• Le doyen de la presse Européenne

Xavier Emmanuelli : un homme pour qui la dignité a été un principe de vie

De la fraternité de bord à l’amour de la médecine d’urgence

Xavier Emmanuelli : un homme pour qui la dignité a été un principe de vie



J’avais eu l’occasion de le rencontrer et de parler avec lui. J’avais été frappé par la bonté qui émanait de cet homme au physique pourtant assez modeste. Il portait en lui un sens de la justice au sens plein du terme, une rectitude tranquille qui imposait immédiatement le respect. Il incarnait ce que la Corse offre de meilleur : non pas la violence des criminels qui salit l’image de l’île, mais ce désir profond de solidarité, de fraternité, de fidélité aux plus vulnérables.
Il a été l’un de ces hommes qui faisaient de la dignité humaine un principe irrévocable. Médecin réanimateur, il avait cofondé Médecins sans frontières en 1971 puis le Samu social de Paris en 1993. Il a consacré sa vie aux plus fragiles, aux exclus, aux oubliés. Cette trajectoire exceptionnelle se nourrit d’une dette intime qu’il revendique envers ses origines corses, auxquelles il attribue une part essentielle de son rapport au monde.

Origines corses et socialisation affective


Né dans une famille venue de Corse, il disait aimer cette culture latine. Ce modèle familial l’avait façonné : le parler-vrai, la loyauté, la chaleur. Il avait reçu de son père, instituteur devenu médecin rural et de sa mère institutrice la passion du soin et de l’amour. Cette double filiation — soin professionnel et intensité affective — a irrigué toute son action.

De la fraternité de bord à l’amour de la médecine d’urgence


Jeune médecin, il avait embarqué comme médecin de la marine marchande et vécu la fraternité rude d’un équipage en grande partie alcoolique. Il a alors compris que l’urgence impose la responsabilité immédiate ; expliquant que ces expériences l’avaient rendu apte à travailler dans des équipes où l’efficacité prime. MSF, créé après le génocide du Biafra, procédait de cette logique : une communauté de terrain soudée par l’action collective.

Médecins sans frontières et le Samusocial


Cofondateur de Médecins sans frontières en 1971, « une histoire d’amour » a-t-il précisé, il y a exercé pendant des années, découvrant l’importance de la logistique et de la hiérarchie d’efficacité autour d’un chef. Le Samu social, fondé en 1993, procèdait de la même vision : aller vers ceux qui ne demandent plus rien, respecter leur volonté et leur dignité, prodiguer des soins par des professionnels. Dominique Versini, cofondatrice et première directrice du Samu social, a rappelé que leurs origines corses, la force des mères et l’amour débordant les ont rapprochés et inspirés le projet.

Prison, Nanterre : confronter la grande exclusion


Il a exercé en maison d’arrêt, à Fleury-Mérogis, soignant des détenus toxicomanes. À Nanterre, il a succédé à Patrick Henry comme médecin-chef du centre d’accueil des sans-abri rencontrant la grande exclusion dans son expression la plus brutale : corps abîmés, temporalité perdue, identité effacée. Il a dit à plusieurs reprises que ces rencontres avaient confirmé son refus de laisser la bureaucratie prendre le pas sur l’attention humaine.

L’expérience du pouvoir : un médecin chez les politiques


Appelé par Jacques Chirac puis nommé secrétaire d’État à l’action humanitaire dans le gouvernement d’Alain Juppé, il avait accepté après hésitation voulant utiliser le pouvoir comme outil pour servir, non comme une carrière. Il a obtenu des avancées, comme la ratification d’une convention contre les mines antipersonnel, et il a proposé une loi contre l’exclusion dont la discussion a été suspendue par la dissolution de 1997, une grande déception qu’il a vécue douloureusement.

Réconcilier, réparer : l’éthique d’un homme de foi et d’humanité


Insister sur ce que Xavier Emmanuelli et des personnes semblables ont apporté est essentiel. Leur action ne se réduit pas à une compétence technique : elle tient à une manière d’aimer et de mettre l’amour en acte. En reprenant l’expression du cardinal Bustillo, il aimait réconcilier, reconstruire, réparer plutôt que détruire et lancer des anathèmes, servir plutôt que se servir. Cette inclination chrétienne au service et à la miséricorde a modelé des institutions, des pratiques et des vies sauvées.

Pourquoi il importe d’en souligner la singularité


Il importe d’insister sur ces figures rares parce que leur héritage est double : matériel — centres, associations, lois — et moral — une manière de regarder l’autre qui transforme les réponses collectives à la vulnérabilité. Montrer que ses racines corses ont nourri son sens du lien et de la fidélité aide à comprendre comment des dispositions culturelles personnelles peuvent devenir des forces historiques. Xavier Emmanuelli a démontré que la bonté, organisée et tenue dans la durée, peut devenir une puissance sociale capable de réparer davantage qu’un discours de condamnation.



GXC
Photo : D.R
Partager :