• Le doyen de la presse Européenne

Mostra Fotografica in Una Volta / Chambre 207, Jean-Michel André

Chambre 207 du photographe Jean-Michel André. Un parcours en une mémoire perdue.

Mostra Fotografica in Una Volta
Chambre 207, Jean-Michel André



Chambre 207 du photographe Jean-Michel André. Un parcours en une mémoire perdue. Celle d’un petit garçon de 7 ans dont on vient d’assassiner le père, une nuit d’août 1983. Pourquoi ce crime dans un hôtel d’Avignon ? Pas véritablement de réponse. Mobiles flous. Tueurs de minable envergure. L’enfant cadenasse sa blessure dans l’oubli. Trente ans plus tard, il entreprend une quête de vérité.


Une vérité pour se reconstruire

Une vérité non pour désigner des coupables, mais pour rétablir les faits que son cerveau a effacés. Une vérité pour se reconstruire. C’est sur le chemin d’une délivrance que nous conduit l’artiste avec une pudeur extrême. Pas de scènes affreuses. Pas d’images sanglantes. Pas d’atrocités racoleuses. Les étapes de ce voyage, qui auraient dû amener la famille à Corte chez un ami du père du petit, le photographe les reconstitue de façon à la fois métaphorique et réaliste. L’exposition s’ouvre sur une montagne cortenaise aussi puissante que frêle. D’ailleurs toute la mostra est contrastes et nuances.
En même temps que le père de Jean-Michel, sont éliminées six autres personnes. Pour quelles raisons ? Les enquêteurs émettent trois hypothèses : l’argent du gérant de l’hôtel ; des manigances bizarres et peut-être étrangères, le père de l’artiste étant consul général de France à Sarrebruck en Allemagne ; un hold-up qui a mal tourné. Seulement, rien ne tient… Le photographe se plonge dans les archives, les dépêches de l’AFP de l’époque, les articles écrits alors par les journalistes. Deux des inculpés disparaissent de morts… qui n’ont rien de naturel.

Des images énigmatiques

Les photographies récoltées par Jean-Michel André à Avignon, Arles, en Camargue, en Allemagne fédérale et pour finir au Sénégal sont porteuses de messages énigmatiques où parfois se joue le flou, ou parfois se durcit le trait. Il y a ce superbe envol de héros sur les marais camarguais. Il y a ce cliché des clés de la valise du père, qui interpelle par sa froideur. Il y a ce rivage de Barcaggio d’une grande pureté avec sa marine de rêves lointains. Il y a ce portrait de jeune femme saisi à la gare de Corte, qui évoque les années 80.

Des évènements datés et d’autres intemporels

Chambre 207 est une exposition qui mêle des éléments datés et d’autres qui sont intemporels. On est donc dans un entre-deux qui vogue du mystère au réel. Ainsi, les clichés anciens du père et du petit garçon, qui sont témoignages et suggestions d’une histoire évanouie. Dans la plus petite des salles du premier étage d’Una Volta, on découvre la douceur des paysages de la petite enfance de l’artiste au Sénégal. Présence d’hier et d’aujourd’hui. Le bord de mer et son marcheur qui traverse le temps. Le quartier du Plateau, aussi anonyme qu’un autre bâti n’importe où. L’ailleurs rimant avec le nulle part, sans aucun aspect dérangeant. En point final, si on le souhaite, si on le veut, cette image d’un rappeur-arpenteur portant autour du cou un mètre de tailleur, scandant sans doute des secondes et minutes passées, à moins que ce ne soient des fragments temporels qui vont ébranler l’avenir.
Exposition très personnelle que cette Chambre 207, où dormait le garçonnet dont le père était liquidé dans une chambre mitoyenne. Exposition dont la version livre éponyme a reçu, en 2024, le prestigieux prix Nadar.

À ne pas manquer jusqu’au 20 décembre.


Michèle Acquaviva-Pache

• Légendes des photos : Vertige, Cap Corse, 2022. La montre de mon père (1983), 2023. Montagne de Corte, 2022. Les photographies sont de Jean-Michel André.
• Portrait de Jean-Michel André de Valérie Rouyer.




                    ENTRETIEN AVEC JEAN-MICHEL ANDRÉ


L’exposition Chambre 207 est-elle un aspect particulier de votre travail ?

Elle s’inscrit dans la continuité. Mais c’est la première fois où je me dénude en restant pudique, car dans cette nuit d’août 1983, où mon père a été assassiné, six autres familles ont perdu des proches. C’est aussi la première fois où j’utilise des archives. Mon travail est documentaire et plastique. Il prend également une dimension politique et poétique. La question liée à la mémoire et à sa reconstruction est mon fil conducteur. J’ai commencé à réaliser Chambre 207 en 2013 et je l’ai terminée en 2024. J’ai procédé en deux étapes : 2013-2015 ; 2020-2024.

Votre enquête sur le drame du 5 août vous a-t-elle été dure à mener ?

Elle a exigé de moi beaucoup d’énergie. Paradoxalement, elle m’a fait beaucoup de bien pour avoir réussi à transformer, à sublimer l’horreur. En passant par toutes ces émotions, je me suis senti apaisé.

Des étapes ont-elles été plus importantes que d’autres à franchir ?

Plus importantes, non. Mais plus dures que d’autres, oui. Je pense en particulier aux moments à dépouiller les Archives départementales du Vaucluse. En outre, j’ai dû lire pas mal de livres sur le stress post-traumatique pour comprendre ce qui m’était arrivé. Néanmoins les prises de vue représentent les deux tiers de mon travail. Documents, lectures, photographies, il me fallait passer par tout cela pour boucler mon projet.

L’aboutissement de votre travail était-ce retrouver votre mémoire ?

Non… Au Sénégal, je pensais que des souvenirs pouvaient rejaillir. Dans ce pays s’était déroulée ma prime enfance dans la douceur. Or je n’ai ressenti que des sensations de choses vues, de choses vécues. Mais ma quête a transformé la monstruosité de la nuit du 5 août en libération. Comme je ne suis pas seul à avoir subi un choc traumatique, je voulais que d’autres personnes qui avaient subi la même souffrance que moi s’y retrouvent. En parcourant mon exposition à Lille, j’ai constaté que des gens pleuraient, et cela m’a énormément ému.

Pourquoi démarrer un tel projet ?

Le déclencheur de ma démarche, c’est le douzième anniversaire de ma fille. Je ne voulais pas qu’elle aussi vive ce que j’avais vécu à cause de la tragédie. En regardant Chambre 207, elle m’a dit : « Papa, tu es comme un magicien qui transforme l’horreur… » Cela m’a touché. J’ai pensé que cette réflexion était très belle.

En général, qu’est-ce qui vous pousse à entreprendre un travail photographique ?

Je pars d’une photo et je compose autour d’elle. Les mots viennent après. Pour Chambre 207, au départ du projet : la photographie avec mon père où nous fêtions tous deux notre anniversaire.

Quels ont été les thèmes et les sujets de vos travaux précédents ?

Avec À bout de souffle, je me suis penché sur le bassin minier du Pas-de-Calais où se posent également des questions de mémoire et de réparation, où il est intéressant de constater l’évolution d’un territoire où la nature ressurgit. Avec Borders, je n’ai pas traité des frontières frontalement, mais en photographiant les paysages parcourus par les migrants : Calais, Lampedusa, l’Espagne, la Tunisie… Pour ce travail, j’ai fait appel à l’écrivain Wilfried N’Santé.

Poésie et quête de vérité comme dans Chambre 207 vont-elles toujours de pair dans vos travaux ?
Il s’agit plutôt de questionnements pour ouvrir des portes à la réflexion. Mes séries en Espagne, en Martinique, au Maroc, en Tunisie sont des échos de lieux où j’ai habité.

Pourquoi être devenu photographe ?

Pour porter un regard sur le monde. Pour questionner. Pour apporter de la réflexion sur des sujets complexes pour lesquels j’avais du mal à trouver des mots justes en raison de la dyslexie qui m’avait frappé après l’assassinat de mon père. Il y a donc chez moi une dimension sensible liée à la photographie et une façon de rendre au monde une partie de sa beauté qui lui a été volée.

En quoi la photographie vous est-elle indispensable ?

C’est mon point d’appui. C’est ma vie. Je ne peux m’en passer.

Le voyage à l’étranger, qu’est-ce que cela vous apporte ?

Être en contact avec les habitants. Mes parents étaient très ouverts aux autres et aimaient découvrir leurs cultures. En fait, je ne voyage pas, j’habite les pays, même si mon enracinement est parfois temporaire.

La raison qui vous attire vers l’ailleurs ?

Le partage. L’émerveillement. L’échange.

Votre prochain projet ?

Je reprends À bout de souffle, sur lequel je n’ai travaillé que six mois. C’est insuffisant, car d’ordinaire il me faut trois ou quatre ans pour boucler un projet.

M. A.-P.
Partager :