• Le doyen de la presse Européenne

Noël dans l'hiver du Covid (poète et paysan)

Il y a-t-il un modèle universel de poésie ?
Noël dans l’hiver du Covid
(Poète et paysan)

Il y a-t-il un modèle universel de poésie ?


Nous avons à l’oreille les accents et la mélodie de l’opéra de Glinka et nous avons bien l’impression d’être en Russie. Outre que la poésie n’est invoquée dans le titre de l’ouvrage qu’à l’appui d’une caractérisation du personnage, on ne saurait en déduire si le modèle dont elle s’inspire est universel ou russe. On penche pour le russe. Cependant, nous nous trouvons dans le monde russe rien qu’à l’évocation du titre. Et on n’a pas lu une ligne de poésie encore. Les russes sont un peuple poète. Cette affirmation semble aller de soi.
Les corses sont aussi un peuple de poètes.
Nous en sommes également convaincus et il nous faut peu de choses pour qu’après l’évocation des concours de poésie d’antan appelés le « chiami e respondi » nous nous replongions dans une nostalgie savoureuse et complice. Voilà en quelques mots tracés dru une imposture de plus à confier au florilège des nations. Nous nous référons à la poésie mais nous ne la pratiquons plus. Je ne suis pas sûr qu’à ce jour aucun pays ne la pratique vraiment. Et pourtant, l’exercice poétique était dans un court passé une des marques spécifiques de l’Europe.

J’ai mis la main très récemment sur un beau texte de Stéphane Zweig consacré à Verlaine qui prend le parti d’expliquer à ses lecteurs que Paul Verlaine est un poète allemand d’expression française. Il en veut pour preuve l’inspiration élégiaque qui lui paraît être naturellement allemande. C’est un parti audacieux mais dont la pertinence existe. Nul poète n’a été plus charmant et plus fécond pour éveiller les sensations et les sentiments. Mais je dirais volontiers que Verlaine est le poète parfait qui parle immédiatement au cœur et dont la phrase ondoyante et souple façonne avec la pensée la chimie des émotions. Il serait volontiers universel s’il était encore lu.
Pourquoi les poètes ne sont-ils plus lus ? Est-ce le temps qui passe, l’indifférence d’une nouvelle jeunesse formée à bien d’autres abstractions, la rudesse des conflits existentiels qui nous attendent ? Pour lire la poésie, composer la poésie, aimer la poésie, ne faut-il pas d’abord vouloir être.
Sommes-nous encore ? Il faut une bien rude fierté et un sensationnel vouloir pour penser que l’on existe dans le maelstrom que l’on nomme mondialisation. Arrêtons-nous deux minutes avec Gérard de Nerval.

Ils reviendront ces Dieux que tu pleures toujours !
Le temps va ramener l’ordre des anciens jours ;
La terre a tressailli d’un souffle prophétique

Cependant la sibylle au visage latin
Est endormie encor sous l’arc de Constantin
-Et rien n’a dérangé le sévère portique.

Quel bonheur ! Et même quel bonheur pour un corse !

Savoir être, vouloir être, demeurer. Et dans ce dernier verbe prenons bien garde qu’il y a demeure, qui veille au grain.

Le corse est poète. Le corse est. Que se révèle ainsi une prise de conscience qu’à l’instar des grecs et des romains, la poésie c’est aussi l’action puisqu’elle en est le chant. Il y des trésors dans le grenier, il y a des pépites dans nos mémoires.

Nos élus seraient bien inspirés de recréer les concours d’expression poétique, habiles à susciter par l’émulation et l’effort, la recherche de la parole précise, le service de la beauté. Nous pourrions même intituler « Journées valériennes », en hommage au grand poète corse d’expression française, Paul Valery ces joutes auxquelles notre jeunesse serait naturellement portée à concourir, en quelque langue que ce soit, et je penche, afin qu’on sorte de la langue de bois, que ce concours comporte trois modules, le corse, le français et l’italien.
Ainsi, nos élus suppléeraient-ils avec astuce et bonheur les programmes que l’on dit nationaux qui ont fait de la suppression de la poésie leur cheval de bataille, afin de transformer en valet définitif tout homme resté à peu près libre.

Je voudrais emprunter au soliloque de Faust dans l’admirable « Mon Faust » ces paroles que je prête au peuple corse : « Enfin ce que je fus rejoint ce que je suis. Je suis au comble de mon art. Commencement et aboutissement, je vis et je ne fais que vivre ».


Jean-François MARCHI
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