernements européens rêvaient d’économies d’énergie.

Mais pourquoi en octobre précisément ?


C’est le moment où les jours raccourcissent nettement. Le dernier dimanche d’octobre, marque le retour à l’heure dite « normale », celle de l’hiver. Un choix bureaucratique qui ne résiste pas à l’épreuve des réalités insulaires. En Corse, la lumière du matin se fait plus présente, mais les soirées raccourcissent brutalement, ce qui bouleverse les habitudes, notamment dans les zones rurales ou touristiques. Octobre arrive avec ses couchers de soleil précoces. Reculer d’une heure signifie qu’après le travail, la nuit noire enveloppe déjà les rues dès 17 heures. Les promenades de fin d’après-midi disparaissent. Les terrasses des cafés se vident une heure plus tôt qu’en réalité.

Désynchronisation chronobiologique


Les impacts du changement d’heure sur la biologie humaine sont bien documentés. Une étude de 2020 publiée dans Sleep Health révèle que le passage à l’heure d’hiver augmente les troubles du sommeil et les symptômes dépressifs chez 30 % de la population. En Corse, où la dépression saisonnière existe, mais reste atténuée par le climat méditerranéen, les médecins constatent une hausse des consultations en novembre. Les plus touchés sont les enfants, les personnes âgées et les travailleurs agricoles.
Le sommeil est perturbé par la modification du rythme circadien, entraînant fatigue, baisse de concentration et variations d’humeur, surtout dans les premiers jours. Pour les agriculteurs, dont les activités suivent le cycle naturel, la traite des chèvres ou la récolte des olives doivent être réajustées. Le changement d’heure perturbe les routines rurales, de la traite au marché, imposant un ajustement progressif pour limiter les effets biologiques et pratiques. Les chiffres parlent : sur les 2 900 exploitations agricoles corses, où la traite du matin concerne près de 30 000 bêtes, les éleveurs avancent ou reculent les horaires par paliers afin de ne pas stresser le bétail.

Pour quelques kilowattheures


Quant à l’économie d’énergie, promesse fondatrice de cette mesure, elle s’avère minime. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) conclut à une économie inférieure à 1 %. La consommation d’électricité augmente ailleurs, notamment pour le chauffage lors des pics matinaux.
En Corse, cette question énergétique est pourtant cruciale. L’île importe 95 % de son électricité du continent via les câbles sous-marins SACOI et SARECO. La consommation énergétique insulaire reste un enjeu stratégique majeur. La Collectivité de Corse a adopté en 2020 une charte énergétique visant l’autonomie progressive : 100 % d’électricité renouvelable d’ici 2050.
Dans ce contexte, maintenir une mesure qui économise à peine 1 % d’énergie paraît contre-productif. Les études modernes — comme celle du Parlement européen en 2019 — montrent que les pays ayant abandonné le changement d’heure n’ont pas vu leur consommation exploser. La Russie l’a supprimé en 2014, la Turquie en 2016, plusieurs pays d’Afrique du Nord également.
Ironie du sort
: pour économiser quelques kilowattheures théoriques, on perturbe le sommeil de millions de personnes, on fragilise les exploitations agricoles, on augmente les consultations médicales et on réduit la qualité de vie. De quoi interroger la pertinence d’une mesure dont l’efficacité n’est plus démontrée. L’heure tourne… et fait parler.

Maria Mariana
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