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Nouvelle-Calédonie : pour mieux sauter à pieds joints vers l’indépendance ?

Une partie des indépendantistes quitte le FLNKS, accepte le projet d’accord de Bougival

Nouvelle-Calédonie : pour mieux sauter à pieds joints vers l’indépendance ?



Une partie des indépendantistes quitte le FLNKS, accepte le projet d’accord de Bougival qui prévoit l’instauration d’un État de Nouvelle-Calédonie inscrit dans la Constitution française, et renonce, au moins pour un temps, à un État canaque. Et si cette stratégie était la bonne pour accéder un jour, pacifiquement, à l’indépendance…


Lors de son congrès annuel qui a eu lieu du 7 au 9 novembre dernier, le PALIKA (Parti de libération kanak) a décidé de se retirer du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste). Le PALIKA a mis en avant deux griefs. En premier lieu, il a reproché à la direction du FLNKS un alignement sur les positions de l’Union Calédonienne et de composantes en étant proches, ayant conduit à « des décisions en matière de gouvernance du Front et d’orientations politiques sans aucune concertation » dont l’admission de plusieurs mouvements au sein du FLNKS et à la nomination de Christian Tein à la présidence du FLNKS « alors qu’au moins deux organisations ont toujours été contre ». En second lieu, il a accusé le FLNKS de radicalisation du fait de sa solidarité politique avec la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain, organisation créée fin 2023 pour lutter contre le projet de dégel du corps électoral a priori favorable au camp loyaliste, car devant autoriser le vote de nombreux nouveaux arrivants ; suspectée d’être l’inspiratrice et même l’instigatrice des émeutes de mai 2024 ; soupçonnée d’être le bras armé de Christian Tein, président du FLNKS, secrétaire général adjoint de l’Union Calédonienne, porte-parole de la Cellule/NDLR). Lors de son congrès annuel qui a eu lieu du 14 au 16 novembre dernier, le parti UPM (Union Progressiste en Mélanésie) qui a lui aussi décidé se retirer du FLNKS, a invoqué les mêmes griefs que le PALIKA. Cependant, les griefs avancés par les deux partis ne sont que la partie émergée d’un désaccord stratégique fondamental et a priori insurmontable. En effet, le PALIKA et l’UPM se sont rangés dans le camp des partisans de l’accord de Bougival qui ouvre sur l’instauration d’un « État de la Nouvelle-Calédonie au sein de l’ensemble national, inscrit dans la Constitution de la République française » pouvant néanmoins un jour permettre aux citoyens calédoniens d’opter pour l’indépendance ; alors que les autres composantes du FLNKS ont rejeté cet accord car restant attachée à la revendication d’un « processus de décolonisation » ayant pour finalité annoncée la reconnaissance de l’indépendance de l’archipel néo-calédonien et l’instauration d’un État souverain : la Kanaky.

« Cet accord nous sépare aujourd’hui du FLNKS »


PALIKA et UPM, une fois que leurs griefs ont été exposés, ont d’ailleurs fait part du désaccord stratégique en accusant au passage le FLNKS d’un jusqu’au-boutisme selon eux mis en lumière par « un soutien inconditionnel » aux manifestants lors des émeutes de l’an passé. Côté PALIKA, il a été déclaré : « Ce qui se fait au sein du FLNKS ne nous correspond plus. On n’a pas renoncé au projet politique d’indépendance révolutionnaire et socialiste du pays, mais on porte l’option politique de l’indépendance en partenariat, avec comme point central, la négociation. Or on s’est rendu compte que le FLNKS nouveau, aujourd’hui, n’est plus dans cette stratégie. Le FLNKS nouveau ne semble pas être sur une stratégie de négociations et de discussions ». Côté UPM, il a été dénoncé « une mouvance indépendantiste dont une partie s’est largement radicalisée » et affirmé : « Les conditions ne sont plus réunies pour porter au travers de l’outil FLNKS, la trajectoire devant mener le pays à sa pleine souveraineté […] L’outrance, la menace semblent être un mode de fonctionnement dans lequel on ne se reconnaît plus, tout comme le fait de ne rien proposer pour le pays de demain […] Le retrait par le FLNKS de sa signature à l’accord de Bougival ont été des motifs de rupture. Cet accord nous sépare aujourd’hui du FLNKS et constitue un argument supplémentaire de poids pour dire que nous n’avons plus rien à y faire ». Désormais les indépendantistes emprunteront au moins deux voies. Leur désaccord stratégique aura d’ailleurs probablement une très prochaine traduction concrète. En effet, le leader du PALIKA a laissé entendre que son parti et l’UPM iront ensemble à la bataille, sous l’étiquette UNI (Union Nationale pour l’Indépendance), lors des prochaines élections locales, en dehors du FLNKS, et appelé à la mobilisation : « On demande à tous nos militants de resserrer les rangs pour ces élections municipales qui constituent le premier niveau des politiques publiques et qui peuvent être un bon tremplin pour les provinciales ».

« Une étape supplémentaire dans le processus d’appropriation des moyens d’émancipation »


PALIKA et UPM se défendent cependant de renoncer à porter le projet d’indépendance. Un dirigeant de l’UPM a affirmé : « Nous disons que l’accord de Bougival, pour ce qui nous concerne, s’inscrit bien dans le prolongement des différents accords […] Pour nous, c’est une étape supplémentaire dans le processus d’appropriation, par les Calédoniens, des moyens d’émancipation. » Un dirigeant du PALIKA a précisé que, pour son parti, l’accord de Bougival — moyennant quelques ajustements portant notamment sur les modalités du droit à l’autodétermination, le transfert des compétences régaliennes ou le statut international du territoire — ouvrait sur une feuille de route vers la souveraineté (et qu’il y veillerait) comprenant trois phases. La première (avec la consultation populaire annoncée dernièrement par la ministre des Outre-mer pour le début de l’année 2026) : celle d’un large consensus populaire autour d’un accord de Bougival étant le socle d’une souveraineté calédonienne en partenariat avec la France (validation des actes fondateurs, des transferts de compétences régaliennes, des modalités du droit à l’autodétermination et donc d’un droit à l’indépendance). La deuxième (mandature 2026-2031 du Congrès de la Nouvelle-Calédonie) : celle de la préfiguration de l’État Kanaky–Nouvelle-Calédonie (élaboration d’une loi fondamentale, définition d’une nationalité calédonienne, structuration des relations extérieures, installation progressive des institutions). La troisième (à partir de 2031) : celle de la finalisation et la reconnaissance internationale de l’État Kanaky–Nouvelle-Calédonie. Le PALIKA estime qu’au terme de ces trois phases, en cohérence avec des engagements pris avec la France, pourrait être ouverte la voie vers la proclamation d’une souveraineté totale selon une démarche maîtrisée.

« Le PALIKA tient la bonne stratégie pour emmener le pays à l’indépendance »


L’évolution de la situation au sein du camp indépendantiste fait à ce jour l’affaire du gouvernement, car elle affaiblit la position du FLNKS qui a déclaré son opposition à l’accord de Bougival. Cela d’autant que lors de son récent déplacement en Nouvelle-Calédonie pour une « consultation des Calédoniens sur le projet d’accord de Bougival », Naïma Moutchou, ministre des Outre-mer, a évoqué l’organisation d’une consultation populaire visant à vérifier l’acceptation locale de l’accord avant qu’il soit soumis aux députés et aux sénateurs. « Nous allons demander leur avis d’abord aux habitants. Cela donnera de la puissance à ce qui est discuté » a déclaré la ministre. L’évolution de la situation au sein du camp indépendantiste sert aussi les non-indépendantistes ouverts à des évolutions, qui doivent faire face à des partisans du statu quo qui rejettent l’accord de Bougival. Ceci a d’ailleurs été confirmé par Nicolas Metzdorf, député affilié, au sein de l’Assemblée nationale, au groupe parlementaire macroniste Ensemble pour la République. Ce parlementaire caldoche, se déclarant favorable au dialogue avec les indépendantistes, a écrit sur les réseaux sociaux : « Qui aurait imaginé voir un jour le PALIKA, membre historique et fondateur du FLNKS, quitter le Front ? […] Fatigués de la radicalisation et du manque de solutions apportés par les nouveaux groupuscules du FLNKS, le parti qui dirige la province Nord depuis 30 ans, aura donc pris ses responsabilités. Cela va redéfinir la scène politique indépendantiste, mais va devoir aussi entraîner une adaptation non indépendantiste […] On ne pourra pas décemment mettre sur un pied d’égalité dans nos relations, ceux qui prônent la destruction et l’exclusion et ceux qui prônent le dialogue et le vivre ensemble. Cette différence devra guider nos choix de partenariats au gouvernement collégial comme au Congrès. Un front démocrate est possible pour ne pas laisser l’idéologie de la CCAT progresser. » Il convient toutefois de noter que l’honorable parlementaire a parfaitement compris l’option stratégique du PALIKA : « Contrairement à ce que pensent les militants radicaux de la CCAT, le PALIKA tient la bonne stratégie pour emmener le pays à l’indépendance. Le discours haineux porté par le FLNKS fait fuir les modérés et mobilise les loyalistes. Dans un pays multiculturel, on ne peut pas l’emporter par la xénophobie […] Avant que nous reprenions notre lutte pour la Nouvelle-Calédonie française, nous pouvons au moins lever un verre à la santé du pays. Parce que même si le combat s’annonce plus difficile désormais, on ne peut que se féliciter que notre île reprenne le chemin du bon sens grâce à ce choix. »

Faisant ainsi mentir le regretté Nino Ferrer


Quitter le FLNKS, accepter le projet d’accord de Bougival qui prévoit l’instauration d’un État de Nouvelle-Calédonie inscrit dans la Constitution française, et renoncer au moins pour un temps, à un État canaque, cette stratégie serait-elle en définitive la bonne ? Le PALIKA ne ferait-il que reculer d’un pas pour mieux pouvoir, un jour, sauter à pieds joints, pacifiquement, vers l’indépendance ? Faisant ainsi mentir le regretté Nino Ferrer qui avait écrit et chanté (Le Sud) : « Un jour ou l’autre, il faudra qu’il y ait la guerre, on le sait bien/On n’aime pas ça, mais on ne sait pas quoi faire, on dit “c’est le destin”/Tant pis pour le Sud, c’était pourtant bien, on aurait pu vivre, plus d’un million d’années, et toujours en été »

Pierre Corsi
crédit photo :Palika /UPM
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