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Gilles Simeoni dans le dur du vieux cuir jacobin

Trois ans ont passé... Aucun début d’évolution institutionnelle n’est perceptible. Gilles Simeoni est dans le dur du vieux cuir jacobin.
Gilles Simeoni dans le dur du vieux cuir jacobin

Trois ans ont passé.
Aucun début d’évolution institutionnelle n’est perceptible. Gilles Simeoni est dans le dur du vieux cuir jacobin.


Soirée du 13 décembre 2015, sa liste a défait celle de Paul Giacobbi.
Gilles Simeoni peut désormais savourer la totale réussite de la ligne politique qu’avait initiée son père à la fin des années 1970 et dont il est le continuateur : paix, démocratie, rassemblement, posture de l’interlocuteur valable dans les rapports avec l’État avec un objectif institutionnel (avec en ligne de mire l’autonomie).
Cette ligne politique a d’abord donné lieu à des résultats mitigés.

En août 1982, lors de la première élection régionale organisée dans le cadre de l’octroi du Statut Defferre, la liste Unione di u Populu Corsu menée par Edmond Simeoni n’a obtenu que 7 sièges sur 61. Ayant dû compter avec ce résultat électoral certes encourageant mais très insuffisant et un FLNC qui venait de rompre la trêve des attentats, et ayant estimé à juste titre que l’autonomisme ne serait ainsi pas en situation de peser vraiment sur la gestion de la Corse et les rapports avec l’Etat, Edmond Simeoni a décliné l’offre d’être associé à la majorité de gauche de Prosper Alfonsi.
Dix ans plus tard, Edmond Simeoni a encore été confronté à une insuffisante percée électorale. La coalition Corsica Nazione dont il avait pris la tête et qui réunissait les autonomistes de l’Unione di i u Populu Corsu, la Cuncolta Naziunalista politiquement solidaires du FLNC, L’Accolta Naziunale Corsa proche d’autres clandestins (Resistenza) et I Verdi Corsi (écologistes) n’a pu ni accéder aux commandes de la Collectivité Territoriale qui venait d’être mise en place dans le cadre du Statut Joxe, ni imposer une majorité de progrès.

Il aura fallu plus de trois décennies pour que l’Homme d'Aleria vive enfin, avec la victoire de son fils sur Paul Giacobbi, le triomphe de sa ligne politique et puisse croire en la réalisation prochaine de la revendication autonomiste. Alors qu’il venait de remporter les élections territoriales après avoir rassemblé sur sa liste la plupart des mouvements nationalistes, Gilles Simeoni a d’ailleurs déclaré lors de son premier discours à l’Assemblée de Corse en qualité de président du Conseil exécutif (17 décembre 2015) : « Le peuple corse existe, il va construire son destin dans la paix et la démocratie (…)
Ce cheminement politique, cette logique d’émancipation passent nécessairement par une relation repensée et reformulée à l’Etat (…) La Corse, territoire insulaire, bénéficiera d’un statut lui conférant un pouvoir législatif, parce que cela s’imposera de façon naturelle comme une évolution politique et institutionnelle inéluctable, y compris au plan européen.

Dans ces conditions, le choix, par l’Etat, du silence, a fortiori celui de la prolongation d’un rapport de force conflictuel, tourne le dos à l’Histoire, tant sur le terrain des idées que sur celui des faits. Dans ces conditions le moment est venu d’ouvrir un dialogue serein et constructif (…) A partir d'aujourd'hui une autre histoire commence et nous allons l'écrire ensemble. » Ce discours a confirmé que la victoire du 17 décembre 2015 avait incontestablement été celle de la ligne politique qu’avait initiée Edmond Simeoni. Paix, démocratie, rassemblement, posture de l’interlocuteur valable dans les rapports avec l’État, évolution institutionnelle : rien ne manquait.

Trois ans ont passé

La mandature étant courte (décembre 2015 à décembre 2017) et la préparation de la mise en place de la Collectivité de Corse étant une lourde priorité, l’évolution institutionnelle a toutefois été mise entre parenthèses.
Mais, dès avant les élections de décembre 2017 qui ont débouché sur une large victoire de sa liste (Per a Corsica) et sa reconduction à la présidence du Conseil exécutif, Gilles Simeoni a relancé la revendication institutionnelle : « Je veux une autonomie de plein droit pour la Corse » (Le Point, novembre 2017). L’ampleur de son succès (plus de 50 % des suffrages exprimés, majorité absolue) l’ont alors un peu plus convaincu de la pertinence de la ligne politique suivie par son père puis lui-même et de la nécessité de s’y tenir pour arracher l’autonomie.

Il l’a d’ailleurs formulé lors du discours ayant suivi sa réélection à la présidence du Conseil exécutif (janvier 2018): « Nous avons fait valoir que le pacte stratégique proposé à la validation des Corses par Pè̀ a Corsica dès le premier tour de scrutin est clair. Qu’il repose sur deux piliers essentiels : la démocratie comme clé de voûte et un statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice au plan institutionnel (…) Nous avons rejeté avec force l’idée d’une classe politique, et a fortiori d’une société corse, coupées en deux camps antagonistes et réaffirmé notre volonté de travailler au service de notre Ile avec tous les Corses, qu’ils soient nationalistes ou qu’ils ne le soient pas (…)

Les Corses nous ont également donné mandat pour engager le dialogue avec l’Etat (...) Nous sommes des interlocuteurs raisonnables, pondérés, dont la légitimité́ démocratique et politique est forte et incontestable (…) Nous souhaitons, au plan institutionnel, coconstruire avec l’ensemble des forces vives insulaires et l’Etat un statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice. » Trois ans ont passé. Aucun début d’évolution institutionnelle n’est perceptible. Gilles Simeoni est dans le dur du vieux cuir jacobin.
Pour expliquer cette situation, il faut bien entendu prendre en considération la révélation que le candidat Emmanuel Macron qui promettait une « pacte girondin » à l’ensemble du pays, est devenu un président de la République jacobin qui recourt volontiers aux conseil de Jean-Pierre Chevènement. On peut aussi supposer que des maladresses dans les rapports avec la ministre Jaqueline Gouraud et des représentants de Etat ont pu contribuer à la survenance de rapports plus conflictuels que constructifs entre Paris et le Président du Conseil exécutif.

Mais il convient aussi de souligner que Gilles Simeoni a égratigné sa ligne politique plus que trentenaire et oublié une réalité majeure : durant les décennies passées, seule la mobilisation militante et populaire a permis de contraindre l’Etat au dialogue. En effet, la concurrence entre les composantes de Per a Corsica voulue par Femu a Corsica à l’occasion des élections municipale qui ont affaibli le camp nationaliste ainsi qu’une parole et une action limitées à celles des élus avec pour corollaire l’abandon des lutte de masse et la mise sur la touche de nombre de militants de terrain au profit de convertis ou de disciples de la 25ème heure, permettent désormais à l’Etat de pratiquer au mieux la politique du « Cause toujours, tu m’intéresses », au pire celle du bâton.

Pierre Corsi
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