L'invité: son éminence le cardinal Bustillo "je suis un pasteur heureux en Corse"
<< Nous devons répondre à la soif de Dieu et de foi de notre monde >>
Son éminence le cardinal Bustillo
<< Nous devons répondre à la soif de Dieu et de foi de notre monde >>
Nommé évêque du diocèse d’Ajaccio pour la Corse en 2021 et créé cardinal deux ans plus tard, son éminence François Bustillo ne laisse personne indifférent. Homme de terrain et de dialogue, il va, depuis sa nomination, à la rencontre de toute la population de l’île. Et c’est à l’occasion des fêtes de fin d’année qu’il évoque les grands thèmes inhérents à la société corse tout en insistant sur la visite papale du 15 décembre 2024 et, bien sûr, Noël, l’une des fêtes les plus importantes de la liturgie chrétienne.
– Il y a un an, le pape François venait en Corse. Que retenir de cette visite et qu’a-t-elle apporté à la Corse ?
On garde tous la mémoire d’un événement unique et historique. Le pape était là. Il l’a dit lui-même et nous l’avons souligné : nous avons vécu une journée exceptionnelle où il y avait un côté familial, un côté festif, un côté simple et heureux. On a eu la capacité de fédérer les Corses autour d’un homme lumineux. Et je crois que nous devons garder, non pas la nostalgie, mais la mémoire de ce qu’il a dit, ce qu’il a fait et la trace qu’il a laissée.
– Le diocèse a organisé un hommage pour ce premier anniversaire. Quel est le sens de cette célébration ?
Le sens premier, c’est de ne pas oublier. Dans la tradition biblique, le plus grand péché est lié à l’amnésie. On oublie qui on est, d’où on vient et ce que Dieu a fait pour nous. Nous avons donc souhaité qu’on n’oublie pas ce que nous avons vécu. Et pour cela, il y a eu une célébration, l’inauguration de la place Papa Francescu ici à Ajaccio, un concert… Ce moment nous a aidés à grandir, à vivre en communion et dans la joie, ne l’oublions pas.
– Vous avez participé au conclave qui a vu l’élection du pape Léon XIV. Quel regard portez-vous sur ce nouveau pontificat ? S’inscrit-il dans la continuité de celui du pape François ?
Il est tout à fait dans la continuité d’un point de vue chronologique. Je vous rappelle que nous avons été créés cardinaux le même jour, qu’il est venu aussi en même temps que le pape François. Il était en pèlerinage en Turquie, au Liban… C’est un homme de dialogue et de rencontre. Et c’est aussi un homme qui garde l’identité de l’Église. Il essaie de la faire vivre.
– On évoque de nouveau la Corse. Elle est toujours frappée par la violence. Comment convaincre que la seule voie est celle de la paix ?
Nous sommes conscients des tensions, des crispations et des violences. Mais nous ne pouvons pas nous habituer à la violence. Le pape François l’a dit clairement et l’Église de Corse le dit à travers toutes les célébrations ordinaires et les prises de parole extraordinaires. On ne peut pas cacher toutes les violences et tous les désordres qu’il y a dans la nouvelle société. Nous devons les dénoncer et prêcher un idéal où les Corses sont heureux, dans la joie, et ont chassé la peur. On doit chasser, pour cela, la violence, le calcul et l’absence de liberté.
– On dit que c’est du ressort des pouvoirs publics, mais aussi des élus politiques. Peut-on également y ajouter l’Église de Corse à travers le message de l’Évangile, qui est un message de paix ?
Les pouvoirs publics ont des devoirs pour maintenir l’ordre, la loyauté, la sérénité et, pour cela, faire appliquer la loi. L’Église a un message qui est un idéal. Il passe par la capacité de rappeler aux pouvoirs publics, mais aussi à la population, que nous avons un message, un patrimoine, des principes et des valeurs qui passent par la paix, le respect des autres, la non-violence et l’amour. Jésus lui-même parle de l’amour de l’ennemi. Dans la tradition catholique, quand Jésus nous dit « Aimez-vous les uns les autres », il nous dit « pas de vengeances », parce que la vengeance perpétue la violence. Donc, une vie pacifique, respectueuse ; et je crois qu’à l’occasion des fêtes de fin d’année, nous devons vivre et incarner cet idéal. Je pense qu’il y a, dans notre société, un déficit d’incarnation de l’idéal de l’amour. L’amour reste toujours d’un côté romantique et sentimental, mais une société mature, unie, heureuse et pacifique a besoin d’incarner l’amour.
– Vous avez été nommé évêque en 2021 et créé cardinal en 2023. Que retenez-vous de ces quatre années ?
Je suis un pasteur heureux en Corse. Il n’y a qu’à voir tous les contacts que j’ai avec tous les milieux : politique, économique, médiatique, culturel, associatif, sportif. Et je crois que l’homme d’Église doit justement animer. Mon premier devoir est le lien avec les prêtres, diacres et catéchistes. Tous ceux qui sont engagés dans la liturgie, le social, le culturel. Mais il ne faut pas, pour autant, négliger les liens et les contacts avec la société civile. L’Église doit créer des ponts et des liens. Elle doit s’inspirer et apprendre aussi des autres. Et l’on peut apporter nous aussi notre patrimoine pour que la société soit fédérée, unifiée et que nous puissions viser tous le bien de la société corse.
– Vous êtes tout de même une personnalité qui a une cote de popularité énorme dans l’île. Les Corses s’inquiètent de l’avenir si, un jour, vous étiez appelé à aller ailleurs.
Comme dit l’adage : « À chaque jour suffit sa peine. » Pour l’heure, il n’est pas question, pour moi, de partir. Je vais donc continuer à donner et vivre ici ; c’est ma première mission et ma première responsabilité.
– Sollicitez-vous les prêtres et diacres du diocèse afin qu’ils s’inscrivent dans la même démarche ?
Je m’inspire déjà de ce qu’ils font. Le rôle de l’évêque est de visiter les paroisses et les territoires, et finalement, ce que les prêtres font au sein de leur territoire. C’est-à-dire sortir de l’église, aller à la rencontre des gens, dans les villages, échanger avec eux, visiter les personnes dans le besoin, les malades ; c’est une démarche typiquement évangélique. L’Église doit viser la rencontre simple et efficace avec les gens, les fidèles, la population qui nous est confiée.
« Il est important que nous puissions répondre à la soif de Dieu et à la soif de foi de notre monde. »
– Une dynamique se crée en Corse avec de nombreux enfants, ados et adultes baptisés. Le signe d’un renouveau de la foi ?
Il y a une dynamique extraordinaire ! En Corse, près de 300 jeunes se posent la question du baptême, de la communion et de la confirmation. On revient au sacrement de l’initiation chrétienne. Et s’ils frappent à la porte de l’Église, pour nous, ce n’est pas simplement une gloire, mais surtout une responsabilité. Ils méritent d’être bien préparés et accompagnés. Et s’ils font partie de la famille, il est important qu’on puisse leur donner une place pour qu’ils puissent apporter, eux aussi, leur fraîcheur, leur manière de voir l’Église, leur lien avec le monde. Quand je vois tous ces jeunes, je suis heureux et me dis : « Voilà, la famille s’agrandit. » Mais il y a aussi une manière nouvelle de voir les choses. Il est important, pour nous, de capter la nouveauté qu’ils nous apportent. Et que nous puissions tous répondre à la soif de Dieu et à la soif de foi de notre monde.
– On constate, au niveau mondial, national et sans doute un petit peu régional aussi, des églises vides. Et c’est souvent un sujet de débat. L’Église doit-elle aller vers les hommes ou est-ce à l’homme d’aller vers l’Église ?
Le mouvement doit être, me semble-t-il, réciproque, mais la première responsabilité relève de l’Église. Nous ne pouvons pas, moi cardinal, les prêtres et les diacres, nous limiter à constater que les jeunes ne viennent pas. Parce que l’on rentrerait dans une logique de lamentation et de frustration. Nous devons, au contraire, être missionnaires. Jésus a dit : « Allez dans le monde entier ! » C’est donc un mouvement où l’Église doit aller vers les gens. On peut bouger et faire bouger, mais c’est à l’Église de créer ce mouvement missionnaire.
– L’Église a-t-elle, justement, besoin d’une réforme aujourd’hui pour s’adapter à la société ?
L’Église est toujours en état de formation, de réforme et de transformation. Mais il y a des questions de fond à aborder. Le pape Léon est là depuis quelques mois ; il est important qu’il puisse voir tous les dossiers et nous donner aussi des orientations. Pour autant, je pense que les plus grandes réformes à vivre ne sont pas liées à la logistique ou à l’organisation, mais à notre mission et à notre vocation. L’Église doit être réparée de l’intérieur. Nous devons retrouver le sens de la spiritualité, de la mission, du lien avec les autres. Et c’est à partir de là, une fois que nous aurons clarifié notre manière d’être et de comprendre la foi, que nous serons efficaces à l’extérieur pour aller de l’avant.
« Au nom de la théologie de l’incarnation, le dialogue est obligatoire pour les chrétiens. »
– On considère qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Quel regard portez-vous sur les autres courants spirituels ?
Il y a les trois religions monothéistes : judaïsme, islam et nous autres chrétiens. Nous avons un seul Dieu et nous avons des liens. Je crois qu’il est important, même avec les religions polythéistes, animistes ou autres, que tous les croyants n’oublient pas que nous avons quelque chose en commun. Nous sommes des croyants ! Et quand on est croyant, même avec des traditions orientales ou autres, nous pouvons nous rencontrer, dialoguer, mieux nous connaître et aller de l’avant. Je crois donc à la dimension du dialogue, dialogos en grec : c’est là que la parole circule entre deux ou plusieurs réalités. Au nom de la théologie de l’incarnation, le dialogue est obligatoire pour les chrétiens. Et dialoguer ne signifie pas se soumettre aux autres ou diluer la force de notre théologie. C’est avoir une identité claire et solide et la mettre en lien avec d’autres identités.
– Nous célébrons, comme chaque année à pareille époque, les fêtes de fin d’année. Noël est souvent une fête familiale, devenue de plus en plus une fête commerciale. Comment y accrocher encore le message christique ?
Quand on regarde nos villes, il y a effectivement beaucoup de lumières et d’animations. Je pense qu’il n’y a pas séparation entre l’aspect commercial et spirituel. Mais il appartient à l’Église de rappeler l’âme de Noël. Noël, c’est le repas de famille agrémenté d’huîtres, foie gras, chocolats, cadeaux et lumières. Mais n’oublions pas le pourquoi de tous ces événements. À travers ces festivités, l’Église rappelle à la société la raison fondamentale. Pourquoi ces repas en famille, ces cadeaux, ces lumières dans nos villes ? Parce que Jésus est né. Ce n’est ni la fête d’hiver ni la fête d’une saison. Nous ne sommes pas dans une démarche mythique ou simplement ludique. Il y a, avant tout, une âme dans la fête de Noël. Les familles participent à la messe et la crèche nous rappelle la dimension symbolique de la famille, de l’unité et de la lumière dont on a besoin. Quand on regarde la géopolitique internationale et même la politique nationale, on est inquiets et dans l’incertitude. La fête de Noël nous rappelle qu’il y a un idéal magnifique. C’est l’idéal de l’unité, de l’amour, de l’accueil, et la crèche est un concentré de principes qui ont fait vivre notre civilisation depuis 2 000 ans.
« La société a besoin de personnes pacifiées, réconciliées, aimables et aimantes. »
– Quel regard portez-vous sur les croyances particulières à la Corse, qui sont à mi-chemin entre paganisme et religion et qui se transmettent la nuit de Noël ?
La transmission de la nuit de Noël, c’est surtout la tradition et la transmission de la naissance de Jésus. Quand on regarde l’Amérique latine, la Corse ou encore d’autres traditions nordiques, on y trouve souvent des traditions païennes ou semi-païennes. Il est important aussi de se recentrer sur l’essentiel et de transmettre vraiment cet essentiel. Il est beau de voir que l’Église va toujours, avec sa sagesse, à l’essentiel. Il peut y avoir des traditions périphériques ou autres, mais l’essentiel pour Noël, c’est la naissance de Jésus. Dieu est là, au milieu de nous, et c’est cela qui compte avant tout.
– Pour finir, quel message adressez-vous aux Corses à l’occasion des fêtes de fin d’année ?
À travers la phrase « Pace è salute », prononcée lors de la nouvelle année, on dit l’essentiel. Le message de Noël, c’est la paix. « Gloire à Dieu, paix aux hommes », c’est l’annonce de l’ange. On a besoin de paix. Et nos familles, notre société ont besoin de retrouver la paix. Et puis, à travers « A salute », on souhaite que nous soyons bien dans notre corps, notre esprit et que nous ayons la santé. Mais également que nous puissions transmettre ce bonheur autour de nous. Parce que la société a besoin de personnes pacifiées, réconciliées, aimables et aimantes.
Interview réalisée par Philippe Peraut
crédits photo : Diocèse d'Ajaccio et Paule Santoni