• Le doyen de la presse Européenne

Être ou ne pas être… idiot

Le fantasme de la table rase

Être ou ne pas être… idiot



On a pu lire dans un magazine local que « c’étaient les morts qui nous gouvernaient » et que cela était « idiot ». L’orientation générale du propos consiste à flétrir les traditions, la tradition en elle-même et tout ce qui l’entoure, notamment la transmission qui lui est intrinsèquement liée, et donc la mémoire. Selon cette logique, il serait « idiot » de se référer à toute idée non contemporaine, non inscrite dans une étape supposée du « progrès ». Mais cela n’est-il pas, en soi, une forme d’idiotie ?

Mémoire et enracinement

L’homme peut-il vivre sans mémoire ? Il n’est nul besoin d’être grand clerc, sauf à être totalement irréfléchi, pour répondre : non. L’homme vit dans un milieu dans lequel il s’enracine et se construit, tel l’arbre qui a besoin, pour croître et s’épanouir, de puiser sa force dans la terre nourricière. Sans racines, l’arbre meurt. Sans racines, l’homme meurt. Il meurt car il ne peut devenir vraiment homme.
Les racines humaines sont la mémoire des pas de ses prédécesseurs, des lieux qu’ils ont foulés, la mémoire de leurs peurs et de leurs joies, transmise par les œuvres d’art, les lieux construits ou façonnés, qui expriment une manière d’être au monde et un rapport aux forces de la terre que les hommes du passé ont entretenues. Il y a là une œuvre de transmission que certains exècrent, obsédés par l’égalité et la volonté de couper toute tête dépassant du rang.

Le fantasme de la table rase

On ne peut faire table rase du passé, comme le suggèrent certains en se référant implicitement à ce qu’ils considèrent comme la source lumineuse : la « Révolution » de 1789. Le résultat est le désastre actuel. En cette période, on a beaucoup détruit pour effacer la mémoire des temps passés, celle de l’Ancien Régime et de ce qu’on estimait être sa marque, l’obscurantisme. Il fallait détruire les symboles de « l’aliénation » pour trouver « la lumière ». Ce fut le début de la course à l’égalité, préférée à la liberté et toujours privilégiée aujourd’hui.
Personne ne devait sortir du rang. Tout ce qui dépasse devait être coupé, et c’était d’autant plus facile s’il n’existait plus de racines. Solution radicale d’une simplicité enfantine. Pourtant, les hommes, comme les arbres, aspirent à puiser leur force dans le sol de leurs traditions.

Le retour du réel

Aujourd’hui, partout dans le monde, des hommes revendiquent la nécessité d’un retour vers ce qui constitue l’âme des nations, vers ce qu’il convient de protéger et de vénérer. Ils réclament un retour au réel, n’en déplaise aux artisans des mondes virtuels et autres métavers, qui ne sont que moyens hallucinogènes de couper l’homme de la vraie vie et du passé fécond.
Ces hommes entendent renouer avec la grandeur, retrouver l’homme et son mystère dans ses rapports avec les lieux et les terres qui font sens et lien, et chasser ce qui l’écrase. D’où, sans doute, la haine suscitée par la tradition : elle est le ferment de l’émancipation et de la liberté de chaque homme. Pour les tenants de l’égalité comme dogme indépassable, cela est inconcevable.

Le mépris du peuple

Pour cette élite autoproclamée, le peuple sent mauvais, ne sait pas ce qui est bon pour lui et doit être tenu dans la marge. Ceux qui le défendent ou portent des mouvements visant à promouvoir un retour au réel sont taxés de populistes. Et le populisme devient un mal absolu contre lequel il faut lutter, au nom des seules « valeurs » jugées essentielles.
On décrédibilise ainsi toute analyse ou discussion qui ne viserait pas le « bien », c’est-à-dire la bien-pensance, excluant toute revendication issue du peuple car forcément populiste. C’est l’arme fatale de ceux qui se croient investis du pouvoir de sauver l’humanité, puisqu’ils sont le « Bien ».

Le démenti du réel

Mais la réalité finit toujours par rattraper ceux qui prétendent la nier. Même vaincus, ils continuent de délivrer leurs leçons de morale à la terre entière. Car ils s’imaginent incarner « la raison » et le « progrès », seules sources du salut. Sans progrès, disent-ils, on est immobile. Et la tradition, assimilée à l’immobilisme, doit donc être rejetée.
Hélas, on en revient toujours aux fondamentaux mortifères de 1789 : pour servir le progrès, il ne faudrait jamais se référer au passé. Il faudrait au contraire tourner les yeux, aveuglément et nécessairement, vers l’astre d’un futur repoussé sans cesse, et pourtant porteur de notre perte.

Salluste


Post-scriptum

Une logique de supermarché semble s’emparer de nos élus, qui décorent désormais les ronds-points pour Noël dès la mi-novembre. Ne convenait-il pas d’attendre l’Avent pour s’inscrire dans la tradition chrétienne ?
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