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Album « Anima terrania »
Une voix et douze violoncelles

« Anima terrania », ou la surprise d’écouter une voix, celle de Letizia Giuntini, et la musique des violoncelles des Rencontres de Moïta.

Album « Anima terrania »
Une voix et douze violoncelles


« Anima terrania », ou la surprise d’écouter une voix, celle de Letizia Giuntini, et la musique des violoncelles des Rencontres de Moïta. Un alliage musical et vocal inattendu, et pourtant admirablement assorti. Les qualités vocales et instrumentales de l’album se déploient tantôt avec gravité, tantôt avec légèreté. Paroles et notes se répondent, se croisent ou se fondent les unes dans les autres. La sonorité chaude des mots en corse dialogue avec celle, tout aussi chaleureuse, des phrases en français.

La voix de Letizia Giuntini, souple et ample, occupe une place singulière dans le paysage musical insulaire. À part, peut-être à chercher du côté du flamenco, à moins que ce ne soit vers le fado. Flamenco ? Fado ? Sa voix est avant tout unique et s’accorde naturellement aux violoncelles de Moïta, dirigés, lors de l’enregistrement de l’album et tout au long de sa préparation, par Celia Picciocchi, autrice des arrangements.
« Anima terrania » distille un air marin, surmonté de petits nuages moutonnants. L’album exhale des senteurs d’oliviers, de vignes, de maquis, de coins d’herbe enlacés de branchages. Il esquisse des paysages de montagnes, de ruisseaux inventant des jeux de pistes infinis.
La voix de Giuntini évoque parfois celle de Catherine Ribeiro, voix aux pouvoirs bouleversants et virulents, celle de Ribeiro et de son groupe Alpes. En se tournant vers un passé fécond — non celui qui inquiète — on peut aussi deviner, dans la silhouette de la chanteuse-bergère, l’ombre de Catherine Sauvage. Mais laissons les fantômes. De cette chanteuse-bergère, Jean Froment a réalisé un documentaire original et poétique, loin de toute anecdote, car il ne se limite pas à une peinture bucolique.
Avec « Anima terrania », c’est la révélation d’une voix et des violoncelles de Moïta, qu’ils soient douze, en quintette, quatuor, trio ou en solo. Deux associations enracinées en Balagne, Musi’Cal et celle de la pieve di a Serra pour les violoncelles, ont œuvré de concert avec Celia Picciocchi pour concrétiser le projet de l’album. Chansons et musiques ont été enregistrées dans l’église de Matra.

« Anima terrania » est le fruit d’une belle aventure artistique collective, à écouter de toute urgence.


Letizia Giuntini, chanteuse, autrice, compositrice, bercée par le chant traditionnel corse et fervente créatrice.
Celia Picciocchi, violoniste, compositrice, arrangeuse. Membre du Jakez Orkestra et de Voce Ventu. Orchestratrice de spectacles vivants.
I Viulincelli di Moita, ensemble de quatre à vingt instrumentistes autour de Paul-Antoine de Rocca Serra, directeur artistique des Rencontres de Moïta, entouré de Frédéric Lagarde, Guillermo Lefever, Frédéric Audibert, ainsi que des piliers de la manifestation que sont Anne-Lise Herrera et Anne Gambini.


ENTRETIEN AVEC LETIZIA GIUNTINI

Chanteuse, musicienne, bergère.


Qu’est-ce qui vous définit le mieux ?

Les trois : bergère, chanteuse, musicienne. Voilà mes trois casquettes… Je les garde sur la tête pour ne pas prendre de coups de soleil.

Pourquoi le chant ?

Pour me faire voyager entre des mondes inaccessibles. Pour être dans un état second. Pas pour être enfermée dans une bulle. Chanter, pour moi, c’est être reliée au monde. C’est ainsi que je me sens bien, que le corps et l’esprit s’expriment.

Pourquoi être bergère ?


Je le suis depuis quatorze ans. C’est une évidence par rapport à mes terrains familiaux, à mon amour de la nature et des animaux. Être bergère, c’est aussi une liberté d’action et d’expression. Ce métier est une évidence pour moi.

Comment avez-vous appris à vous occuper de votre troupeau ?


En visitant différentes exploitations avant d’installer ma ferme. Je suis allée chez des anciens, chez des modernes, pour avoir un panel large et en tirer mes conclusions. J’ai demandé conseil à des anciens. Dans les lieux que je visitais, je restais un jour ou deux.


À Lumio se trouvent les terres de mes ancêtres. La principale raison de mon départ est que le lieu est devenu ultra-urbanisé. On m’a aussi retiré des droits de passage qui me permettaient de travailler sur deux espaces. Mes raisons n’ont pas été entendues. Je me suis donc installée à quinze kilomètres de là, à Montegrosso.

En quatorze ans, votre situation de bergère s’est-elle améliorée ?

Administrativement, j’ai pu reprendre mon souffle. Ça va mieux, car là où je suis je peux évoluer. Mais les aléas du métier demeurent : problèmes climatiques, sanitaires, liés au vivant, sans oublier les accidents de montagne et les mauvaises surprises.

Être bergère est-ce plus difficile quand on est une femme ?


Non, sauf si l’on considère la question de la force physique. Sur le plan administratif, je paie mes taxes et, n’ayant pas de subventions, je n’ai pas de complications particulières.

Pourriez-vous vivre en ville ?


Non. J’ai besoin de la nature pour me sentir bien, de respirer un air qui me donne envie de vivre. En ville, je deviendrais sombre et dépressive. Je n’ai vécu qu’à Sienne, qui n’est pas vraiment une ville au sens classique. J’ai besoin d’être confrontée aux éléments, à la terre, au vent.

La mer peut-elle vous manquer ?


De loin. J’aime la vue qu’elle offre, de loin. Parfois je pense à la toucher, mais je ne veux ni aller en dessous ni voguer au-dessus. La mer ne fait pas partie de mes besoins vitaux. La mer, oui, à condition d’être à côté.

Quelle place occupent le chant et la musique dans votre vie ?


Je chante depuis toute petite, en famille. J’ai appris à chanter à l’école et aux ateliers de chant d’A Filetta, que j’ai suivis de neuf à onze ans. Ils m’ont marquée à vie. À cet âge-là, on est de vraies éponges.

Comment vous êtes-vous perfectionnée ?


N’est-ce pas en forgeant qu’on devient forgeron ? En écoutant, en captant les vibrations dans mon corps, en testant sans cesse, en analysant les sons produits par ma voix. À force de chercher, on apprend.

Avez-vous un instrument de prédilection ?
J’adore le piano. J’aurais aimé en jouer, mais cela ne s’est pas fait. La guitare était à portée de main : mon frère et mes cousins en jouaient, je me suis imprégnée de leurs morceaux.

Le violoncelle semble loin de votre univers.
Comment l’avez-vous découvert ?
Les deux 
mondes paraissent éloignés. J’ai rencontré Celia Picciocchi et lui ai demandé de m’initier à son instrument. Elle m’a orientée vers Anne-Lise Herrera, violoncelliste. C’est ainsi que j’ai découvert le violoncelle, puis le Festival de Moïta. Celia a arrangé l’une de mes chansons pour violoncelle et, peu à peu, l’aventure a conduit à l’enregistrement d’« Anima terrania ».
Quel rôle a joué Celia Picciocchi dans le projet ?


Un rôle central. Elle a su créer un équilibre entre ma voix et les violoncelles, connecter toutes les énergies. Nous étions une vingtaine de personnes, dont douze violoncellistes. Son orchestration a été déterminante.

Qu’aimez-vous dans le violoncelle ?


Son amplitude du grave à l’aigu, son volume, la résonance de ses notes. Les possibilités offertes par l’archet, les doigts, les tapotements sur la caisse. Son timbre proche de la voix humaine. En orchestre, il apporte profondeur et couleurs nouvelles.

Propos recueillis par M. A. — P.
crédit photo : Anima Terrania / M.A.P
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