" U sangui ùn hè micca acqua "
La parenté invisible en Corse du Sud
U SANGUI ÙN HÈ MICCA ACQUA
La parenté invisible en Corse du Sud
Dans l’extrême-sud de la Corse, l’expression « U sangui ùn hè micca acqua » n’est pas un proverbe : c’est une manière de lire le monde. Elle affirme que la parenté véritable se reconnaît toujours, même quand les branches d’une famille se sont perdues dans le temps, les départs, les silences ou les continents. La mémoire du sang survit lorsque celle des hommes s’efface.
Dans les villages de Sarraghja, Roccapina, Munaccia, Pianottoli, Figari, Bunifaziu, Portivechju, Zonza, Sartè, Campumoru et les hameaux de Pricoghju, on savait déceler d’un regard l’appartenance à une lignée. La parenté ne se démontrait pas : elle se voyait. Le visage constituait le premier signe, et surtout le nez, tenu pour la véritable signature d’une maison. Le regard aussi — une manière de soutenir la lumière ou de la fuir — trahissait l’origine familiale. La voix, avec son grain, son souffle, sa profondeur, réveillait parfois l’ombre d’un ancêtre oublié. La démarche enfin, cette géométrie silencieuse des jambes et des épaules révélait le rameau d’une famille qui avait quitté le village depuis plusieurs générations.
Il arrivait qu’un inconnu franchisse la porte d’un restaurant, et qu’un homme, sans ne l’avoir jamais vu, reconnaisse aussitôt un parent. Ce n’était ni intuition ni hasard, mais la certitude immédiate fournie par les gestes, l’allure, le port du visage : « Quiddu hè di i nosci. »
Un autre signe, plus intime encore, survivait au temps : l’odeur naturelle du corps. Non le parfum, mais l’effluve propre à la peau, déterminée par la biologie familiale, si stable qu’elle traverse les générations. Il suffisait qu’un descendant réapparaisse, même issu d’une lignée partie au Maroc ou ailleurs, pour que cette odeur réveille le souvenir d’une maison ancienne.
La reconnaissance la plus sûre se produisait autour de la tola. La table révélait tout : la manière d’attendre le plat, de regarder le pain, de tendre la main vers la nourriture. Chaque maison possédait son geste propre pour rompre le pain : vif, retenu, cérémonieux ou spontané. Ce rite silencieux suffisait souvent à établir une parenté disparue des mémoires, mais demeurée intacte dans les corps.
Ainsi, un nom, un visage, une voix, une démarche, un geste ou une odeur composaient une vérité plus solide que les archives. Le temps, les migrations, les mariages lointains n’altéraient pas cette continuité : un descendant pouvait porter le même mouvement, la même expression ou la même ardeur à manger qu’un arrière-arrière-grand-père dont personne ne prononçait plus le nom.
« U sangui ùn hè micca acqua » résume cette persistance. Le sang ne s’efface pas. Il conserve la mémoire des gestes, des attitudes et des instincts, et maintien d’une génération à l’autre la cohérence profonde d’une lignée, même dispersée, même oubliée.
La parenté invisible en Corse du Sud
Dans l’extrême-sud de la Corse, l’expression « U sangui ùn hè micca acqua » n’est pas un proverbe : c’est une manière de lire le monde. Elle affirme que la parenté véritable se reconnaît toujours, même quand les branches d’une famille se sont perdues dans le temps, les départs, les silences ou les continents. La mémoire du sang survit lorsque celle des hommes s’efface.
Dans les villages de Sarraghja, Roccapina, Munaccia, Pianottoli, Figari, Bunifaziu, Portivechju, Zonza, Sartè, Campumoru et les hameaux de Pricoghju, on savait déceler d’un regard l’appartenance à une lignée. La parenté ne se démontrait pas : elle se voyait. Le visage constituait le premier signe, et surtout le nez, tenu pour la véritable signature d’une maison. Le regard aussi — une manière de soutenir la lumière ou de la fuir — trahissait l’origine familiale. La voix, avec son grain, son souffle, sa profondeur, réveillait parfois l’ombre d’un ancêtre oublié. La démarche enfin, cette géométrie silencieuse des jambes et des épaules révélait le rameau d’une famille qui avait quitté le village depuis plusieurs générations.
Il arrivait qu’un inconnu franchisse la porte d’un restaurant, et qu’un homme, sans ne l’avoir jamais vu, reconnaisse aussitôt un parent. Ce n’était ni intuition ni hasard, mais la certitude immédiate fournie par les gestes, l’allure, le port du visage : « Quiddu hè di i nosci. »
Un autre signe, plus intime encore, survivait au temps : l’odeur naturelle du corps. Non le parfum, mais l’effluve propre à la peau, déterminée par la biologie familiale, si stable qu’elle traverse les générations. Il suffisait qu’un descendant réapparaisse, même issu d’une lignée partie au Maroc ou ailleurs, pour que cette odeur réveille le souvenir d’une maison ancienne.
La reconnaissance la plus sûre se produisait autour de la tola. La table révélait tout : la manière d’attendre le plat, de regarder le pain, de tendre la main vers la nourriture. Chaque maison possédait son geste propre pour rompre le pain : vif, retenu, cérémonieux ou spontané. Ce rite silencieux suffisait souvent à établir une parenté disparue des mémoires, mais demeurée intacte dans les corps.
Ainsi, un nom, un visage, une voix, une démarche, un geste ou une odeur composaient une vérité plus solide que les archives. Le temps, les migrations, les mariages lointains n’altéraient pas cette continuité : un descendant pouvait porter le même mouvement, la même expression ou la même ardeur à manger qu’un arrière-arrière-grand-père dont personne ne prononçait plus le nom.
« U sangui ùn hè micca acqua » résume cette persistance. Le sang ne s’efface pas. Il conserve la mémoire des gestes, des attitudes et des instincts, et maintien d’une génération à l’autre la cohérence profonde d’une lignée, même dispersée, même oubliée.